Au nord-est de Barcelone, se niche un bout de campagne. Sept hectares de cultures à l’ancienne, préservées par un maraîcher. Les dernières de la capitale catalane. Reportage dans ce bien rare et précieux. Une vie d’antan aux pieds de l’autoroute.
Photo de couverture : Ajuntament Barcelona
Vallbona, un jeudi de mars. Le ciel vire au blanc. La pluie tombe à petites gouttes. À la sortie du Rodalies, station Torre Baró, de l’autre côté de l’autoroute, où défilent voitures et camions, c’est un tout autre visage qu’affiche Barcelone. Aucune circulation, à part un bus de temps à autre. En bout de lotissement, un bar-épicerie-boulangerie réunit quelques riverains. « Vous cherchez quoi ? La Ponderosa ? Tu connais, toi ? », interroge une femme d’une quarantaine d’années, à son voisin de comptoir. « Oui, c’est par là-bas. Mais il n’y a plus grand-chose depuis que le propriétaire est mort. Il y a encore quelques cultures. Il faut prendre un petit chemin, à gauche, en haut de la rue ».
Il faut aussi passer sous le pont où s’entrelacent trois voies rapides, et longer un sentier avant d’arriver devant un vaste champ entièrement clôturé. Portail fermé à gauche, mais pas celui du fond à droite. « Le fermier est à l’intérieur de l’entrepôt », explique un homme en train de charger une brouette. Un hangar bâti en briques apparentes, non isolé, avec de la terre au sol. Une table posée au milieu de la pièce, entre plusieurs outils, cagettes, juste en face d’une gazinière.
Trois hommes, amis de longue date, boivent du café, sans parler. Ils sont sur le départ, mais ne se pressent pas. Ici, le temps s’est comme arrêté. Le seul objet capable de rappeler l’époque contemporaine, c’est le smartphone dont la sonnerie n’est autre qu’un « cocorico« .
La vie à la ferme d’autrefois
Tout le reste semble lointain. 7 hectares de parcelles cultivées à la main. Les toutes dernières de Barcelone. Des choux-fleurs, des tomates, des courgettes, des calçots, des oignons, des concombres, d’un côté. De l’autre, de la terre creusée en sillon, en attente de semences. Et puis quatre coqs et tout autant de poules, « pour manger à la maison et avoir des œufs régulièrement », commente Carlos Zaragoza.
C’est lui, le fermier. Ou plutôt le dernier. « Nous sommes deux propriétaires. On se partage les terres. Le voisin est mort en 2019. Il vendait des fruits et légumes aux gens du quartier tous les samedis et dimanches. Et moi, je suis là depuis 1970″, raconte l’homme de 64 ans. Sa femme, elle, possède des terres ici depuis 1925. « C’est la troisième génération, après sa mère et sa grand-mère. »
Au loin, dans le paysage, un ouvrier travaille. Il s’occupe des terres et des animaux, du Rec Comtal qui hydrate le tout, pendant que Carlos termine de charger le camion de légumes. Direction le marché de Santa Coloma de Gramenet, où se trouve actuellement sa femme, derrière son étale. À deux, ils répéteront le schéma le lendemain, puis le surlendemain. « Tous les jours, c’est comme ça. » À l’ancienne.
Mais le maraîcher arbore un fier sourire : « on est très bien ici. C’est la vie à la campagne, il ne faut pas oublier d’où on vient. » Pour un peu plus, les Français de province se sentiraient presque comme chez leurs parents ou grands-parents, à « la vieille époque ». Avant que le fond sonore des voitures, les rails sur lesquelles passe le train, et les colonnes de logement ne les ramènent à la réalité.
« Avant, ce n’était que des champs »
Après la mort du second propriétaire, Barcelone s’est rendu compte qu’elle possédait entre ses mains un bien immensément précieux, qu’elle a elle-même détruit. « Ça fait 40 ou 50 ans que l’autoroute existe. Avant, tout ça, ce n’était que des champs. Chaque village avait ses terres, mais après tout a disparu au profit d’habitations. » 3 000 logements ont remplacé les fermes. La Meridiania a changé l’horizon du quartier.
Résultat : des vergers comme celui de la Ponderosa, il n’en existe plus. Certes, la capitale catalane possède quelques bouts de terrain en ville, mais rien d’une telle taille, capable de produire assez pour nourrir les habitants. Chaque mètre carré est devenu une mine d’or pour l’immobilier. Et c’est justement de ça dont a peur la mairie.
L’institution a donc racheté le terrain pour éviter que ne fleurissent des immeubles, sur l’unique plaine agricole de la ville. Elle a présenté en début d’année son projet « AgroVallbona » centré sur cette même parcelle. Ici, elle souhaite créer un quartier modèle, « avec moins de spéculations, plus de vie, d’espaces verts, et la Ponderosa préservée ». Juste à côté du bar-épicerie, la mairie souhaite également réhabiliter l’ancienne grange, actuellement en ruine, en un espace de formation en agroécologie. Pour tenter de susciter des vocations, des repreneurs.
Sur le projet, les riverains semblent sceptiques. « À voir ce qu’ils vont en faire », disent-ils sans trop se mouiller. Peut-être est-ce l’une des rares fois où l’on prête attention à ce quartier nord de Nou Barris ? N’est-ce pas difficile de rebâtir ce qui a volontairement été déconstruit ? Les clients du bar avalent une dernière gorgée, sans rien ajouter. Un dicton dit : on récolte ce que l’on sème. Mais il n’est jamais trop tard pour essayer.