El Yunque : la secte qui influence l’Espagne

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La secte ou organisation secrète El Yunque a étendu ses tentacules en Espagne avec pour but d’influencer les politiques du pays. Récit. 

Pour un Français ou un Espagnol, le nom « El Yunque – littéralement l’enclume » n’a rien de familier. En revanche, de l’autre côté de l’Atlantique, « El Yunque » jouit d’une très forte notoriété. Pas forcément positive. Au Mexique, « El Yunque » est officiellement répertorié comme une secte agissant dans la sphère politique depuis 1953.

Né dans la ville mexicaine de Zaragona, en pleine guerre froide, El Yunque, d’obédience catholique extrémiste, poursuit depuis lors le même combat contre le communisme, la franc-maçonnerie et le peuple juif.  Ses membres utilisent comme symbole une croix inversée qui s’ouvre vers le haut en forme de « V ». Lors de la cérémonie d’entrée, les néophytes s’engagent à respecter les préceptes de « secret, réserve et discipline ».

El Yunque:

Le logo d’El Yunque

Le groupe de pression, qui a vu le jour sur un campus universitaire, sous l’impulsion d’un collectif d’étudiants catholiques en lutte contre le communisme, a depuis fait du chemin. Selon l’ouvrage de référence El Yunque : L’ultra-droite au pouvoir (Alvaro Delgado – Plaza editions), la secte a multiplié les actions coups de poing contre le président mexicain de gauche Andrés Manuel López Obrador. 

L’organisation souhaite porter son influence au-delà des frontières mexicaines. En 2021, une macrofuite de WikiLeaks a révélé que la structure extérieure la plus puissante d’El Yunque se trouvait en Espagne. D’abord au sein du groupe de pression Hazte Oir (« Fais toi entendre »), une association qui milite et organise de l’agit-prop autour de la lutte contre l’avortement et pour la défense de la vie et de la famille traditionnelle. Le groupe de pression agit à la fois avec des actions de propagande dans la rue, mais possède également ses entrées dans la grande bourgeoisie espagnole. Esther Alcocer, l’une des plus grandes fortunes d’Espagne et Bernard Meunier, PDG de Nestlé Péninsule Ibérique, sont membres d’hazteoir. 

Extreme droite espagne

Un bus de Hazte Oir

En 2012, le pureplayer El Confidencial révélait que El Yunque, depuis le Mexique, soutenait l’association Hazteoir en Espagne. Les principaux responsables du mouvement conservateur ont saisi la justice pour tenter d’attaquer en diffamation El Confidencial. Tous ont été déboutés. Plus accablant encore : en 2014, la juge de première instance de la 45e chambre de Madrid, a estimé qu’il y avait quelques liens entre certains membres de Hazteoir en Espagne et El Yuque au Mexique.

En route vers le pouvoir

Pourtant, Hazteoir, est seulement la première marche de l’escalier vers le pouvoir que semble vouloir emprunter El Yuque. Certains journalistes et chercheurs voient l’ombre de la secte mexicaine derrière Vox, le grand parti d’extrême droite espagnole.

Le cousin ibérique du Rassemblement National est né en 2013. Au début du conflit entre l’Espagne de Mariano Rajoy et de la Catalogne d’Artur Mas. Des députés européens et des militants du Partido Popular -PP- (la droite espagnole équivalente des Républicains en France) sont dans un TGV à destination de Madrid. Ils reviennent d’une manifestation barcelonaise contre le processus indépendantiste catalan et s’accordent tous sur un point : le Premier ministre Mariano Rajoy est trop mou et laxiste contre les dirigeants séparatistes. Différentes tendances de la droite dure sont alors présentes : les notables du Partido Popular, comme l’eurodéputé Alejo Vidal-Quadras et des militants radicalisés, comme le promoteur immobilier Iván Espinosa de los Monteros et l’activiste Santiago Abascal.

Ils prennent l’engagement de monter un parti à la droite du mouvement de Mariano Rajoy : Vox. Au programme : la défense de l’unité de l’Espagne et une vision conservatrice de la société. Rapidement, les choses dégénèrent en interne, et toute l’aile modérée emmenée par Alejo Vidal-Quadras claque la porte. La frange la plus radicale garde le parti et oriente la ligne vers un national-catholicisme dur.

Le président de Vox, Santiago Abascal

Le président de Vox, Santiago Abascal

El Yunque serait à l’origine de ce radicalisme idéologique dans l’aventure Vox. Le premier acte du parti a d’ailleurs été retransmis en direct sur la chaîne Youtube d’Hazteoir.  En 2019, une enquête de l’ONG américaine Avaaz avait révélé qu’au moins deux responsables de Vox avaient participé activement au recrutement de deux personnes pour les faire entrer dans la secte El Yunque. L’ONG mentionnait les noms de Santiago Ribas, qui travaille aujourd’hui au sein du groupe Vox au conseil régional de Madrid, et de José Manuel Menéndez en charge des relations institutionnelles du parti d’extrême droite. 

Par ailleurs, les fuites Wilileaks mentionnées antérieurement faisaient état de financements d’El Yunque vers Vox. Ce qui est d’ailleurs totalement prohibé par la loi du financement des partis politiques en Espagne.

La polémique sur l’avortement au conseil régional de Castilla y Leon

Un épisode politique ayant eu lieu à Castillo et Leon, en début d’année, est une étape de plus, pertinente. Dans cette région du centre de l’Espagne, la droite du Partido Popular et Vox gouvernent ensemble. Le vice-président du conseil régional, Juan García-Gallardo Frings, membre de Vox a exigé que la région prenne des mesures très drastiques pour lutter contre l’avortement : faire écouter à la mère les battements de cœur du fœtus et regarder une échographie 4D avant toute IVG. Des mesures défendues par Hazte Oir en son temps et par El Yunque.

Face à la pression du gouvernement socialiste espagnol, les mesures n’ont pas été mises en place, mais peuvent donner une idée de la situation si une coalition Partido Popular/Vox voit le jour en Espagne à la fin de l’année lors des prochaines législatives. C’est en tout cas, à l’heure actuelle, le scénario que l’ensemble des sondages prédisent. Les thématiques d’El Yunque pourraient être alors défendues à l’échelle nationale.

D’autant qu’un secteur du PP, le plus conservateur, avait été approché par El Yunque au début des années 2000. L’ancien ministre de l’Intérieur, le très catholique Jaime Mayor Oreja, était en contact avec la secte. Le PP était alors dans l’opposition, et la fracture avec Vox n’avait pas encore eu lieu. A l’époque, le PP était la maison commune de toutes les droites, du centrisme au radicalisme, ce qui est moins le cas aujourd’hui. D’autant plus que le potentiel Premier ministre du PP, Alberto Feijo, appartient à l’aile modérée du parti.

Cette « union des droites » au pouvoir, surtout si Vox est influencé par une organisation extérieure, ne sera pas un long fleuve tranquille et ne devrait pas apporter plus de stabilité que l’actuelle coalition gouvernementale composée des socialistes et de la gauche radicale de Podemos. Signe des temps.

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