Pourquoi les Espagnols évitent les arrêts maladies

Malades, mais toujours au poste. A Barcelone, même avec de la fièvre, un état grippal et la gorge prise, ils sont nombreux à assurer le job. Comme si ici, le travail était sacré. Mais l’est-il vraiment ? Zoom sur ces Espagnols frileux à se mettre en arrêt maladie.

« Aujourd’hui, par exemple, je ne suis pas bien », lâche à demi-mot, une employée de boulangerie de chez Vivari. La jeune femme de 23 ans renifle en souriant timidement. Mais à l’heure d’expliquer pourquoi elle continue d’aller au travail, elle affirme : « je ne préfère pas ». Par discrétion ou pour ne pas faire de vague ? Voilà huit mois qu’elle sert aux clients baguettes et viennoiseries. Mais malgré son CDI, l’idée de prendre un peu de repos ne lui traverse pas l’esprit.

« Me mettre en arrêt maladie serait une perte de temps. J’en ai jamais pris d’ailleurs », répond franchement Carla, caissière dans le supermarché voisin, rue Méndez Núñiez. A 28 ans, la jeune Espagnole n’a manqué aucun jour de travail, en quatre ans de vie active. « La semaine dernière, j’étais vraiment mal mais je suis quand même venue. J’en fais un peu moins que d’habitude et voilà ». Et de toute façon, rien que l’idée de rester quatre heures au CAP (centre médical de quartier) pour obtenir un rendez-vous, puis patienter à nouveau pour voir le médecin, lui donne froid dans le dos.

Responsabilité pro ou peur du licenciement ?

Avec trente années de plus au compteur, María attendrait de ne plus pouvoir se lever avant de consulter. En décembre dernier, sous Covid, cette femme de ménage de 59 ans continuait à balayer et nettoyer le sol des bureaux des rues Diagonal et Balmes. Un masque sur le nez, et le visage en sueur. Affaiblie, « mais pas suffisamment pour rester chez moi à rien faire ». Des fois, elle l’avoue, elle était sur le fil. « Et puis quoi ? Je vais rester chez moi à me dire que j’ai mal ? Autant que je me lève. Et ça passera. Et puis si ce n’est pas moi qui le fait, qui le fera ? », questionne-t-elle.

aliments espagne« Personne n’est irremplaçable », entend-on pourtant dans le monde entrepreneurial. Et au fond, ils le savent tous. Les ouvrières, elles, préféreront dire qu’elles se sentent responsables de ne pas assumer le travail. Qu’elles culpabilisent. Quand les syndicats évoqueront plutôt « la peur de perdre son emploi, surtout lorsque le chômage et la précarité sont forts. » Mais une chose reste certaine, les raisons cachées derrière ce phénomène sont un peu plus complexes que le simple goût du métier. Et la principale se trouve dans le porte monnaie.

Moins payés sous arrêt maladie en Espagne

« Je pense que les Espagnols sont plus attachés à leur travail et à l’aspect financier car ils ont beaucoup moins d’aides. Un arrêt maladie ici est moins pris en charge qu’en France. C’est ce qui laisse d’ailleurs plus de choix aux Français, ils peuvent facilement aller chez le médecin s’ils ne vont pas bien », explique un patron possédant des sociétés en Espagne et en France.

La sécurité sociale d’un côté ou de l’autre de la frontière offre une protection très différente. Là où l’Hexagone prend en charge la moitié du salaire après trois jours de carence – souvent abondé à la même hauteur par les entreprises -, la Sécurité sociale espagnole, elle, n’intervient qu’au bout du 16e jour à hauteur de 60 %. Avant, c’est l’entreprise qui se charge de financer le temps de repos prescrit après carence. Des accords avaient été convenus avec les syndicats catalans pour avoir le même salaire sous arrêt pour « maladie commune » ou « accident de travail ». Mais dans les faits,« tu es bien moins payée selon ton entreprise », assure l’employée de boulangerie.

Or avec un pouvoir d’achat plus faible dans la péninsule ibérique qu’en France, et des aides laborieuses voire absentes, les travailleurs hispaniques ne s’essaient pas à la tâche. Côté patronal, ce n’est peut-être pas plus mal. « J’ai l’impression qu’il y a plus de fiabilité du côté de l’Espagne. C’est vrai qu’en France, le pouvoir est du côté des salariés. On est tellement soutenus et pris en charge qu’on a tendance à s’écouter plus qu’ailleurs », renchérit le précédent gérant qui préfère rester anonyme.

femme de menage3 scaledEcouter son corps en Catalogne n’est donc pas permis ? Difficilement. Par professionnalisme ou nécessité pécuniaire, on préfère alors serrer des dents, prendre un cachet et faire comme si de rien n’était. Car au-delà du sens du travail indéniable, vanté d’un côté comme de l’autre, Monica Perez, syndicaliste au CCOO, dénonce un système espagnol « qui fait pression pour ne pas être en arrêt ».

Et selon elle, il est bien rôdé. « L’entreprise, par le biais de sa mutuelle, peut vérifier que vous ne pouvez vraiment pas travailler. C’est-à-dire qu’ils peuvent remettre en question l’avis du médecin. Et ce n’est pas un suivi de santé, pour voir quel traitement vous convient le mieux, mais bien un contrôle ». Grâce aux mutuelles, qui gèrent les cotisations de la sécurité sociale, les employeurs peuvent aller jusqu’à faire inspecter les médecins généralistes à l’origine des arrêts maladies. Alors forcément, il y a de quoi y réfléchir à deux fois.

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