Ils sont plus de 15 000 à avoir été mis à la rue en Espagne cette année. Et ce chiffre risque encore d’augmenter d’ici la fin de l’année. Car ici, pas de trêve hivernale, ni de traitement spécial pour les personnes vulnérables. Equinox a suivi une famille avec ses 4 enfants qui risquent l’expulsion.
Photos : Louise Garcia
Poblenou, carrer Palencia, mardi 29 novembre à 11h. Le rendez-vous est donné ce matin devant l’appartement où vivent Ruth, son mari et ses enfants de 4, 6, 12 et 17 ans. La famille d’origine péruvienne doit se faire expulser aujourd’hui. La date a été fixée il y a quelques mois, les affaires sont prêtes. Mais personne n’est préparé à dormir dehors.
Alors la PAH (Plateforme des personnes Affectées par l’Hypothèque), association de défense du droit au logement, s’est rendue sur place ce matin. Une quinzaine de militants est venue prêter main forte à la famille en difficulté. Ils portent des t-shirts verts floqués « Stop Desahucios » (stop aux expulsions), que certains cachent sous leurs manteaux. Il y a deux mois, lors d’une expulsion qu’ils tentaient de stopper, 15 fourgons de policiers ont débarqué. Alors, cette fois, ils se font discrets.
Des regards inquiets s’échangent, et les questions fusent. Quelles solutions apporter à cette famille ? Comment faire pour retarder la date de l’expulsion ? Le propriétaire va-t-il se montrer compréhensif ? D’ailleurs il vient d’arriver. Ou plutôt ils viennent d’arriver. Une demi-heure après le début du rassemblement, Alexis, son frère et sa sœur se présentent aux membres de la PAH.
Des situations complexes
La tension est palpable, mais la fratrie cherche à clarifier la situation. « Cet appartement est à notre famille, et on y a grandi. Mais cela fait 2 ans que les locataires ne paient plus. Il nous coûte de l’argent, on a opté pour la voie légale, on a suivi la procédure mais là on ne sait plus quoi faire« .
Les trois frères et sœur d’un côté, la quinzaine de militants de l’autre, un face-à-face tendu s’annonce. Mais il n’en est rien. Une des activistes mène la discussion. On apprend alors qu’il s’agit d’une famille qui travaille mais qui n’a pas de papiers, avec de jeunes enfants dont un qui est malade. « Laissez-leur juste 15 jours supplémentaires pour qu’ils puissent trouver une solution de relogement » demande une des militantes. « Cela fait 2 ans qu’on leur laisse 15 jours, encore et encore. Cette situation ne nous plait pas du tout, on a de la peine pour eux, mais on ne peut plus attendre » répond l’un des propriétaires, les larmes aux yeux.
Il n’est pas encore midi quand Ruth, la locataire de l’appartement descend, angoissée, se réfugiant dans les bras d’une des activistes. Dans une situation vulnérable économiquement, la famille n’avait pas accès au marché du logement à Barcelone, en l’absence de régulations.
Alors, elle a été contrainte à la sous-location, illégale mais monnaie courante au sein de la capitale catalane. « Le bail est au nom de l’employeur de mon mari. Et quand il a eu un accident au travail, son employeur nous a assuré qu’il allait payer le loyer. Mais il nous a menti » regrette la mère de famille.
Pour prouver sa bonne foi, la locataire montre ses dernières factures de gaz et d’électricité, toutes réglées. « Je ne suis pas une personne qui cherche à vivre sans payer. Mais on s’est fait avoir ! ». La mère de famille revient à la charge en leur demandant 15 jours supplémentaires. Mais les propriétaires campent sur leurs positions. La situation semble inextricable.
Si Ruth et sa famille sont expulsées, où vont-ils aller ? « Dans une auberge, puis des logements sociaux provisoires, parce que le parc de logements sociaux est lamentablement bas ici » regrette l’association. Alors que la France dispose de plus de 18% de logements sociaux, ce chiffre ne dépasse pas les 2% en Espagne. « Cette famille ne peut pas accéder au marché du logement tel qu’il est actuellement, donc ils en viennent à être pris dans ce genre d’arnaques. Ils payaient le loyer à une personne qui louait pour eux, en pensant qu’il était le propriétaire. Et finalement il est parti avec l’argent » déplore la PAH.
Gagner du temps
Des histoires comme celles de Ruth, il y en a à la pelle dans la capitale catalane. Les expulsions sans logement de substitution proposé en retour, un fléau contre lequel la PAH lutte depuis 2009. « Personnes handicapées, âgées, mères seules, enfants en bas-âge…peu importe le profil, les expulsions se font quand même. La seule chose qu’on peut faire, c’est gagner du temps, pour trouver un nouveau logement à ces personnes. Mais c’est très difficile » se lamente Cristina, retraitée et activiste au sein de l’association.
Ruth, rejointe entre-temps par son mari, finit par éclater en sanglots à l’arrivée des huissiers de justice. Une négociation commence avec la PAH, mais qui n’aboutit pas. La famille pourrait être expulsée dans quelques heures. « Je crois que je vais partir, je ne veux pas voir ça » se lamente Cristina.
Une voiture des Mossos d’Esquadra se gare devant l’immeuble quelques minutes plus tard. Le sort de la famille semble scellé, les visages se ferment. Les négociations reprennent, avec les mêmes arguments avancés par chaque partie. Puis les deux fonctionnaires de police repartent. Les sourires se dessinent sur les visages des militants. « Il n’y a pas assez d’effectifs de police, l’expulsion est reportée au 12 décembre!« . Un soulagement temporaire « cette nouvelle date nous laisse le temps de trouver une alternative » souffle Ruth dans les bras de son fils aîné, venu soutenir sa mère.
Après une discussion avec les huissiers, Alexis, son frère et sa sœur viennent serrer la main aux locataires « je suis vraiment désolée de la situation, je n’ai jamais voulu ça » lâche Ruth. Une nouvelle date butoir pour les parents et leur 4 enfants, 15 jours supplémentaires au cours desquels la PAH va lutter pour leur trouver un logement durable. Mais rien n’est garanti.