L’Espagne est passée de l’un des taux de fécondité les plus élevés d’Europe, à l’indice le plus bas de la zone UE en 2021. Instabilité financière, projets de carrière incompatibles avec la gestion d’une famille ou encore volonté de ne pas avoir d’enfant, les Espagnoles sont de plus en plus nombreuses à renoncer à la maternité. Un phénomène qui risque à moyen terme de mettre en danger l’équilibre du pays.
Photos : Clémentine Laurent
« Je suis bien dans ma vie. J’ai un emploi stable, un compagnon avec qui je suis en couple depuis 6 ans, un appartement et une vie sociale remplie. Je ne ressens pas le besoin de faire un enfant, je suis très heureuse sans ! » explique Maria 29 ans, professeur de langues et littérature à Barcelone.
Comme Maria, elles sont de plus en plus à déclarer ne pas avoir le désir d’être mère, un peu plus de 10% en 2022. D’autres comme Elena, affirment ne pas vouloir mettre leur vie professionnelle de côté pour fonder une famille. « Je sais que si je tombe enceinte, je vais potentiellement rater des opportunités, alors que j’ai travaillé dur pour en arriver là où je suis, je ne veux pas freiner ma carrière« , affirme cette trentenaire, cadre au sein d’une entreprise d’énergie.
En 2022, alors que les femmes ont de plus en plus accès à des postes à responsabilités, nombre d’entre elles ne sont plus prêtes à mettre de côté leurs ambitions professionnelles pour fonder une famille.
Instabilité et incertitudes quant à l’avenir
Si pour certaines c’est une décision réfléchie, pour une part importante d’entre elles, c’est en revanche une situation imposée. Elles auraient aimé ou voudraient en avoir, mais n’en n’ont tout simplement pas les moyens matériels ni financiers. Et pour celles qui en ont, elles se limitent de plus en plus souvent à un seul enfant, conçu toujours plus tard en Espagne où l’âge moyen de la première maternité est de 31,2 ans, chiffre le plus élevé d’Europe après l’Italie.
Et pour cause, les Espagnols prennent leur indépendance relativement tard, à 29,8 ans en moyenne, là où les jeunes Français quittent le foyer familial à 23,6 ans. Alors forcément, tout est retardé, et les projets familiaux reportés le temps d’avoir une stabilité conjugale et financière. Et lorsque cette dernière est enfin acquise, c’est souvent trop tard pour avoir un enfant.
Avec l’incertitude économique des débuts de carrière en Espagne, la multiplication des contrats instables, l’important taux de chômage des jeunes et les prix exorbitants des loyers, il est aujourd’hui difficile de s’imaginer un avenir avec des enfants pour de nombreux jeunes. Et ce n’est pas comme si l’Etat espagnol incitait ses citoyens à relancer le taux de natalité.
Il existe certes des aides, les familles nombreuses peuvent bénéficier de déductions d’impôts et de plusieurs réductions pour les loisirs et transports, les plus pauvres ont accès à des allocations familiales, même chose pour les mères isolées ou les parents au chômage en fin de droits. Mais ce sont des aides d’urgence, octroyées uniquement à des personnes se trouvant dans des situations financières très difficiles. Et pour les obtenir, il faut être persévérant, et surtout patient. Bref, des efforts sont faits, mais qui restent largement insuffisants pour inciter les Espagnols à faire des enfants.
Peu d’enfants, peu de futurs travailleurs : une économie en danger
Pourtant, les conseils régionaux qui gèrent les aides sociales, auraient tout intérêt à développer des politiques en ce sens. Avec la baisse de la natalité en Espagne (le taux le plus bas depuis 1939 a été enregistré en 2021), il en résulte une diminution de la population, qui, en l’absence de flux migratoires compensatoires, se traduira à moyen terme par un manque de main d’oeuvre, et une pénurie de personnels pour fournir les services les plus essentiels à la population.
Un marché du travail complètement déséquilibré avec une insuffisance de ressources économiques pour financer le système de sécurité sociale attend l’Espagne si rien n’est fait pour inverser la tendance dans les prochaines années. Un scénario qui mettrait en péril toute l’économie espagnole, mais qui risque de se réaliser si le pays ne se donne pas les moyens de ses ambitions.