La Conférence épiscopale espagnole vient de mettre en place un site Internet dédié à la lutte contre la pédophilie au sein de l’Eglise. Des outils pour accompagner les victimes et mieux sanctionner les agresseurs, alors qu’aucune enquête de grande ampleur n’a encore été menée en Espagne. Un sujet sur lequel, malgré les annonces faites, le tabou domine encore.
Photo : GnDiario
Œuvrer pour la protection des mineurs et la prévention des abus, c’est l’objectif du nouveau site Internet lancé en octobre par l’Eglise espagnole. « Nous travaillons sans relâche depuis plus d’une décennie pour éliminer ce fléau et accueillir au mieux les personnes qui ont souffert. Avec ce site, nous faisons un pas de plus pour poursuivre la lutte contre les abus et protéger la dignité des victimes » explique Juan José Omella, archevêque de Barcelone et président de l’institution.
Si l’Eglise espagnole affiche sa volonté de faire toute la lumière sur les agressions sexuelles commises en son sein, très peu d’actions ont été menées en ce sens jusque-là. Un manque de transparence dénoncé par les associations de victimes « Si on voulait vraiment chercher les victimes, on les trouverait. Le problème est que personne ne veut le faire. Il faut se lancer dans une recherche active, faire une enquête auprès des mineurs pour savoir s’ils ont souffert d’abus. Mais est-ce qu’on veut vraiment les écouter ? Pour le moment, ce n’est pas clair » s’interroge Manuel Barbero, responsable de l’Association Man Petites, qui lutte contre les abus sexuels commis sur les mineurs.
Une institution assez opaque
En France, une commission indépendante en collaboration avec l’Eglise a été menée, aboutissant au rapport Sauvé. Plus de 200 000 victimes depuis 1950 ont été identifiées, et 20 millions d’euros ont été rassemblés afin d’indemniser les victimes. Des initiatives similaires ont été mises en place en Allemagne, en Irlande ou encore aux Etats-Unis, permettant une remise en question de l’Eglise et une reconnaissance de sa responsabilité dans les crimes commis.
Mais en Espagne, aucune enquête de ce type n’a encore vu le jour. Pas de données officielles, pas de registre des victimes ni des agresseurs, ou encore d’estimations réalisées sur l’ampleur du phénomène. « L’Eglise doit se lancer dans ce processus, mais elle a peur, elle veut se protéger et c’est pour cette raison qu’il y a si peu de cas investigués » regrette Manuel Barbero. Le président de l’association Mans Petites est le père du premier élève qui a dénoncé le pédophile Joaquim Benitez, professeur d’éducation physique au sein de l’école catholique Los Maristas à Barcelone, géré par l’Eglise.
Ce sont en tout 43 élèves qui ont dénoncé des faits de viols, attouchements, fellations et masturbations imposées de la part de douze professeurs, sur une période de 30 ans. Mais seul Joaquin Benitez a été condamné, à 21 ans et 9 mois de prison. Et ce n’est que 3 ans après son procès survenu en 2019, et plus de 6 ans après les premières dénonciations que l’ancien professeur est finalement entré en prison pour purger sa peine.
« Il y avait 25 dénonciations qui pesaient sur lui. Mais au sein des Maristas, on sait qu’il y aurait plus de 2000 victimes et l’enquête n’a été menée seulement sur 78 d’entre elles. Il y a une réelle disproportion entre le nombre de victimes déclarées par l’Eglise et la réalité des faits » souligne Manuel Barbero.
Joaquin Benitez lors de son procès
L’institution catholique assure quant à elle « promouvoir la tolérance zéro et la transparence complète » en la matière, afin de lutter contre ce qu’elle qualifie de « très grave délit« . Collaboration avec les autorités civiles, expulsion du clergé des coupables, et mise en place d’une enquête systématique lors d’une dénonciation. Ce sont les règles que la Conférence épiscopale espagnole a édicté en matière de lutte contre les agressions sexuelles. Encore faut-il que les autorités civiles s’engagent activement dans le processus.
20% de victimes de pédophilie dans la société
Car si la Catalogne a été la première région d’Espagne en avril dernier à créer une commission parlementaire spéciale dédiée aux abus commis au sein de l’Eglise, c’est pour le moment l’inaction qui prédomine « Elle a fait plusieurs propositions, mais ils n’ont toujours pas commencé à travailler. Six mois après, rien n’a encore été fait, les partis politiques ne se sont pas réparti les tâches, ni les moyens, et on ne sait toujours pas quelle méthode a été choisie » se lamente le responsable de Man Petites.
Une institution ecclésiastique peu prompte à dénoncer et sanctionner les agresseurs présents au sein de ses rangs, un gouvernement peu réactif, et un délai de prescription toujours existant sur les crimes sexuels. Au final, seulement une dizaine de cas font l’objet d’une enquête en Catalogne, alors que le nombre de victimes est estimé à plusieurs milliers. « Plus qu’une réparation, les victimes attendent aujourd’hui une reconnaissance publique des faits. Il est inacceptable qu’en 2022 la société ne soit pas capable de se mettre à disposition des victimes » regrette Manuel Barbero.
Photo : Monica Moreno
Il est alors plus qu’urgent d’agir pour endiguer la pédophilie au sein des institutions religieuses et de la société plus globalement, lorsqu’on sait qu’un enfant sur cinq a déjà subi une agression sexuelle avant ses 17 ans.