En ce 1er octobre 2022, 5 ans après le référendum non autorisé, la Catalogne n’est toujours pas indépendante. En revanche, elle est la grande nation du football reconnue internationalement grâce au FC Barcelone, l’institution catalaniste entrée dans la légende
Que l’on soit fan de football ou non, le Barça sonne familier pour chacun. Pour les touristes, le Camp Nou est presque un passage obligé. Pour les résidents, le club fait partie de l’identité de la ville, allant de pair avec son histoire. Emblème de la Catalogne, le FC Barcelone s’est érigé en défenseur du catalanisme. « Mès que un club », le Barça plus qu’un club, une institution.
« In-inde-independencia! » clament les supporters blaugrana lors des matchs de leur équipe, précisément à la 17e minute et 14e seconde. Les drapeaux indépendantistes se lèvent, les voix s’élèvent, et le stade se fige hors du match le temps de quelques secondes. À ce moment précis, ce qui se passe sur le terrain importe peu, la politique prend le pas pour commémorer la chute de la Catalogne dans le giron espagnol en 1714.
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Il ne passe ainsi quasiment pas un match sans que le Camp Nou ne se fasse le porte-voix d’une cause politique. Supporter le Barça au stade, c’est aussi pour beaucoup exprimer ses opinions sur des sujets qui vont bien au-delà d’enjeux sportifs. Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut remonter aux origines du club, qui s’est dès le début investi sur le terrain glissant du catalanisme, flirtant avec l’indépendantisme. Une implication aussi saluée que controversée.
Fondé par un étranger catalanophile
1899. Barcelone est en plein essor industriel et attire de nombreux investisseurs étrangers. Parmi eux, Hans Gamper, comptable suisse et amateur de football. Seulement quelques mois après son arrivée au sein de la capitale catalane, il publie une annonce dans le journal Los Deportes, annonçant la création d’un nouveau club, et appelant ainsi les joueurs intéressés à s’y joindre. En majorité formée d’étrangers, l´équipe stabilisera son effectif par la suite avec une moitié de joueurs de nationalité espagnole, et une autre moitié venue de l’ensemble de l’Europe.
Rapidement, Hans Gamper devient une personnalité intégrée à la vie barcelonaise, et particulièrement apprécié des catalanistes « Il parlait de la Catalogne comme un territoire à part entière où il voulait développer ses activités. Il venait de Suisse où le pays fonctionne avec des cantons, et il appliquait cette même vision à la Catalogne » explique Pau Moncho, historien.
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Mais c’est dans les années 1910 que le club se structure, se professionnalise, en même temps qu’il affirme son identité catalane. À cette époque, les volontés de créer plus d’autonomie politique en Catalogne prennent de l’ampleur, et le FC Barcelone y apporte son soutien. Le club décide au même moment d’abandonner le castillan pour le catalan, qu’il utilise jusqu’aujourd’hui dans toute son administration et sa communication. Ainsi, pour beaucoup de supporters, soutenir le Barça était davantage une revendication identitaire qu’une passion pour le jeu.
Une « espagnolisation » du club sous Franco
Une implication politique du club et de ses fans, qui s’est renforcée dans les années de la dictature de Primo de Rivera. En 1925, à l’occasion d’un match officiel, l’hymne espagnole est sifflé. En réaction, les autorités ferment le stade, Hans Gamper, devenu entre temps Joan Gamper, est menacé, accusé de militer pour l’indépendance, et contraint de quitter sa terre d’adoption.
Puis arrivent les années 30 et la dictature de Franco « Dès son arrivée au pouvoir, il s’est attaché à faire disparaître les identités régionales, effacer les symboles catalans, ‘espagnoliser’ le club et faire taire toutes les revendications catalanistes » souligne Pau Moncho. Le président du FC Barcelone est imposé par les autorités franquistes, et durant cette période d’oppression culturelle, le club devient un siège du catalanisme.
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La devise « Mes que un club », plus qu’un club, se forge dans les années 50 avec une double signification. Elle peut être entendue au sens sportif, comme une volonté de marquer la passion pour le football, durant cette période où le club rayonne en Europe avec le recrutement de l’attaquant hongrois Laszlo Kubala. Mais c’est surtout, et une nouvelle fois, un marqueur du catalanisme : le FC Barcelone réaffirme son rôle de défenseur de l’identité catalane par cette subtile devise.
Au Barça, politique et football ne font qu’un
Avec la fin du franquisme et l’arrivée de la démocratie en Espagne, le Barça peut retrouver officiellement ses symboles catalans et s’impliquer à nouveau politiquement sans risquer d’être sanctionné par Madrid. La légende du club, au-delà des frontières de la Catalogne et de l’Espagne, se forge à cette époque qui coïncide avec des résultats sportifs exceptionnels. L’arrivée de Johan Cruyff, considéré comme le meilleur joueur d’Europe à ce moment contribue à propulser le club parmi l’élite.
En plus de ses talents de footballeur, l’international néerlandais est particulièrement apprécié pour son adaptation à la vie catalane, et son soutien apporté à la cause. « Je suis hollandais, mais je m’identifie aux gens, à la culture et aux traditions de la Catalogne » avait-il déclaré. Il s’est ainsi prononcé en faveur du statut d’autonomie de la région, a accepté de jouer pour la sélection nationale de Catalogne, et comme geste symbolique, a donné le prénom catalan « Jordi » à son fils.
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Une implication politique dans la lignée de l’esprit de Joan Gamper, qui est devenue au fil des années une norme parmi les joueurs du FC Barcelone, en particulier les Catalans de naissance. « Ils sont en quelque sorte obligés de s’exprimer sur la question, on fait d’eux les porte-parole du sentiment national » explique Pau Moncho.
Vainqueur du Championnat d’Espagne, de la coupe d’Espagne, de la Ligue des Champions, de la Supercoupe d’Espagne…En 30 ans, le club remporte plus d’une trentaine de titres, le propulsant comme l’un des meilleurs clubs de football au monde. L’arrivée de joueurs emblématiques comme l’Argentin Diego Maradona, le Bulgare Hristo Stoichkov, ou encore le Brésilien Ronaldinho popularisent le club à l’international, faisant de ce dernier l’un des plus suivis au monde.
L’équipe se renforce au fil du temps avec de plus en plus de joueurs et d’entraîneurs venus de l’étranger, mais sa dimension politique reste toujours intacte. L’éclosion de « la Pulga », Leo Messi, et l’apogée sportive connue sous l’ère Guardiola au début des années 2010, ont lieu au même moment que le regain indépendantiste en Catalogne. Et c’est alors que ses joueurs catalans stars, à l’image de Johann Cruyff, se sont naturellement exprimés sur la question. Xavi, Carles Puyol ou encore Gerard Piqué prennent encore régulièrement position sur ces questions politiques.
« Pour beaucoup de Catalans, comme il n’y a pas de sélection nationale, le FC Barcelone en est comme une équivalence. Au Camp Nou, à l’inverse des autres stades, il n’y a pas le drapeau espagnol qui flotte aux côtés de celui du club et de la Catalogne. Cette absence, c’est un marqueur fort » conclut Pau Moncho.