1er octobre 2022. Il y a 5 ans la Catalogne organisait son référendum indépendantiste non autorisé par Madrid. La bataille contre l’État espagnol perdue, aujourd’hui les indépendantistes se dévorent entre eux.
Le vieux parti de centre-droit fondé en 1981 par le président Jordi Pujol et réformé par Carles Puigdemont en 2017 est sur le point de faire imploser le gouvernement catalan présidé par l’indépendantiste de gauche Pere Aragonès. Le centre-droit, Junts et la gauche ERC, frères ennemis sur l’échiquier politique depuis 50 ans, sont obligés de gouverner ensemble au nom du processus indépendantiste.
Le problème réside dans le fait que les deux mouvements sont sur la même cible électorale : les 2 millions de Catalans qui votent pour le projet séparatiste. Croche-pieds, coups tordus, éditos incendiaires dans les journaux, fuites dans la presse : pas un jour ne passe sans que la guerre larvée entre les deux compétiteurs ne fasse de nouvelles victimes. Mais, cette semaine, la bataille est montée jusqu’au plus haut sommet des institutions catalanes : contre le président de la Generalitat Pere Aragonès et son gouvernement.
Changements de stratégies
En 2017, la stratégie indépendantiste était claire : désobéir à l’État espagnol, monter un référendum interdit par Madrid et déclarer l’indépendance. Face au fiasco de l’opération (nul soutien international et peine de prison pour tous), la gauche indépendantiste ERC change de stratégie et pense qu’il faut négocier activement avec Madrid quitte à soutenir le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez. Junts sous l’influence de Carles Puigdemont croit au contraire qu’il faut continuer à mettre la pression à l’Espagne en multipliant les provocations.
Le 14 février 2021, la stratégie d’ERC a été validée d’une courte tête lors des élections catalanes où le parti est arrivé légèrement devant Junts. Pere Aragonès était légitime pour devenir le nouveau président de la Catalogne. Faute de majorité parlementaire, il lui faudrait le soutien de Junts qui occuperait la moitié des ministères.
La bataille au plus haut niveau des institutions
14 mois plus tard, l’aile la plus radicale de Junts attaque violemment Pere Aragonès : soit il ressuscite le processus indépendantiste, soit il y aura une tentative de destitution par le parlement via le système de question de confiance. Il faudra moins de 24 heures au chef du gouvernement pour expulser jordi Puigneró, le vice-président de l’exécutif et homme fort de Junts. Pere Aragonès le tient pour responsable de la menace de la question de confiance. Ainsi, le président de la Generalitat montre la porte de sortie à Junts.
Ce jeudi, après des heures de réunion, le mouvement indique qu’il organise une consultation de ses 4.000 adhérents pour répondre à la question : faut-il ou non quitter le gouvernement ? Si Junts ne retire pas ses 6 ministres et son soutien à Pere Aragonès immédiatement, c’est que la question est complexe.
Le réseau municipal
Junts est l’héritier politique de Convergencia. Fondé par le président Pujol, le parti gouverna la Catalogne de 1981 à 2001 et de 2011 à 2018. Il détient un puissant réseau de maires surtout dans la Catalogne rurale. C’est un parti de gouvernement, de pouvoir, habitué au pragmatisme et à la négociation. Son secrétaire général Jordi Turull est passé par toutes les cases : chef de la majorité parlementaire, ministre de Carles Puigdemont puis la prison suite au référendum. Il manœuvre pour que Junts reste au gouvernement.
Formé à l’école Pujol, Jordi Turull sait que le parti se retrouvant dans l’opposition à tout à perdre. Les municipales de mai prochain seront un nouveau chapitre de la concurrence entre ERC et Junts. Posséder le pouvoir gouvernemental se révèle être un excellent outil pour subventionner les projets des mairies, participer à des inaugurations et jouir du spectre médiatique. Laisser tout le champ à ERC est un risque majeur.
Les salariés du parti
Par ailleurs, plus de 300 hauts fonctionnaires de Junts sont actuellement salariés par la Generalitat occupant des postes de directeurs de cabinet, responsables de communication, secrétaires généraux dans l’administration. etc… En cas de sortie du gouvernement, tous les postes à responsabilités seront occupés par le parti aux affaires, c’est-à-dire ERC.
Selon l’organisme de transparence du gouvernement, la somme totale salariale s’élève environ à 23 millions d’euros annuels. Autour de Turull, la vieille garde de Convergencia plaide pour calmer le jeu et rester sous les ors des palais de la Generalitat.
Romantisme épique indépendantiste
Cependant depuis 2017, le parti a profondément muté sous l’influence de Carles Puigdemont. La radicalité du processus indépendantiste a attiré des profils sans expérience politique, comme l’incarne l’égérie du mouvement : Laura Borràs. Idéologiquement très marquée par un romantisme épique indépendantiste, en permanence à fleur de peau, influencée et influenceuse sur Twitter, cette génération se moque éperdument des hauts fonctionnaires du parti et de la gestion d’un réseau d’élus municipaux.
La règle d’or est le coup d’éclat permanent, le buzz et l’action coup de poing. Aujourd’hui présidente de Junts, Laura Borràs souhaite une sortie expresse du gouvernement catalan et mitrailler depuis l’opposition Pere Aragonès. Les adhérents du parti auront le dernier mot les 6 et 7 octobre.
Le cas de Barcelone
Par ailleurs, la bataille aura des répercussions sur la ville de Barcelone. L’ancien maire, Xavier Trias, veut récupérer son siège au conseil municipal et se présenter sous les couleurs de Junts en mai prochain. Pragmatique, il milite pour que le parti reste au gouvernement et, pour redevenir maire, plaide pour une grande alliance qui passerait par les socialistes.
Bonus – Le processus indépendantiste en Catalogne : les moments clés
Depuis 1979, la Catalogne est officiellement une communauté autonome d’Espagne. Elle est régie par un statut autonomique, sorte d’avenant à la Constitution espagnole qui offre certaines compétences en matière d’éducation, de sécurité, de transport et de santé.
En 2005, face aux demandes permanentes de la Catalogne de voir ses compétences élargies, notamment en matière de fiscalité, le gouvernement espagnol socialiste de Jose Luis Zapatero a réussi à nouer un grand pacte avec les socialistes catalans (PSC), la gauche républicaine (ERC) et la droite nationaliste (CiU) pour donner plus de prérogatives à l’autonomie catalane.
En 2010, suite à un recours de la droite, le nouveau statut d’autonomie est largement retoqué et vidé de sa substance par le Conseil Constitutionnel. Les nouvelles prérogatives fiscales sont annulées.
A partir de 2011, avec les manifestations d’indépendantistes dans la rue qui prennent de l’ampleur. Artur Mas arrive au pouvoir et soutient les protestations.
Le 9 novembre 2014 sous l’impulsion du gouvernement d’Artur Mas a lieu en Catalogne une grande consultation populaire ayant pour question « souhaitez-vous que la Catalogne devienne un état indépendant ? » Plus de deux millions de Catalans participeront, et le oui gagnera largement à plus de 80%. L’initiative a été tolérée par Madrid, Artur Mas s’étant engagé à ne pas déclarer l’indépendance suite à cette consultation. Ce qui ne l’empêchera pas d’être sanctionné par la justice et d’écoper une peine d’inéligibilité de 9 ans et d’une lourde amende.
Lors de la campagne électorale du scrutin catalan de septembre 2015, les partis souverainistes s’engagent à déclarer l’indépendance en 18 mois s’ils gagnent les élections.
En janvier 2016 Carles Puigdemont est investi président de la Catalogne. Les partis nationalistes veulent organiser un référendum avant de déclarer l’indépendance.
Le 1er octobre 2017 a lieu le référendum indépendantiste interdit par Madrid. 2 305 936 de personnes votent dans une ambiance de fin du monde avant de violentes charges policières pour empêcher la tenue du scrutin. Le oui à la question « voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? » gagne à 90,18 %.
Le 27 octobre 2017, le parlement catalan vote une motion reconnaissant l’indépendance de la Catalogne. Au même moment, l’Espagne via l’article 155 de la Constitution espagnole destitue Carles Puigdemont et son gouvernement et convoque des élections catalanes pour le 23 décembre 2017.
Le 30 octobre 2017 , Carles Puigdemont et une partie de son gouvernement se réfugient en Belgique.
Le 2 novembre 2017, les membres du gouvernement Puigdemont qui sont restés sur le territoire espagnol sont incarcérés.
Le 23 décembre 2017, les indépendantistes gagnent les élections.
Le 17 mai 2018, face à l’impossibilité de Carles Puigdemont de revenir en Catalogne, l’un de ses très proches, Quim Torra, devient président de la Catalogne et forme un nouveau gouvernement indépendantiste.
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Durant le mois d’octobre 2019, suite au verdict judiciaire , la Catalogne vit des nuits d’émeutes comme elle n’en a pas connues depuis un siècle.
Le 28 septembre 2020, Quim Torra destitué de son poste de président de la Catalogne pour ne pas avoir respecté la neutralité politique durant la campagne électorale des municipales et des européennes en mai 2019.
Le 14 février 2021, lors des élections catalanes, l’indépendantisme obtient une nouvelle majorité parlementaire. Le prochain président sera Pere Aragonès.
En juillet 2021, les prisonniers indépendantistes sont graciés par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez.