De nombreuses productions agricoles sont compliquées par le dérèglement climatique, en Catalogne, avec en première ligne les vignobles. Le goût et la teneur en alcool des vins catalans est déjà en train de changer.
Depuis plusieurs mois déjà, un produit alimentaire assez commun manque dans les rayons des supermarchés français : la moutarde. La pénurie est due à plusieurs facteurs, dont le bien connu changement climatique, qui est en train de devenir un problème majeur dans beaucoup de secteurs. Ainsi, en Catalogne, il n’est pas exclu que d’autres produits viennent à manquer, à l’avenir, à cause du dérèglement climatique.
Pour preuve, il a déjà des conséquences aujourd’hui sur les cultures dans la région. La hausse des températures, les longues sécheresses, ou encore les épisodes météorologiques violents tels que des fortes pluies ou les averses de grêle impactent la production, affirment les syndicats agricoles de la région.
C’est par exemple le cas des pommes : suite aux fortes chaleurs de cette année, la récolte est moins importante, et les pommes seront plus petites, moins colorées mais plus sucrées, tout comme les poires. Et ce ne sont pas les seuls fruits concernés. De très nombreuses cultures sont compromises par le dérèglement climatique en Catalogne, ce qui altère non seulement la quantité des récoltes, mais aussi la qualité des produits, ou encore la saison durant laquelle ils sont récoltés. Les céréales, par exemple, arrivent à maturité plus tôt s’il fait chaud, et les récoltes sont réduites s’il ne pleut pas assez, selon le magazine spécialisé Consumer.
Des hivers moins froids qui réduisent la quantité de fruits
Les hivers moins froids affectent aussi les arbres fruitiers, notamment les pommiers, les poiriers et les pêchers qui ont besoin de températures basses pour fleurir. « Cette année, le temps peu clément au printemps a provoqué une réduction de la récolte de fruits comme les pêches, nectarines… venant de Lleida, et beaucoup consommées en Catalogne en été« , précise Antonio García, directeur commercial de Mercabarna, principal grossiste à Barcelone. « Nous l’avons remarqué pendant l’été, avec des produits qui nous arrivaient en moins grandes quantités, avec une moins bonne qualité et un prix plus élevé que la normale. » La demande de pêches et nectarines s’est équilibrée cet été avec l’arrivée d’autres productions, mais les conséquences du changement climatique sont donc bien présentes.
“S’il fait trop chaud en été, certaines variétés peuvent brûler, et le calibre des fruits sera réduit”, explique Sergi Balué, représentant des producteurs de fruits du syndicat des Jeunes agriculteurs et éleveurs de Catalogne. “Les saisons s’avanceront ou se retarderont aussi, et elles seront plus courtes. Actuellement, on peut proposer des pommes pendant un mois, mais dans le futur ce ne sera plus que pendant 15 jours.”
Vergers de pêchers en fleurs, à Aitona. Photo : De ruta en família
C’est aussi le cas pour les champignons, qui sont en avance cette année suite aux pluies du mois d’août, ou encore les fruits secs, qui ont mûri plus tôt suite à la chaleur cet été, mais dont le calibre est réduit, explique le producteur Xavier Cullerés, du même syndicat agricole. Son exploitation se trouve dans la zone del Segrià, près de Lleida, sur des terres non irriguées. Il explique que le changement climatique impacte fortement sa production : “Avant, les récoltes étaient plus régulières, mais nous venons de vivre 20 ans de sécheresses et de pluies torrentielles ; elles sont encore plus intenses maintenant. Par conséquent, les récoltes sont aussi plus irrégulières. Une année, on a une surproduction, et la suivante la récolte est très réduite”.
Mais la production la plus impactée reste celle du raisin, en particulier pour le vin. Cette année, les températures extrêmes observées en Catalogne font estimer aux viticulteurs une perte d’environ 25 % de leur production. La chaleur avance au fur et à mesure la saison des vendanges, et a un impact sur le raisin en lui-même et sur le vin : la chaleur le rend déjà plus sucré et plus alcoolisé, ce qui risque de modifier les vins des dénominations d’origine protégée que l’on connaît aujourd’hui en Catalogne. Entre 2050 et 2070, la saison des vendanges pourrait être retardée d’un mois, selon une étude.
Face à ces aléas et pour répondre à la demande en fruits, légumes et autres productions alimentaires en Catalogne, les grossistes multiplient les fournisseurs. Résultat : seulement 20 % des fruits et légumes vendus par Mercabarna sont catalans, le reste étant importé depuis d’autres pays d’Europe et du monde ou d’autres régions espagnoles, explique le directeur commercial. « Depuis de nombreuses années, la production catalane ne suffit plus à répondre complètement à la demande des consommateurs fournis par Mercabarna« , justifie-t-il. « Les gens veulent aussi des ananas, des bananes, d’autres fruits exotiques, des tomates, des poivrons… toute l’année, bien que ce ne soit pas la saison et que cela ne soit pas produit en Catalogne. » L’entreprise est pleinement consciente des conséquences du changement climatique, et développe des projets mettant en valeur les aliments locaux et produits de façon durable, mais dit avant tout devoir répondre à la demande, ce qui implique d’importer quand cela est nécessaire.
“Déménager” les cultures à la montagne
L’une des solutions face à ce problème pourrait être de “déménager” les cultures plus au nord, ou à la montagne où il fait plus frais, pour éviter de faire subir aux vignes les pics de chaleur. Mais pour Josep Carles Vicente, responsable d’organisation du syndicat agricole Unió de Pagesos, là n’est pas la solution, car la vigne peut aussi mourir de froid.
Selon lui, c’est toute une nouvelle stratégie que les agriculteurs doivent mettre en place pour faire face au changement climatique, comme par exemple stocker plus d’eau, mais tout cela avec l’aide des gouvernements catalan et espagnol. “Il y a des choses qui sont faites, mais ce n’est pas suffisant”, affirme-t-il. “Nous avons certaines aides pour réduire les coûts de production par exemple, effectivement une porte a été ouverte, mais il faut continuer sur cette lancée.”
Des mangues en Catalogne
Beaucoup pourraient penser que si le climat se réchauffe en Catalogne, peut-être pourrait-on simplement cultiver d’autres produits plus adaptés, comme des fruits exotiques par exemple. Et loin d’être farfelue, cette possibilité est prise au sérieux par les agriculteurs.
“Avec l’augmentation des coûts de production liés aux efforts que nous devons faire pour protéger nos cultures des épisodes météorologiques extrêmes, certains agriculteurs se mettront peut-être à la culture de nouvelles variétés plus résistantes à la chaleur, la sécheresse, la floraison tardive… voire de nouveaux fruits”, explique Sergi Balué. “On n’avait encore jamais pensé à cultiver la mangue en Catalogne, mais on commence à en parler à Tarragone.” Dans le reste de l’Espagne, la culture de papayes, kakis ou encore avocats pourrait s’étendre jusqu’à Cadix ou même Valence, et voir d’autres pays européens prendre le monopole de cultures auparavant typiquement espagnoles, comme par exemple le Danemark qui commence à planter des oliviers.
Dans tous les cas, une adaptation de l’agriculture au dérèglement climatique est nécessaire. Les producteurs catalans parlent de couvrir certaines cultures pour les protéger du gel, les arroser plus, mettre en place des dispositifs anti-grêle… ce qui pourrait faire augmenter le coût de production, et donc les prix des fruits et légumes en supermarché, surtout si le rendement baisse, remarque le producteur de fruits. Mais pour ses deux homologues, le prix ne dépend pas seulement des coûts de production des agriculteurs. Ce sera aussi aux fonds d’investissement de faire des efforts pour que les prix des fruits et légumes catalans ne soient pas exorbitants dans le futur, et aux politiques de mettre en place les aides et la législation nécessaire pour que l’on puisse continuer à manger local, en Catalogne, malgré le changement climatique.
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