Chansons, série télévisée, film, livres… C’est tout le monde de la culture en Espagne qui lui a rendu hommage, chacun à travers son art. Presque admiré, il a pourtant été l’un des délinquants les plus poursuivis par la police, et a fini sa vie derrière les barreaux.
« El Vaquilla », littéralement « la petite vache », est le surnom singulier qui a été choisi pour Juan José Moreno Cuenca… à sa naissance. Il voit le jour en 1961 dans l’un des quartiers les plus pauvres de Barcelone, dans un lieu qui, selon son oncle, ressemblait à de « la merde de vache ».
Issu d’une famille recomposée de 8 enfants, il vit dans la pauvreté extrême toute son enfance. Progressivement, il voit dans le vol un échappatoire à cette misère, une manière de s’extirper du système qui l’a condamné à échouer. « On vole parce qu’on n’a rien. On vole pour manger, pour avoir au moins le minimum« , témoignait-il dans l’une de ses prises de parole.
El Vaquilla enfant, dans le film « Yo, el Vaquilla » (1985)
De la cour de récré à la cour des prisons
Il entre très tôt dans la délinquance. Des petits vols à l’âge de 9 ans auprès de ses camarades de classe, il décide rapidement de s’attaquer aux voitures, ce qui lui vaudra de commettre à l’âge de 12 ans son premier et seul homicide. Il s’attaque à une femme dans la rue pour lui voler son sac, puis prend la fuite à bord d’une voiture, elle aussi volée. Mais sa victime perd l’équilibre et tombe en plein milieu de la route au moment où El Vaquilla passe à vive allure.
Un an plus tard, il entre en maison de correction, où il enchaîne les séjours jusque sa majorité. Il se fait connaître pour sa faculté à voler des voitures alors qu’il n’est qu’un enfant. Il utilise à cette époque des coussins et des échasses lorsqu’il conduit car il n’était pas assez grand pour atteindre les pédales. Mais c’est surtout sa capacité à échapper à la police qui impressionne, durant de très longues courses poursuites.
Vols de voiture, braquages, effractions, évasions… Au-delà de sa carrière de délinquant, El Vaquilla devient une icône populaire, incarnant cette fraction de la société condamnée à sa perte car née pauvre.
Un modèle de résistance
Voler pour survivre, c’est ce pourquoi il était né. Juan tenait tête à la police comme pour défier le système qu’il dénonçait, celui qui instaure et renforce les inégalités, celui qui maltraite les plus faibles qu’il envoie en prison, selon ses dires. À ce titre, il deviendra également un symbole de lutte pour cette cause en organisant des mutineries en prison, afin de manifester contre les mauvais traitements qu’il y subissent, en particulier la torture.
Photo : La Vanguardia
El Vaquilla, c’est ce pouvoir de séduction inné, cette insolence affichée et cette soif d’être au centre de l’attention. Véritable étoile médiatique, sa personnalité ne laissait personne indifférent. Mais El Vaquilla c’est aussi cette face sombre, celle de l’addiction à l’héroïne dont il n’a jamais su se défaire, et qui l’a mené à sa perte.
Le vol organisé, pour subvenir aux besoins de sa famille et contourner le système, se transforme au fur et à mesure en vol pour se procurer ses doses d’héroïne, et c’est par ce biais qu’il contracte le SIDA. Le gamin victime de son quartier et de la société devient le drogué enfermé dans une spirale infernale, qui l’achèvera définitivement à 42 ans.
Mais le cinéma de la Transition fera de lui sa muse, le présentant comme « un délinquant au bon cœur ». Sa vie est devenu un mythe dont vont s’inspirer de nombreux chanteurs et écrivains. Le terme « El Vaquilla » est d’ailleurs rentré dans le langage courant, pour décrire les personnes aux caractéristiques similaires : d’origine modeste, problématiques en société, et difficilement adaptables. En soi, les « incasables », ceux qu’on ne saurait voir.