Le bikini n’est pas un maillot de bain, en Catalogne, mais une réplique du croque-monsieur. Et l’histoire de cette curieuse appellation remonte à il y a presque 70 ans.
Photo : Herald Sun
En Catalogne, le bikini ne se porte pas ; il se mange. Et à part la forme triangulaire, le bikini catalan n’a pas grand-chose à voir avec un maillot de bain, car il s’agit tout simplement d’un croque-monsieur classique. Pourtant, diverses circonstances dans l’histoire et autour du monde ont donné lieu à cet étrange nom, que l’on n’utilise qu’en Catalogne.
L’histoire commence aux États-Unis, à la fin du XIXème siècle. Le baseball est populaire, particulièrement à New York, mais les parties sont longues et les Américains aiment avoir de quoi grignoter. On distribue donc pour la première fois des sandwichs semblables à nos croque-monsieur d’aujourd’hui.
Quelques années plus tard, vers 1910 à Paris, le propriétaire d’un café très populaire invente lui aussi le croque-monsieur. Face à une pénurie de baguettes pour préparer les sandwichs des clients qui allaient ou revenaient de l’opéra tout proche (car l’action se situe Boulevard des Capucins), le propriétaire -un certain Michel- remplace la baguette par du pain de mie et passe le sandwich jambon-fromage au four. Le mets fait fureur, à tel point qu’on demande un jour à Michel : “Mais que mettez-vous dans vos sandwichs ?”, ce à quoi Michel aurait répondu : “De la viande de monsieur !”. Le croque-monsieur comme on le connaît aujourd’hui est né, un sandwich à la française, cuisiné avec de la béchamel s’il vous plaît.
Des essais atomiques qui donnent naissance au bikini
Pendant ce temps-là, la libération de la femme fait son petit bout de chemin (et on parle toujours bien de la même histoire). En Occident et aux États-Unis, dans les années 1920, 1930, 1940, les femmes osent petit à petit décider de ce qu’elles portent et désexualisent le fait de montrer leur peau. Jusqu’à ce qu’en 1946, deux designers créent un maillot de bain extrêmement court, qui laisse voir le nombril, les cuisses, presque tout le dos et même le décolleté (oh là là). Il est présenté au public quelques jours après des essais atomiques sur un atoll américain, Bikini Island, au beau milieu du Pacifique. Les designers donnent tout naturellement ce nom à leur création, qui doit faire l’effet d’une bombe. C’est la naissance du bikini -le maillot de bain, vous suivez ?
Premier bikini, porté par Micheline Bernardini. Photo : AFP/Getty Images
À cette époque, le bikini est donc quelque chose de très osé, voire vu comme vulgaire dans l’Espagne très puritaine de la dictature franquiste. Alors, lorsqu’une salle de bal ouvre ses portes en 1953 à Barcelone, son nom lui présage un rôle important dans l’histoire locale : c’est la Sala Bikini.
La Sala Bikini, discothèque précurseur en Catalogne
Comment en arrive-t-on alors à renommer un sandwich “bikini”, en Catalogne ? Tout vient de cette fameuse salle de danse. Après son ouverture, la Sala Bikini devient rapidement un incontournable de l’avenue Diagonal : on y danse, mais on y passe aussi du bon temps sur la terrasse, au mini-golf, et on y déguste… des sandwichs, étrangement ressemblants aux croque-monsieur français, bien qu’ils n’aient pas de béchamel (rien n’est parfait). Les Barcelonais adorent ces “sandwichs de la maison”, qui se transforment rapidement en “sandwichs du Bikini” puis en… “bikinis”.
Sala Bikini, Barcelone.
Le “bikini” sous forme de sandwich est rapidement adopté par tous les Barcelonais, pas seulement les habitués de la salle de bal, et ensuite par les Catalans. Mais dans le reste de l’Espagne, ce nom ne prend pas : on appelle encore aujourd’hui le croque-monsieur un “sándwich mixto” ou tout simplement “mixto”, un nom qui vient… des États-Unis, et ainsi la boucle est bouclée. Ce seraient les Américains qui auraient importé leurs croque-monsieur des terrains de baseball de New York à Cuba, et mêlant jambon et fromage, les Cubains ont adopté ce “sandwich mixte” dont le nom a été repris ensuite en Espagne.
Voici comment un essai atomique dans le Pacifique, une salle de bal barcelonaise des années 1950, un sandwich de café parisien et un maillot de bain olé olé pour l’époque ont mené à ce que les Catalans mangent des “bikinis”. Et si l’histoire semble remonter à il y a bien longtemps, la Sala Bikini, elle, existe toujours et elle s’est transformée en discothèque, toujours à la même adresse, au 547 avenue Diagonal à Barcelone.
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