Au cœur de la Catalogne se cache un village des plus atypiques du nom d’El Fonoll. À 1 heure et demie de Barcelone, cette commune abandonnée est devenue en 1995 le premier village naturiste d’Espagne.
Fondé par un ancien homme d’affaires barcelonais, Emili Vives, ce village est bien plus qu’un club nudiste de vacances, c’est une véritable micro-société coupée du reste du monde. Elle possède même sa propre monnaie, le “coel”, équivalent à l’euro. Ici plane une réelle philosophie de vie où tout le monde vit en harmonie avec la nature et sans vêtements !
“Nous sommes marginaux, tout le monde autour le sait et globalement ils n’ont pas de problème avec ça”, explique le fondateur du village. Isolé et loin de tout, la commune la plus proche est à une demi-heure de route, le village n’est rattaché à aucun réseau d’eau, d’électricité et de ramassage des déchets. “On est complètement autonomes et détachés des services publics”, confie l’homme de 70 ans. Le village est donc doté de puits pour se procurer de l’eau potable et de panneaux solaires pour s’alimenter en électricité et en lumière. Equinox a dû s’accommoder de la météo pour contacter Emili Vives, qui ne pouvait répondre au téléphone que lorsqu’il y avait du soleil. Les habitants ont également un petit générateur pour avoir de l’électricité en hiver.
Sur 44 logements au total, environ 30 sont occupés à l’année. “On préfère être moins, car les ressources en eau et en électricité peuvent être très vite épuisées« , affirme Emili. Si une trentaine de personnes y vivent à l’année, le nombre d’habitants bondit en été et dépasse la barre des 100. On y retrouve des résidents à long terme, des bénévoles, qui travaillent deux à trois heures par jour pour être nourris et logés, et enfin des visiteurs de passage. “Mais depuis la pandémie, on a moins de monde, le village est un peu plus tranquille”, confie le septuagénaire.
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Des personnes du monde entier viennent à El Fonoll, “des Hollandais, des Australiens, on a même une fille originaire de Manille” ajoute le propriétaire. La seule condition pour faire partie de la communauté est de respecter certaines règles. Il est interdit de prendre des photos à l’intérieur du village, l’alcool est toléré mais avec modération. Il est également interdit de fumer dans les lieux “publics” de la commune, et la norme est bien évidemment de se déshabiller, même si les visiteurs occasionnels n’y sont pas forcés.
Après des années d’activité, le village a développé de nombreux services, dont un restaurant, un cinéma, une piste de danse, une bibliothèque, un sauna solaire, un salon de massage et une piscine.
Éduqué dans une famille naturiste, Emili Vives, ancien ingénieur en électronique, a tout financé pour que le village devienne ce qu’il est. L’œuvre de sa vie.
De la peste au nudisme, en passant par Vegas
Cette petite commune n’était, au départ, pas destinée à devenir un complexe naturiste. D’abord touché par la peste noire en 1349, le village voit tous ses habitants décéder avant de devenir désert. Un temps habitées par des Français originaires du Roussillon, les maisons d’El Fonoll ont à nouveau été laissées vides. Mais dans les années 1930, juste avant la guerre civile, certaines maisons sont utilisées comme repères pour des jeux d’argent. El Fonoll devient alors le mini Las Vegas illégal de Catalogne. Mais la guerre mettra un terme à cette belle époque en rasant une bonne partie du village, le laissant en ruine et abandonné de nouveau.
En 1967, il est racheté par un phalangiste, adepte d’un courant politique autoritaire proche du franquisme, qui utilisait le bois des forêts environnantes et ce qui restait des ruines pour les revendre. Ses héritiers ont ensuite vendu le village à quatre chasseurs, qui l’ont transformé en un terrain de chasse privé. L’un d’eux faisait des affaires avec l’entrepreneur barcelonais, Emili Vives, et lui a vendu le village en 1995.
Si le prix d’acquisition est encore tenu secret, le propriétaire a avoué qu’il s’agissait de l’équivalent de ce que coûtait un appartement à Barcelone à l’époque. “Quand j’ai racheté le village je n’avais pas encore la volonté d’en faire un endroit naturiste, mon seul objectif était de le reconstruire” confie le propriétaire. C’est après avoir vécu deux ans dans une caravane et ressuscité le village, que “l’idée d’en faire un lieu naturiste m’est venue, il a fallu alors faire quelques modifications » ajoute Emili Vives. Mais le plus difficile était de rendre le projet légal.
Des difficultés légales
Aujourd’hui, le village appartient à la municipalité de Passanant en tant que hameau. “Lorsque j’ai présenté le projet à la Generalitat, ils m’ont recommandé de supprimer le mot naturiste si je voulais que les choses se passent bien, mais je n’ai pas écouté”, confie le Catalan. Il en a connu les conséquences pendant des années. Après sa longue bataille judiciaire, avec les administrations publiques, les municipalités voisines et même le prêtre du village, Emili Vives a pu réaliser son projet grâce à la règle du “silence vaut accord”, qui a joué en sa faveur. Pour autant, El Fonoll n’est pas reconnu comme un village à part entière et n’est pas connecté aux services publics.
Mais l’histoire se répète pour le septuagénaire. Ce dernier a racheté un autre village pour en faire un lieu créatif dédié aux artistes, mais il se voit confronter aux mêmes problèmes administratifs que pour El Fonoll. Un nouveau défi pour Vives, qui se montre cette fois un peu moins optimiste.