Passée l’exaltation de la nouveauté, certains expatriés français ont tendance à évoquer leur pays d’origine avec une pointe de nostalgie, une idéalisation parfois, et jusqu’à un véritable mal du pays. Décryptage.
Photo : Anaëlle Petot/Equinox
« Depuis que je suis loin de toi, je suis comme loin de moi, et je pense à toi là-bas, oui j’ai le mal de toi parfois », chantait Michel Polnareff à la France en 1973, pendant son exil fiscal en Californie. Un demi-siècle plus tard, la multiplication des lignes aériennes et l’arrivée d’Internet permettent aux expatriés de garder un lien plus fort avec leur terre natale, mais la nostalgie reste bien présente. Elle est d’ailleurs tout à fait naturelle.
L’expatriation est « une mise entre parenthèse d’un mode de vie passé, explique Nicolas Laheurte, psychothérapeute français à Barcelone, c’est une aventure qui demande un certain courage, il faut pouvoir laisser derrière soi ses liens affectifs et envisager d’en développer de nouveaux ». Mais le lien national ne disparait jamais, et peut conduire à un mal du pays plus ou moins maîtrisé. Derrière ce sentiment se cache souvent une idéalisation selon Magdalena Zilveti Chaland, psychologue spécialisée en expatriation. « On regrette des lieux, des instants, des gens, des joies et du bien-être, explique-t-elle, c’est le passé révolu que nous retrouvons en pensées ».
Pour palier à ce sentiment de manque, certains expats de Barcelone partent à la recherche de leurs madeleines de Proust dans les restaurants de leurs compatriotes ou dans les différentes épiceries françaises de la ville. « Au début, ils passent leur temps à s’intégrer, à s’imprégner de la culture locale, et puis au bout de six mois, un an, on les voit arriver à la boutique, car certains produits français commencent à leur manquer », raconte Marion Pyo, gérante de la Maison Puyvalin dans le centre de la capitale catalane. Un rosé de Provence en été, de la raclette en hiver, du champagne pour les grandes occasions, chacun vient ici chercher son petit bout de France. « Les clients viennent aussi pour l’ambiance car nous parlons français, les autres clients parlent français, c’est un peu comme un petit consulat », s’amuse l’entrepreneuse.
D’autres expats vont plus loin, devenant de vérritables ambassadeurs de leur culture, s’investissant dans des associations ou exaltant régulièrement leur héritage français. Le journaliste Frédéric Hermel, installé pendant près de 30 ans à Madrid, en a fait un livre : C’est ça la France (Flammarion). Il y revisite les « merveilles du quotidien qui marquent notre différence », comme la passion du pain, le vouvoiement, l’apprentissage de la poésie à l’école ou encore le bal du 14 juillet. Un hymne à la France… et au mal du pays. « D’un point de vue personnel, [l’expatriation] est à la fois le bonheur d’être dans un pays que j’aime bien, l’Espagne, mais c’est aussi un déchirement : on n’est pas fait pour vivre loin des siens et loin de son pays », confiait le journaliste dans une interview réalisée au moment de la sortie du livre. Quatre mois plus tard, il quittait définitivement Madrid pour rentrer en France.
Quand la nostalgie devient mal du pays
Car si la nostalgie fait partie du voyage et n’est pas qu’un sentiment négatif, certains expatriés finissent par ressentir un véritable mal du pays, aussi appelé « blues de l’expatrié ». Il peut être vécu à différents degrés. Les personnes les plus affectées ont notamment tendance à comparer leur pays d’origine, proche de la perfection, à leur pays d’accueil, qui n’aurait que des défauts.
« Le mal du pays poussé à son excès se traduit par des problèmes émotionnels comme des ruminations mentales, un manque d’entrain et de motivation ou bien un isolement social, explique Magdalena Zilveti Chalan, le repli nostalgique peut atteindre un stade préoccupant lorsqu’il devient excessif ou lorsqu’il s’installe dans la durée ». Pourtant, le blues de l’expatrié n’est pas une fatalité. « Mettre en place des stratégies pour lutter contre une nostalgie envahissante est indispensable », conseille la psychologue.
Les expatriés peuvent notamment conserver des traditions et coutumes de leur pays, tout en créant des ponts avec leur nouvelle culture. Ils peuvent aussi réaliser un travail de recul quant à leur vie d’avant et la réalité de leur pays d’origine, et résolument se tourner vers le présent et le futur.
Pour certains toutefois, l’heure du retour aura sonné, et ne sera en aucun cas synonyme d’échec. « Le vécu est différent pour chacun, et conditionne le prolongement ou pas de l’aventure », relativise Nicolas Laheurte.