Bien que les feux de joie et les pétards des fêtes catalanes semblent être des coutumes récentes, elles se perpétuent en réalité depuis la nuit des temps. Et pas que durant la nuit de la Sant Joan.
Photo : Goroka
S’il y a un élément qui ne peut pas manquer durant les fêtes catalanes, c’est le feu. Sous forme de pétards, de feux d’artifice ou même de grands feux de joie, cet élément naturel rythme le calendrier et les fêtes de l’année, en Catalogne. À tel point qu’aujourd’hui, on pourrait presque dire que les Catalans cultivent une étrange fascination pour le feu.
« Ça fait partie de l’évolution humaine, les hommes ont toujours utilisé le feu dans leurs traditions”, généralise Pep Enric Martín, qui connaît bien le folklore catalan. Depuis la nuit des temps, la plupart des civilisations ont fait du feu un élément indispensable à la vie, mais aussi d’importance symbolique. “Le feu représente la purification, il éloigne les mauvais esprits. Et même si certaines cultures ont perdu ce lien avec le feu, la culture catalane l’a conservé jusqu’à aujourd’hui”, affirme Pep Enric Martín. S’il connaît si bien les traditions locales, c’est parce qu’il est lui-même président de la Fédération de Diables et Démons de Catalogne, une autre interprétation folklorique du feu.
Des danses folkloriques de diables enflammés
Lors de fêtes populaires, comme dans certains quartiers de Barcelone par exemple, on peut voir des gens déguisés en diables courir et danser en portant des lances armées d’appareils pyrotechniques, crachant des étincelles. Ces “correfocs” (‘court-feu’) sont en réalité une adaptation moderne de la symbolique du feu, dans la culture catalane. “Lorsque la poudre chinoise est arrivée en Europe, durant le XIVème siècle, certaines traditions qui utilisaient le feu ont évolué avec la poudre”, justifie Pep Enric Martín.
Photo : Manu González/Ajuntament
Ces danses de diables enflammés, qui remontent au moins au Moyen-Âge, représentaient une lutte entre le bien et le mal, entre les anges et les démons, et possèdent clairement une signification catholique. Mais elles continuent à utiliser un élément ancestral, bien antérieur à la christianisation : le feu.
Au fur et à mesure des siècles, les pétards remplacent le feu dans certaines coutumes catalanes, bien qu’ils soient récents. “Ils apparaissent durant la deuxième partie du XIXème siècle”, précise Albert Rovira, directeur du département spectacles de Pirotecnia Igual. C’est d’ailleurs en 1880 que naît l’entreprise, l’une des plus anciennes de Catalogne à distribuer du matériel de pyrotechnie. Bien qu’elle soit aujourd’hui plus spécialisée dans l’organisation de feux d’artifices, Albert Rovira le reconnaît : “l’utilisation des pétards et du matériel de pyrotechnie, aujourd’hui, est une façon pour le peuple de célébrer quelque chose. Cela fait vraiment partie de la culture populaire.”
Les feux de joie de la Sant Joan
Mais outre les correfocs et pétards, la Catalogne conserve aussi des traditions utilisant le feu sans la poudre, comme les grands feux de joie de la Sant Joan. Encore aujourd’hui, le soir du 23 juin, les Catalans allument des feux (souvent grâce à la flamme rapportée du Pic du Canigou) pour célébrer la Sant Joan, la Saint-Jean.
Photo : Goroka
Cette coutume, même si elle porte un nom catholique, est héritée des fêtes païennes du solstice d’été que faisaient les Romains. Pour de nombreux peuples de la Méditerranée (et pas que les Catalans), allumer un feu durant la nuit la plus courte de l’année avait une fonction purificatrice, il chassait les mauvais esprits et promettait des récoltes abondantes pour l’été. Encore aujourd’hui, un dicton catalan dit même que “qui allume un feu pour la Saint-Jean ne se brûlera pas pendant un an” (‘qui encén foc per Sant Joan no es crema en tot l’any’).
Une tradition plus forte que jamais, aujourd’hui
Si la Catalogne conserve encore ses traditions enflammées et pas d’autres peuples (car en France, les feux de la Saint-Jean ont eux aussi existé par le passé), cela peut être parce que le climat plus doux permet des célébrations à l’extérieur, contrairement à d’autres pays du nord… mais pas que.
Photo : Vicente Zambrano González/Ajuntament
Pep Enric Martín estime qu’il existe un attachement très profond entre les Catalans et leur culture, ce qui les a menés à toujours la faire vivre à travers l’histoire. “Aujourd’hui, nous avons l’un des tissus associatifs les plus larges d’Europe. Les gens s’associent pour maintenir les traditions, et ne dépendent pas des institutions.” Ces coutumes ont donc survécu, traversant même la dictature franquiste qui réprima durement les manifestations culturelles qui n’étaient pas en lien avec la religion. “La culture du feu est extrêmement active en ce moment en Catalogne, et même sur tout le territoire des pays catalans. On retrouve même des traditions similaires en Italie, en Grèce, des cultures qui descendent de la civilisation romaine.”
Mais le feu et les pétards ne se limitent plus à la nuit de la Sant Joan. On les retrouve aujourd’hui dans quasiment toutes les fêtes catalanes, qu’elles soient religieuses ou non, ce qui a même poussé l’économie à se développer vers la pyrotechnie. Pirotecnia Igual a notamment distribué du matériel pyrotechnique pour les jeux Olympiques de 1992 et d’autres grands événements internationaux. Par ailleurs, l’Espagne était en 2017 le 7ème pays exportant le plus de matériel pyrotechnique au monde, grâce notamment à la Communauté de Valence, région qui partage la culture catalane, et représentait presque 50 % des exportations du pays.
À lire aussi : D’où vient la tradition de la Sant Joan en Catalogne