Des habitants mis à la porte pour laisser place aux touristes, une demande bien plus élevée que l’offre, un marché immobilier en tension, se loger à Barcelone est un véritable chemin de croix, malgré les mesures prises par la Mairie.
Photos : Anaëlle Petot/Equinox
“Nous sommes les victimes du marché touristique”, déplore Josep, habitant du cinquième étage de la Casa Orsola, dans l’Eixample. Rachetés en octobre 2021 par un fond d’investissement, son immeuble et celui d’en face sont la cible d’un plan financier de locations de moyenne durée pour les touristes. Déjà 7 logements ont été vidés et rénovés pour être loués temporairement.
La location à la journée, comme le propose Airbnb, est désormais limitée par la Mairie de Barcelone, via un plan d’urbanisme (le PEUAT) et les licences touristiques. Mais les propriétaires continuent de louer leurs logements aux touristes sur de plus longues durées. Entre 31 jours et 11 mois, le bien loué ne nécessite pas de licence. Une alternative idéale pour les propriétaires, puisque la ville de Barcelone ne délivre plus de nouvelles licences touristiques.
En 2021, Barcelone comptait 9 434 appartements touristiques légaux, sur près d’un million de logements. Le plafond des licences accordées est de 10 000. Plus de la moitié se trouvent dans l’Eixample (4471). Le reste est situé à Sants Montjuïc (1170), Sant Marti (1129), Gràcia (1069), Ciutat Vella (607), Sarrià-Sant Gervasi (484), Les Corts (261), Horta-Guinardo (239), Sant Andreu (77) et Nou Barris (29).
Les appartements dits de moyenne durée (31 jours à 11 mois) sont quant à eux difficiles à quantifier affirment les agents immobiliers de Barcelone.
Une brèche juridique
Depuis la pandémie, les propriétaires de biens immobiliers ont compris qu’il était plus rentable de louer sur le moyen terme, tout en restant dans la légalité. “Beaucoup de personnes se sont dit qu’elles feraient de la moyenne durée, à cause de l’illégalité de la courte durée sans licence”, affirme Valérie Pincon, conseillère indépendante en immobilier à Barcelone.
Le non-encadrement des prix des loyers est l’une des principales causes de cette situation. Les logements de moyenne durée se louent environ 30% plus chers que les loyers de longue durée, selon la conseillère en immobilier. Par exemple, les nouveaux appartements de la Casa Orsola sont à 5000 € par mois pour les locations temporaires, alors que les résidents permanents payent un loyer de 700 €. Un choix “logique” pour les propriétaires, selon Laure Condamine, chercheuse d’appartements pour des Français de Barcelone. Non seulement les loyers sont plus rentables que sur des baux de cinq ans, mais les logements se dégradent aussi moins vite que pour les Airbnb ou les locations à la journée.
En 2019, le Parlement catalan avait pourtant approuvé une loi pour limiter les prix des loyers, mais celle-ci a été annulée quelques mois après son entrée en vigueur par le Conseil constitutionnel espagnol. Le tribunal espagnol a estimé que l’encadrement des loyers n’était pas une compétence régionale mais nationale. Résultat : le propriétaire peut doubler ou tripler le prix du loyer lors du renouvellement du bail, que ce soit pour le même locataire ou non. Cette grande liberté fait donc automatiquement augmenter, à une vitesse galopante, les prix du marché locatif.
Des habitants mis à la porte
Dans l’Esquerra de l’Eixample, les habitants de la Casa Orsola ont décidé de se mobiliser, en organisant mardi dernier une manifestation au sein de l’agence SH Barcelona. Avec le soutien des écoles du quartier, des associations de voisinage et de commerçants, mais également de la Mairie qui est devenue médiatrice entre les deux parties, les habitants tentent de négocier avec le propriétaire pour garder leur logement. “Certains habitent dans l’immeuble depuis plus de 30 ans”, affirme Basilis, résident de la Casa Orsola.
Tono Hernandez, quant à lui, y vit depuis 6 ans. Son bail se termine le 30 juin mais n’est pas renouvelé. Pourtant, il ne compte pas quitter son appartement. “Nous resterons dans nos logements et nous continuerons à payer nos loyers”, affirme le résident.
C’est également ce qu’a fait son voisin d’en face, Josep. Son bail s’est terminé le 1er mai, mais il est toujours là, sans contrat. “J’ai quand même envoyé l’argent par mandat pour le loyer des mois de mai et juin. Mais ils ne les ont pas encaissés”, explique-t-il. La lutte acharnée de la part des habitants dure déjà depuis 6 mois.
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