Crise économique, politique, sanitaire, touristique, nombreux sont les Barcelonais qui regrettent les jours d’autrefois. Mais la capitale catalane était-elle si idyllique avant ? Rencontres.
Photo : Ajuntament de Barcelona
Début mai, la journaliste catalane Rosa Cullell publiait dans le pure-player Crónica Global un billet intitulé Nostalgia de Barcelona. Elle y évoquait la Barcelone de sa jeunesse, une Barcelone disparue, sans enseignes internationales ni restaurants vegans à tous les coins de rue, sans nationalisme ni politisation des langues. La chronique fut relayée maintes fois sur les réseaux sociaux, résonnant comme une évidence pour de nombreux Barcelonais.
Fin mai, au détour d’une conversation lors de l’inauguration de l’Atelier du Sourcil près du Passeig de Gràcia, Gustavo Denis explique avoir décidé en 2019 de quitter Barcelone pour installer son agence de communication à Madrid, après plus de 17 ans dans la capitale catalane. « Avant, Barcelone brillait, innovait, c’était là que ça se passait, mais depuis l’indépendantisme, c’est à Madrid que toutes les grandes marques vont; c’est triste mais c’est la réalité », expliquait le très branché entrepreneur.
Un sentiment partagé par Fabien Pelissier, arrivé de Paris au milieu des années 90. « Il y a eu la crise économique, dont Barcelone n’est jamais remise, et puis la question de l’indépendance qui a complètement flingé la ville », explique-t-il. Le Français raconte être arrivé à 24 ans dans « une ville en plein efferverscence, la ville des miracles » où tout semblait possible tant au niveau entrepreneurial que culturel. Un rôle effectivement repris par Madrid selon lui. Il déplore également la gestion municipale d’Ada Colau, « bonne activiste mais maire médiocre », sans projet de ville ni projet de société. Et puis ce tourisme hors de contrôle.
Un tourisme mal géré
Les Français arrivés avant l’an 2000 évoquent une ville où le tourisme n’était que saisonnier et surtout bien moins intrusif. Tous regrettent le boom des vols low cost déversant chaque week-end des étrangers en recherche de beuveries pas chères et des croisières « vomissant » chaque jour des centaines de touristes parcourant la ville au pas de course et sans y dépenser un sou. C’est le cas d’Erika Panassié, arrivée en tant qu’étudiante en 1997 et jamais repartie. Cette responsable export regrette l’époque où elle flânait tranquillement dans le marché de la Boquería, mais refuse de céder à la nostalgie. « Il faut aussi rappeler que dans les années 90, Barcelone se tournait à peine vers la mer, les plages n’étaient pas aménagées, les parcs étaient moins entretenus et moins nombreux, et les pistes cyclables inexistantes », se souvient-elle.
Serge Bourgeois, lui, est arrivé en 1973, avant la fin du franquisme. Il avait 23 ans. Il se souvient des petites maisons avec jardins qui peuplaient le quartier de Pedralbes et ont aujourd’hui disparu, mais surtout d’une ville saturée par les voitures : « les touristes et même les camions qui allaient vers le sud devaient traverser Barcelone par la Diagonal ou Aragó, cela circulait très mal ». Il faudra attendre les Jeux olympiques pour la construction des périphériques (rondas) puis de l’autoroute pour dévier les véhicules à l’extérieur de la ville. Le retraité se souvient aussi du ravalement de façades général avant les JO : « ça a changé la physionomie de la ville, tous les édifices noircis ont retrouvé leurs couleurs ». Les Olympiades ont modernisé Barcelone, mais ce sont aussi elles qui l’ont propulsée comme une destination touristique mondiale.
Erika, arrivée en 1997 à Barcelone
Pour Erika, le meilleur moment de Barcelone fut la période du déconfinement. Comme tous les Barcelonais, elle a profité pleinement d’une ville aux infrastructures modernisées et accueillantes, mais sans ces groupes de 30 touristes occupant constamment l’espace public. Et comme beaucoup de Barcelonais, elle pense que la ville a manqué une opportunité de réguler son tourisme. « Ce n’est pas une fatalité, une gestion intelligente peut permettre de choisir le type de tourisme que l’on veut attirer », regrette aussi Fabien Pelissier. Si lui confie que s’il était arrivé en 2022, il ne serait pas resté, Erika, elle, ne se voit pas vivre ailleurs. Et profite tant qu’elle peut de ce que la Barcelone d’aujourd’hui a à lui offrir.