Si on veut réguler le marché des jeux d’argent, doit-on plutôt surveiller et encadrer les « joueurs problématiques », ou avoir constamment l’œil sur les opérateurs ?
Ceux-ci ont un intérêt manifeste à pousser les utilisateurs à faire des parties supplémentaires, à déposer de nouvelles mises, à investir plus de cet argent rêvé, dont ils ne disposent pas forcément, etc. ? La réponse est multifactorielle, appelant à l’émergence d’une instance régulatrice : c’est ce à quoi s’emploie l’ANJ, qui a pris le relais de l’ARJEL, en France, durant la période difficile du confinement pour cause de pandémie, en France (juin 2020).
L’État, tentateur ou modérateur bienveillant ?
L’État lui-même est-il à la fois incitateur (puisqu’il bénéficie du revenu global des jeux) et protecteur, ou plutôt élément « responsabilisant » des différents organismes intervenant dans le système de circulation d’argent, pour qu’ils sachent temporiser et apaiser les fièvres des joueurs potentiellement « problématiques », c’est-à-dire proches ou ayant déjà dépassé le seuil d’addiction ? A-t-on observé un manque de sérieux, un laxisme dans la tenue de ses missions, par le précédent acteur institutionnel ?
Si on tient le seul joueur « problématique » pour responsable de ce qui lui arrive, on exonère tout acteur institutionnel ou commercial d’être la source première des comportements excessifs. Si tout un chacun était naturellement capable de s’imposer des limites sans trop se faire violence, on aurait ainsi résolu l’ensemble des cas réputés « addictifs ».
Publicité : « dés-intensifier » les campagnes marketing
L’Autorité veut proscrire les déclarations infondées sur de soi-disant « chances (mirobolantes) de gagner », présentant le jeu comme la voie royale pour l’amélioration de son statut social ou comme une alternative « sûre » au travail rémunéré.
Les publicitaires ont surinvesti des plateformes à risques comme TikTok, Snapchat, Twitch ou Instagram, quand on sait d’expérience qu’elles sont l’objet de la surfréquentation des adolescents et jeunes adultes.
Le « pot de miel » des grandes rencontres sportives, Gaming
Les grandes occasions internationales, sur-popularisées dans les médias de masse et tous les réseaux sociaux, sont une véritable aubaine commerciale en or pour que les sociétés marketing se livrent à une forme de captation de publics souvent déjà « captifs » (ce qui est différent du fait d’être momentanément « captivé » (passionné) par les enjeux d’un match, par exemple). L’ANJ doit donc veiller à un volume d’annonces « raisonnable », voire le réduire le cas échéant, lors d’événements comme l’Euro 2020 ou la FIFA 2022, et surtout dissuader les opérateurs publicitaires de jouer dangereusement d’un ciblage disproportionné des jeunes joueurs, leur âge les portant à l’admiration pour les héros d’un soir ou d’une vie sur le terrain, qui devraient demeurer des « modèles positifs » et fair-play et de risque calculé.
Le plan en cinq points de l’ANJ
Contre ces abus « marginaux » additionnés, l’ANJ promulgue des plans d’action qui visent la contention des risques :
- En matière de publicité, il s’agit de réduire le volume d’annonces pour que le public bénéficie d’espaces sociaux de respiration où opérer des choix aussi « conscients » que possibles, et non se sentir « matraqué » par la publicité.
- Réviser, voire censurer régulièrement, les plans marketing des opérateurs repérés comme potentiellement « borderline ».
- Consulter régulièrement les parties prenantes, fournisseurs de services, régulateurs comme représentants des consommateurs
- Travailler, à divers niveaux de consultation, à fournir des définitions claires de ce que sont, par exemple, des « bonus raisonnables », sans que ces termes restent à la seule appréciation ou « responsabilité » très subjective des opérateurs qui ont le plus intérêt au flou ou à tromper le public le moins averti.
- Parvenir, par la concertation, à émettre des directives précises et opérationnelles à l’usage de tous, prescripteurs de jeux comme éducateurs, parents, adolescents et jeunes adultes eux-mêmes, dont on ne doit pas douter, à terme, de leur désir profond de se prendre en main, sans s’identifier à des caricatures d’addicts.
Pour maîtriser la pulsion du jeu, il faut une volonté éducative
La génération Y ou Z n’est pas plus démunie que les précédentes en capacités de doser ou de s’autolimiter dans l’usage des produits potentiellement toxiques, présents sur le marché physique ou numérique, à condition d’être accompagnée par des instances de conseils et des professionnels du milieu qui n’ont pas en vue que leur seul profit pécuniaire sans reconnaissance de leur niveau de responsabilité globale.
Le jeu, une toxicomanie comme d’autres ?
C’est ainsi que l’ANJ a récemment impliqué l’OFDT, l’organisme français de lutte contre les toxicomanies, dans une réflexion mutuellement fructueuse, pour mieux comprendre le phénomène de l’addiction : de quoi s’agit-il exactement, lorsqu’on parle de drogue, de boisson ou de sexe, et quand on parle spécifiquement de jeux en ligne, de goût pour le pari immodéré ?
Quel est, concrètement, le rôle de la publicité, en tant qu’elle génère aussi de la dépendance, et pas uniquement de « l’information » objective sur les produits qu’elle promeut ?
L’isolement, risque d’accrochage et de dépendance
C’est l’ambition de deux « ateliers de dialogue citoyen », que l’ANJ a mis en place, pour rappeler ce que sont les réelles limites de l’action collective « responsable », surtout dans des domaines comme le jeu ou le pari, qui motivent essentiellement les ressources individuelles de personnes qui s’isolent (sur Internet souvent) pour s’adonner à leur passion. Elle peut aussi devenir une maîtresse tyrannique, avide de leurs économies… quand il leur en reste encore.