Si la Catalogne est recouverte à moitié de forêt, son visage pourrait bien changer à l’avenir. Son principal ennemi n’est pas directement l’Homme, mais le changement climatique. Et une balade en forêt ne ressemblera plus à ce qu’elle est aujourd’hui.
Photo : Turisme Baix Llobregat
Ciel bleu entrevu entre les feuillages, épines jonchant le sol, chant lointain d’un oiseau depuis une branche… L’image de la forêt catalane est idyllique, tranquille, et semble immuable. Et pourtant, la forêt est en train de changer, et les promenades d’aujourd’hui ne seront plus celles de demain.
Actuellement, 60 % du territoire de la Catalogne est recouvert de forêts, affirme Jofre Carnicer Cols, professeur d’Écologie à l’Université de Barcelone . Pour ce spécialiste du changement climatique, il ne s’agit pas en réalité d’une forêt, mais de plusieurs : la région concentre presque tous les types de bois trouvables en Europe, avec des espaces plutôt secs sur la côte, ou plus froids et humides dans les Pyrénées. Ces différents types ne changeront pas de la même manière au fil du temps, car leurs climats, mais aussi leurs espèces d’arbres sont différents.
Difficile, aussi, d’imaginer comment seront les forêts du futur si le futur n’est pas figé dans le temps : on connaît l’impact du changement climatique, mais on ne peut pas prédire exactement ce qu’il se passera dans 10 ou 50 ans. Néanmoins, les spécialistes peuvent apporter une idée de ce à quoi pourrait ressembler une promenade en forêt, dans un avenir plus ou moins proche.
Moins d’arbres dans la forêt
Demain, les forêts de Catalogne pourraient être bien moins denses qu’elles ne le sont aujourd’hui, c’est-à-dire avec moins d’arbres. Aujourd’hui, elles sont extrêmement étendues, ce qui est loin d’être une bonne chose : ce sont plus d’arbres et de plantes qui doivent se partager l’eau, mais qui pourraient aussi alimenter un incendie, le rendant plus résistant ou plus étendu.
Le Ministère de l’Environnement catalan travaille à couper certains arbres ciblés, comme à Collserola par exemple, pour que d’autres puissent mieux pousser et devenir plus grands, précise Enric Vadell, sous-directeur du groupe en charge des forêts.
Et ce n’est pas une image du futur : les conséquences du changement climatique sont déjà visibles aujourd’hui dans les bois catalans, avec des sécheresses plus longues et plus graves qu’avant. Et la Catalogne est un véritable « point chaud mondial », car le réchauffement climatique s’y fait d’autant plus sentir. « Entre le XIXème siècle et aujourd’hui, on est arrivé à une augmentation de 1,5 degré, dans cette zone méditerranéenne« , s’alarme Miquel Rafa, biologiste et directeur du département Territoire et environnement de la Fondation Catalogne La Pedrera. »C’est l’une des régions du monde où les effets sont les plus forts. »
Photo : Ecoticias
Et avec les conséquences des sécheresses, il est très possible que certains arbres poussent moins vite, et soient même plus petits, étant donné qu’un bon apport en eau est nécessaire à certaines espèces pour se développer correctement, précise Jofre Carnicer Cols ; et cela pourrait bien être le cas dans les forêts proches de Barcelone.
De la même manière, durant les périodes de sécheresse, on observera des arbres moins feuillus, voire même nus : il s’agit d’un processus de « survie ». Certains arbres sacrifient leurs feuilles et puisent dans leurs ressources pour ne pas périr en cas d’un important manque d’eau. Et ici aussi, on ne verra pas cela dans 50 ans : la « défoliation » s’observe déjà aujourd’hui, comme durant l’été 2021 dans diverses forêts de Catalogne. Une preuve que les forêts souffrent déjà du réchauffement climatique, mais qui ne sont que les prémices d’un plus grand changement.
Des forêts qui « grimpent »
De même que les humains recherchent la fraîcheur en cas de canicule, certains arbres qui ne supportent pas des chaleurs trop élevées migrent vers le haut des montagnes ou vers le nord. L’on assiste donc à un phénomène de forêts dans le Montseny ou les Pyrénées qui « montent » toujours plus haut pour profiter de températures plus fraîches.
D’autres arbres, qui ne « grimpent » pas et ne s’acclimatent pas bien à l’élévation des températures, vont se faire de plus en plus rares dans les forêts catalanes : c’est le cas du pin sylvestre, un type d’arbre typique de l’Europe centrale et qui a été planté dans les pré-Pyrénées ou dans la forêt de Poblet, explique le docteur en sciences biologiques Victoriano Ramon Vallejo Calzada. Le hêtre pourrait aussi disparaître à terme du massif du Montseny.
Forêt de hêtres.
Dans les forêts du Maresme, c’est le fameux pin parasol qui est en péril. Si typique des paysages du sud et cher à la pâtisserie catalane pour ses pignons de pin. Cet arbre fait actuellement face à une invasion d’insectes, pourtant autochtones mais bien trop nombreux dû au changement climatique.
Des incendies naturels mais trop fréquents
Mais en plus des températures et des invasions d’insectes, les forêts catalanes font face à un risque bien plus important : les incendies. Loin des lieux communs, en soi, les feux de forêt sont naturels et les arbres se régénèrent en plusieurs dizaines d’années, selon les endroits et les espèces. Et ces dernières 25 années, le nombre d’incendies a même diminué, insiste Enric Vadell.
En revanche, le risque est bien plus important qu’avant : les forêts concentrent beaucoup plus d’arbres, c’est-à-dire beaucoup plus de biomasse qui peut alimenter un feu, et elles sont très étendues, rendant le travail des pompiers difficile. Si le changement climatique rend effectivement les incendies plus fréquents, ceux-ci pourraient être d’autant plus graves et avoir des conséquences sur les forêts de demain en Catalogne.
Certaines espèces, comme le pin noir, ne se régénèrent pas de façon naturelle après un incendie qui touche la cime de l’arbre. Il pourrait donc laisser place à d’autres espèces qui repoussent plus facilement. Et parmi ces familles, on en trouve plusieurs invasives, comme le séneçon de Mazamet, venu d’Afrique et qui aime coloniser les espaces entièrement brûlés par un incendie.
Pin blanc de Provence. Photo : biogeografia.net
Les pins blancs de Provence, le romarin ou encore la bruyère seront certainement des plantes toujours plus communes lors des promenades en forêt, car elles repoussent plus facilement après un feu de forêt que d’autres pins. De manière générale, Mireia Banqué, du Centre d’investigation écologique et d’applications forestières, explique que les chênes devraient être de plus en plus visibles, dans les forêts comme à Collserola ou dans la forêt de Prades, où ils remplacent progressivement le pin sylvestre.
La Catalogne, futur désert ?
Non, la Catalogne ne deviendra pas un désert ; les plantes et arbres continuent de pousser, on observe plutôt un déplacement des espèces en fonction des environnements qui correspondent le mieux à ce dont elles ont besoin. Mais sur la côte nord et le sud de la région, on remarque déjà que certaines zones fréquemment touchées par des incendies laissent place à de la brousse, avec des fourrés au lieu d’arbres hauts, car les arbres n’ont pas eu le temps de pousser ou même le sol s’est trop appauvri, précise Enric Vadell.
Des changement radicaux qui se répercutent aussi sur les animaux : ainsi, les perdrix et les lapins sont bien plus nombreux dans les fourrés que dans les forêts denses, et certains oiseaux migrateurs comme les cigognes finissent par ne plus migrer plus au sud, comme on l’observe déjà à Lleida.
Il faut couper la forêt pour la protéger
En somme, même s’il est difficile de se faire une idée fixe de ce que sera la forêt catalane de demain, on peut déjà imaginer qu’elle aura changé et ne ressemblera plus vraiment à celle d’aujourd’hui. Mais pour éviter qu’elle ne se « défigure » totalement, il est aussi nécessaire de couper.
Montseny. Photo : Escapada rural
Il existe une sorte d’image « romantique » de la forêt, totalement sauvage et à laquelle il vaut mieux ne pas toucher s’accordent les experts. Mais en réalité, la coupe de certains arbres est nécessaire pour préserver les espèces qui s’y trouvent : mieux répartir l’eau et permettre aux arbres de grandir, mieux contrôler les incendies futurs, et éviter que certaines espèces ne prennent totalement le pas sur d’autres. Si l’on veut éviter que les forêts catalanes ne changent trop à cause du réchauffement climatique, il faut accepter de couper certains arbres pour les préserver tous.
Et ainsi assurer à nos descendants d’aussi belles balades en forêt qu’elles le sont aujourd’hui.
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