Entresuelo, planta principal, ático… Les immeubles espagnols comptent différemment le nombre d’étages, et ont tendance à en rajouter, contrairement à la France par exemple. Mais c’est totalement normal, et la raison est historique.
Photo : Sonia Graupera
Compter cinq étages lorsqu’on monte les escaliers, alors qu’on doit se rendre au troisième. Ceci n’est pas un cauchemar, mais bien la réalité dans de nombreux immeubles espagnols. Alors qu’en France, on compte au-dessus du rez-de-chaussée le 1er étage, le 2ème, le 3ème, etc., en Espagne, tout est différent. Dans de nombreux bâtiments des grandes villes, le rez-de-chaussée est surmonté d’un “entresuelo”, d’une “planta principal”, et enfin du 1er et ainsi de suite. Tout en haut, ce n’est pas le dernier étage mais l’ “ático”, au-dessus duquel on trouve parfois même un “sobreático”. Mais quel est ce mystère ?
Cette étrange façon de compter les étages remonterait au XIXème siècle et au début du XXème, évoquent les forums. À cette époque de grande urbanisation, à Barcelone mais aussi dans d’autres grandes villes d’Espagne, l’ascenseur faisait son apparition dans les immeubles de logements mais il était plutôt rare. Logiquement, les appartements les plus facilement accessibles étaient donc ceux situés le plus bas dans les immeubles, leur donnant plus de valeur contrairement à ceux situés plus haut, et pour lesquels il fallait grimper plus d’étages par les escaliers.
Planta principal, l’étage noble en Espagne
Mais ce n’est pas pour autant que les rez-de-chaussée étaient prisés. En général, ils étaient occupés par une boutique ou par un hall tenu par un concierge, comme c’est encore parfois le cas aujourd’hui en Espagne. Mais le premier étage n’est pas forcément des plus agréables non plus : on peut y percevoir le bruit de la rue et de la boutique d’en-dessous, et on peut aussi y souffrir du froid ou de l’humidité. L’étage parfait est donc le deuxième étage. Le premier, appelé “entresuelo” (‘entresol’), fait office d’isolant, mais occupe aussi une autre fonction : celle de loger les domestiques, à une époque où le personnel de maison est encore courant chez les familles bourgeoises et nobles.
Planta principal de la Casa Batlló, Barcelone. Photo : Guías Viajar
L’entresol permet aussi d’élever visuellement l’étage “noble”, que l’on appelle “principal”. En général, le plafond de l’entresol est bas, et il occupe moins d’espace sur la façade extérieure, bien sûr sans balcon. Le principal est donc ni trop bas, ni trop haut : c’est l’étage qui possédait le plus de valeur, et généralement occupé par les propriétaires de l’immeuble. Ceux-ci pouvaient louer les étages situés au-dessus, qui perdent donc de la valeur puisqu’il faut marcher plus pour y accéder.
Pour résumer : le premier étage français est l’entresol (« entresuelo ») espagnol, le deuxième étage français est la « planta principal » espagnole, et le troisième étage français est enfin le premier étage espagnol. Et ce n’est pas tout.
La terrasse, reléguée aux domestiques
Le dernier étage, qui donne accès à la terrasse, est donc le moins prisé car il faut grimper toutes les marches de l’escalier pour l’atteindre. De plus, il est en général plus petit et de plafond plus bas, et il y fait plus chaud et humide qu’aux étages inférieurs. Il n’était auparavant pas loué, et servait de lieu de stockage pour les domestiques ou pour étendre le linge, ce à quoi servait aussi la terrasse, explique le quotidien régional Levante, qui observe le phénomène à Valence.
Ático de la Casa Batlló, Barcelone. Photo : Pepe Navarro/Ajuntament
Le nom “attique”, qui existe d’ailleurs en français, vient de l’architecture gréco-latine : il s’agissait en fait de la partie supérieure des monuments et constructions, mais elle n’était pas habitée. C’était une partie simplement décorative, pour y graver une inscription par exemple, comme on peut le voir sur les arcs de triomphe. Mais le mot s’est étendu pour désigner le dernier étage des immeubles plus modernes, dont le haut de la façade pouvait aussi servir de décoration.
Aujourd’hui, on retrouve de moins en moins cette distribution d’étages en Espagne. Les bâtiments de la seconde moitié du XXème siècle abandonnent progressivement cette pratique, notamment avec la généralisation de l’ascenseur et le nombre de personnes à loger dans les grandes villes. On compte donc de plus en plus souvent comme en France, avec un rez-de-chaussée puis le 1er, le 2ème, et ainsi de suite. De son côté, l’ “ático” a même pris de la valeur, car son accès à la terrasse séduit de plus en plus. La distribution si singulière des immeubles espagnols est donc vouée à disparaître.
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