Les points communs entre la Sagrada Família et Notre-Dame de Paris

sagrada familia barcelone

L’une basilique moderniste en Espagne, l’autre cathédrale gothique en France. À première vue, la Sagrada Família de Barcelone et Notre-Dame de Paris ont peu en commun, mais elles se ressemblent sur plusieurs points. 

Photos : Itinerari/A Ciel Ouvert Paris

Ce sont deux montagnes au milieu de forêts urbaines. Deux chefs-d’œuvre de l’art de la pierre, devenus au fil du temps des emblèmes de leurs pays. L’une trône au milieu de Paris, l’autre se dresse fièrement dans la skyline de Barcelone. Au fond, Notre-Dame de Paris et la Sagrada Família de Barcelone sont comme des reflets, des échos l’une de l’autre, de part et d’autre de la frontière franco-espagnole. 

Mais mis à part leurs places centrales dans la culture et l’histoire de leurs villes, les deux monuments ne se ressemblent pas vraiment. L’une cathédrale, l’autre basilique. L’une gothique, l’autre moderniste. L’une au cœur historique même de Paris, l’autre dans l’extension urbaine barcelonaise de la fin du XIXème siècle. Peut-on comparer ces deux géantes, à la fois semblables et uniques en leur genre ? En creusant dans leurs histoires respectives, Notre-Dame et la Sagrada Família ont bien quelques points communs. 

Un monument avant-gardiste

Si la Sagrada Família autant que Notre-Dame sont de remarquables monuments, c’est avant tout pour des questions d’histoire de l’art : chacun constitue l’un des premiers exemplaires de son style architectural.

La cathédrale parisienne est l’un des premiers exemples du gothique, au XIIème siècle médiéval. On ne compte que quelques édifices du même style construits avant elle, dont la basilique Saint-Denis (en Île-de-France) et la cathédrale Saint-Étienne de Sens (en Bourgogne-Franche-Comté). Dans l’histoire de l’art, Notre-Dame représente les débuts du gothique, un style totalement en rupture avec l’art roman austère et brut. 

sagrada familia barceloneÀ gauche, Notre-Dame de Paris ; à droite, la Sagrada Família. Photos : Mappiness/R R Navero

C’est dans le même contexte que naît la Sagrada Família, à Barcelone. Après une longue période où les architectes vouaient un culte aux styles anciens, comme le néoclassicisme ou le néogothique, l’Art Nouveau détonne à la fin du XIXème siècle : des courbes douces, des couleurs, bref, un souffle léger et naturel absent des anciens styles, plus stricts et rigoureux. Le modernisme, interprétation catalane de l’Art Nouveau européen, fait élever une basilique unique en son genre pour l’époque : la Sagrada Família. Ainsi, l’œuvre de Gaudí, qui à ce jour n’est pas encore achevée, fait partie des premiers édifices religieux modernistes du pays et représente, à aujourd’hui, ce style en Espagne. 

Une géante dans la ville

La cathédrale autant que la basilique sont de véritables géantes, qui siègent au milieu de leurs capitales respectives. À Paris, lors de sa construction, Notre-Dame semblait être un géant sortant de terre. Ses dimensions étaient exceptionnelles pour l’époque : 127 mètres de long, 40 de large, 33 de hauteur, sans compter la flèche (aujourd’hui absente) qui culminait à 96 mètres de haut, à partir du XIXème siècle. C’est simple, Notre-Dame de Paris était le plus vaste monument religieux du monde occidental, jusqu’au milieu du XIIIème siècle.  

À Barcelone, la Sagrada Família paraît démesurée, autant à l’époque de ses premières pierres comme aujourd’hui. À la mort de Gaudí, en 1926, seule une tour est construite, celle de l’apôtre Barnabé et culmine déjà à 98 mètres. Mais ce n’est qu’une première marche vers le ciel. Aujourd’hui, avec la tour de la Vierge inaugurée en décembre 2021, le temple expiatoire s’élève à 134 mètres. Vers 2030, lorsque les travaux devraient toucher à leur fin, l’édifice deviendra la plus haute église du monde, avec la tour centrale de Jésus-Christ haute de 172 mètres. Notre-Dame et la Sagrada Família ont voulu, chacune leur tour, toucher le ciel et se rapprocher un peu plus du paradis chrétien. 

La lumière comme matériau de construction

Si chaque temple matérialise la présence divine par la pierre, la Sagrada Família et Notre-Dame sont surtout faites de lumière. Chacune l’invite à traverser l’édifice de part en part, à travers des vitraux colorés qui illuminent et animent l’intérieur en y projetant une palette vive digne d’un artiste peintre. 

L’idée de “faire rentrer la lumière” était centrale, lors de la construction de la cathédrale gothique. Contrairement aux anciennes églises romanes, sombres et austères, il fallait illuminer le temple. Le gothique est l’occasion pour l’art du vitrail de se développer, et la fabuleuse rosace appelée “Rose du Midi” illumine encore aujourd’hui Notre-Dame de Paris. 

sagrada familia barceloneÀ gauche, la Sagrada Família ; à droite, Notre-Dame de Paris. Photos : Sagrada Família/Notre Dame de Paris

Alors qu’il n’avait pas particulièrement d’attrait pour le style gothique, Antoni Gaudí conserve cette idée pour sa basilique moderniste. La lumière est présente partout dans la Sagrada Família, avec des fenêtres qui la percent de toutes parts. Elles lui donnent un aspect différent à chaque heure, éclairant les voûtes tantôt de rouge, de jaune et d’orange, tantôt de vert et de bleu. Une preuve qu’hier comme aujourd’hui, les lumières et les couleurs jouent un rôle-clef pour évoquer la présence divine. 

Une forêt urbaine

Au cœur de chaque capitale, une véritable forêt se cache dans ces lieux de silence et de dévotion. À Paris, une forêt de chênes plusieurs fois centenaires se trouve au-dessus de la tête des fidèles ; c’est du moins ainsi qu’est surnommée une partie de la charpente, datant de la construction du monument, aux XIIème-XIIIème siècles. Chaque poutre étant extraite d’un arbre différent, la charpente représente une forêt de chênes d’au moins 21 hectares. Une partie de cette “forêt” est malheureusement partie en fumée, lors de l’incendie du 15 avril 2019.

Dans la capitale catalane, la forêt n’est pas faite de bois mais de pierre. Lever les yeux dans la nef de la Sagrada Família transporte les visiteurs au cœur d’une forêt, avec des colonnes semblables à des troncs, se divisant en branches pour soutenir la voûte, à l’image d’un plafond de feuillage. Une innovation signée Gaudí, à la fois nécessaire au maintien de son œuvre et créant un véritable espace naturel au sein de la ville.

Interminable construction

Ceux qui ont vu être posée leur première pierre ne verront jamais la dernière. Les plus beaux monuments ne se construisent pas en trois mois, car la potion magique n’existe pas. Il aura fallu exactement deux cents ans à Notre-Dame de Paris pour être enfin finalisée (de 1163 à 1363), et ses architectes se sont succédés. L’histoire se répète aujourd’hui, de l’autre côté des Pyrénées.

sagrada familia barceloneChantier de la Sagrada Família. Photo : Sagrada Família

En chantier depuis 1882, la Sagrada Família n’en finit pas avec ses échafaudages et ses nouvelles constructions. Elle devait être terminée pour le centenaire de la mort de son père, Antoni Gaudí, en 2026 ; mais la pandémie et l’arrêt des travaux durant plusieurs mois en 2020 ont rendu cet objectif inatteignable. Même si les technologies permettent des travaux plus rapides qu’au Moyen-Âge, la construction de la basilique devrait aboutir vers 2030, presque cent cinquante ans après la pose de sa première pierre. 

Rejetée puis acclamée

Comme tous les fruits des génies de leurs temps, les deux temples sont passés par des périodes difficiles. Après avoir été novatrices dans leurs styles, la Sagrada Família et Notre-Dame de Paris ont été des œuvres incomprises par le public, jugées non conformes à la norme. À la Renaissance, le style gothique de la cathédrale parisienne était vu comme vieillot, barbare (d’où le mot « gothique », venant des Goths), et elle tombe même en ruine au XIXème siècle ; on projette alors de la détruire. C’est en partie grâce au style romantique et au succès du roman de Victor Hugo, publié en 1831, que Notre-Dame de Paris renaît une seconde fois. 

Alors que le XIXème siècle apporte des vents favorables au monument français, le XXième siècle fait souffler un vent contraire au modernisme en Espagne. Au début du siècle, le modernisme catalan tombe en désuétude, et la Sagrada Família est moquée. On lui préfère des styles plus stricts et classiques, avec l’avènement du noucentisme. Mais comme son homologue parisienne (ou presque), l’église barcelonaise est reconnue plus tard comme l’un des plus beaux bijoux du modernisme, lorsque la ville s’ouvre au tourisme durant les décennies 1960-1970. Aujourd’hui, la mode est à l’acclamation des styles anciens, surtout chargés, qui représentent bien tout le génie et la technique dont les artisans du passé faisaient preuve. 

Les flammes

Bien que rayonnantes, les deux églises connaissent aussi des événements sombres et tragiques : des incendies. La crypte de la Sagrada Família est baptisée par le feu en 1936, durant la guerre civile. Le même incendie provoque la destruction de l’atelier de Gaudí, et la perte de précieux plans et maquettes qui compliqueront la tâche des futurs architectes du temple. Le 19 avril 2011, la crypte connaît de nouveau les flammes, allumées par un ancien danseur du cabaret El Molino. L’incendie provoque 127 000 € de dégâts matériels et quelques blessés, mais aucune victime mortelle et les dommages sont réparables. 

sagrada familia barceloneIncendie de Notre-Dame de Paris, 2019. Photo : Le Soleil

La cathédrale gothique ne connaît pas cette chance. Presque 8 ans jour pour jour après l’incendie de la crypte de la Sagrada Família, Notre-Dame de Paris subit le plus lourd incendie de son histoire. Une partie de la toiture de la nef, du transept et la charpente sont réduites en cendres, et la monumentale flèche s’écroule devant les yeux ébahis de centaines de Parisiens. À aujourd’hui, la cathédrale n’est toujours pas remise de ses brûlures, et des échafaudages bandent encore l’édifice. Bien que la piste criminelle ne soit pas privilégiée, les causes de l’incendie monstre ne sont pas encore connues. 

L’emblème d’un pays

Après des débuts flamboyants, dédaignés durant un temps, détruits partiellement et finalement acclamés, les deux monuments sont devenus aujourd’hui des pièces majeures du patrimoine historique et artistique de leurs pays. Avant son incendie, Notre-Dame de Paris accueillait environ 13 millions de visiteurs par an, en moyenne 30 000 visiteurs par jour, ce qui en faisait le monument le plus visité de France. Aujourd’hui, le Mont Saint-Michel dépasse la cathédrale, car celle-ci demeure début 2022 fermée aux visites. 

En Espagne, c’est la Sagrada Família qui détient le titre de monument le plus visité du pays, avec 4,5 millions de visiteurs en 2019. Une preuve que, même si elles ont été rejetées durant un temps, le public reconnaît aujourd’hui la beauté et le génie de ces églises, toutes deux des pièces maîtresses de l’art de la pierre en Europe et dans le monde entier.

À lire aussi : Quand la Sagrada Família était au milieu des champs

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