Avec 140 ans de chantier, la Sagrada Família de Barcelone est l’un des rares monuments au monde connus alors qu’il n’est pas terminé. Et pourtant, son histoire est déjà longue, et elle commence… au milieu des champs.
Photo : Sagrada Família
Aujourd’hui, ce sont des voitures, vélos et touristes qui fourmillent autour de la Sagrada Família, le monument le plus emblématique de Barcelone et certainement d’Espagne. Mais si l’on remontait dans le temps, juqu’à la moitié du XIXème siècle, on découvrirait au lieu de ce quartier de l’Eixample des champs et des potagers. Quelques maisons seulement sont réunies autour de ce qui est aujourd’hui la Carrer de València, un petit bourg tout près de Barcelone que l’on appelait El Poblet.
Une église néogothique, dans les champs
C’est à cet endroit précis qu’il est décidé de construire un temple expiatoire pour Barcelone. Un terrain del Poblet, faisant partie du quartier de Sant Martí, est acheté au milieu des champs et l’architecte en charge des travaux esquisse le profil du bâtiment. Mais celui-ci n’a rien à voir avec la Sagrada Família d’aujourd’hui : Francesco de Paula Villar, le premier architecte, imagine une église néogothique, dans le même style que la façade actuelle de la cathédrale de Barcelone.
Photo : Sagrada Família
La première pierre de cet édifice est posée en 1881. Mais des divergences naissent entre Paula Villar et les constructeurs, notamment au sujet du prix des matières premières. C’est finalement le jeune Antoni Gaudí qui reprend le chantier en 1883, alors que débute la construction de la crypte néogothique. Ses idées sont bien différentes, et novatrices pour l’époque, comme on peut le voir sur ses esquisses.
Photo : Archives nationales de Catalogne, Josep Maria Sagarra i Plana
Les travaux réellement visibles et reconnaissables commencent par la façade de la Nativité, en 1891. Mais autour, le quartier de l’Eixample n’est pas terminé, et ce sont encore des champs, des terrains vagues et même des chèvres qui broutent.
Au fur et à mesure des années, les travaux avancent, même si le style de Gaudí ne plaît pas à tout le monde. En 1914, après avoir terminé ses célèbres Casa Batlló et Casa Milà, l’architecte se concentre sur la Sagrada Família.
1920-1930. Photo : Archives nationales de Catalogne, Josep Gaspar y Serra
Le tout premier clocher est terminé en 1925, celui de San Bernabé, sur la façade de la Nativité. C’est le seul qu’Antoni Gaudí verra toucher le ciel, car il meurt l’année suivante, renversé par un tramway. Son disciple Domènec Sugranyes reprend alors la direction des travaux.
1933. Photo : Archives nationales de Catalogne, Brangulí
Après Gaudí, le déluge
Alors que les travaux continuent, la guerre civile éclate. Dix ans après la mort de Gaudí, son atelier est ravagé par les flammes. Des plans et photographies partent en fumée, et les maquettes en plâtre sont détruites. Un drame qui marquera à jamais l’histoire de la construction du bâtiment, en obligeant les architectes et constructeurs suivants à fouiller et se creuser la tête pour respecter du mieux possible les idées originales de Gaudí.
Incendie de l’atelier de Gaudí, 1936.
C’est Francesc de Paula Quintana qui reprend le flambeau en 1939, une fois la guerre civile terminée. La construction peut continuer grâce à du matériel sauvé de l’atelier de Gaudí, et des plans reconstitués à partir de photos et de plans publiés auparavant.
La façade de la Nativité s’illumine pour la première fois en 1952, lorsque son perron est achevé. Les travaux de la seconde façade, celle de la Passion, commencent deux ans plus tard. La Sagrada Família se résume presque, pour l’instant, à seulement deux portes qui ne mènent nulle part, car il n’y a pas encore de nef intérieure. Les clochers de la façade de la Passion sont terminés en 1977, et on commence la construction des nefs latérales l’année suivante.
Fin 1970-début 1980. Photo : Sagrada Família.
La Sagrada Família d’aujourd’hui
Petit à petit, la Sagrada Família que l’on connaît aujourd’hui prend forme. Les travaux de la nef centrale, c’est-à-dire l’espace au milieu du bâtiment, démarrent en 1986, ce qui veut dire qu’en plus de cent ans, la basilique n’était pas vraiment une église comme les autres puisqu’elle n’était pas fermée en son centre.
Au début des années 2000, le temple expiatoire ressemble beaucoup à ce que l’on peut voir aujourd’hui, et son profil devient reconnaissable entre mille. Ce qu’il faut maintenant à la Sagrada Família, c’est s’élever pour aller toucher les étoiles. La construction des tours des évangélistes, de la Vierge Marie et de Jésus commencent en 2016 et s’élèvent chaque année de plusieurs mètres, un peu comme une montagne sortant de terre en plein Barcelone.
Mais en mars 2020, tout s’arrête : une pandémie paralyse le monde, et les travaux de la basilique doivent s’arrêter. L’objectif de terminer le chantier pour le centenaire de la mort de Gaudí, en 2026, est mis en péril. Autour de la Sagrada Família, qui attire quotidiennement des milliers de touristes, le silence se fait. Plus un taxi, plus un vélo, plus un passant, plus une pierre ne bouge.
La montagne recommence à fourmiller et à s’élever en octobre 2020, lorsque les travaux reprennent. Un peu plus d’un an plus tard, une étoile couronne la tour de la Vierge Marie. Une étoile de verre et d’acier à douze branches, censée illuminer la skyline de Barcelone.
Photo : Sagrada Família
Elle est posée sur son piédestal le 29 novembre 2021, et inaugurée en grande pompe le 8 décembre, avec cérémonie et public à la clef. C’est l’occasion de spectacles et d’activités, comme l’organisation de castellers à l’intérieur même de la Sagrada Família.
Photo : Sagrada Família
Aujourd’hui, même si elle semble bien complète, la Sagrada Família n’est pas encore terminée, et elle en est loin. Les tours des évangélistes Luc et Marc devraient être terminées en 2022, et la tour de Jésus devrait également s’être élevée de trois niveaux. Malheureusement, il est très peu probable que l’objectif de finir la basilique en 2026 ne soit atteint, à cause des retards pris lors de la crise du Covid-19.
Le chantier ne devrait pas voir le bout du tunnel avant 2030, ce qui veut dire que le temple expiatoire aura été en travaux durant presque 150 ans. Certains Barcelonais ne verront jamais leur Sagrada Família terminée, une anecdote qui donne à la basilique un aspect presque… immortel.
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