Gaudí est certainement l’architecte qui a changé le visage de Barcelone, grâce à son modernisme coloré et un peu fou. Et ses œuvres se trouvent aussi… sous nos pieds.
Photo : Escofet
La Casa Batlló, la Pedrera… Quoi de plus agréable que de déambuler sur le Passeig de Gràcia, pour admirer les plus belles œuvres modernistes de Barcelone ? C’est un peu comme les Champs-Élysées : tout est beau, tout est grand, tout est brillant, c’est certainement l’une des rues les plus magnifiques de la capitale catalane. Mais rares sont les passants qui, au lieu de lever la tête, s’intéressent au sol du trottoir. Et pourtant, la beauté se trouve aussi à leurs pieds : ils piétinent du Gaudí.
Si on s’intéresse aux pavés du Passeig de Gràcia de plus près, on remarque qu’ils sont ornés de trois motifs distincts qui se complètent les uns les autres pour former une étoile de mer, une algue et un fossile d’ammonite, semblable à un escargot. Ce design imitant un fond marin a été imaginé par l’architecte catalan Antoni Gaudí lui-même, en 1904. Celui-ci débutait alors la rénovation complète de la Casa Batlló, au numéro 43 du Passeig de Gràcia. Il s’inspire de l’univers marin et crée une décoration en lien avec l’eau, d’où l’un des surnoms de la Casa Batlló, la “Maison de l’Eau” (Casa del Agua).
Photo : La Pedrera
Seulement, la production des carreaux de carrelage tarde, et Gaudí opte finalement pour un autre revêtement de sol. Cependant, il n’abandonne pas son idée et il la réutilise plus tard pour recouvrir et décorer le sol des espaces de service de la Casa Milà, aussi appelée la Pedrera, située au numéro 92 de la même rue et construite entre 1906 et 1912.
La Casa Milà n’est pas un succès, puisque l’épouse Milà déteste la vision esthétique de Gaudí et la famille refuse même de payer les honoraires qu’exige l’architecte. Et pourtant, le carrelage des espaces de service intéresse. Tout d’abord par ses reliefs, mais aussi par sa forme : un hexagone, alors que le carrelage et les pavés sont habituellement carrés ou rectangulaires à l’époque.
Casa Roig. Photo : Josep Maria Co i de Triola, AFCEC
Quelques années seulement après l’achèvement de la Casa Milà, on retrouve un carrelage assez semblable, dans une autre maison moderniste du quartier d’Horta-Guinardó, et aujourd’hui disparue : la Casa Roig, aussi appelée Torre dels Pardals. Une villa construite non pas par Antoni Gaudí, mais par Joan Rubió i Bellver. Après avoir collaboré avec Gaudí, notamment sur le projet de la Casa Batlló, Joan Rubió i Bellver conçoit la Casa Roig en 1915. Il installe dans le “fumoir blanc” un sol orné de spirales évoquant des fossiles d’ammonite, au design semblable à l’idée de Gaudí.
Gaudí, de la Pedrera aux rues de Barcelone
Mais comment ce carrelage, cette “loseta” de son vrai nom, s’est-il retrouvé sur tout le Passeig de Gràcia, étant au début du XXème siècle caché dans les espaces de service d’une maison bourgeoise ?
La réponse se trouve en 1971. Le Passeig de Gràcia est en travaux, et il faut élargir les trottoirs. On s’intéresse alors à cette “loseta” de Gaudí, hexagonale et au modèle unique, bien pratique donc à multiplier et à installer. Les premiers pavés sont d’une couleur entre vert et bleu, et deviennent en vingt ans absolument emblématiques de la rue. À tel point que lors d’une autre rénovation du Passeig de Gràcia en 1997, on ne peut plus revenir en arrière. La mairie garde la loseta de Gaudí, en optant toutefois pour un modèle légèrement plus petit que l’original et de couleur grise. Le moule est aussi inversé, de sorte que les reliefs s’abîment moins avec le passage des piétons.
Jaén. Photo : Liébana/Ideal
Depuis, les fameux pavés de Gaudí sont devenus des incontournables de Barcelone, et un véritable symbole du modernisme catalan, accessible à tous. Le modèle plaît tellement qu’il est adopté dans les années 2000 dans d’autres villes espagnoles. On le retrouve dans les rues en Andalousie (Jaén, La Rábita), en Estrémadure (Cáceres), dans la Communauté de Valence (Castellón de la Plana), et même… aux États-Unis.
La loseta Gaudí a trouvé sa place dans le fameux MoMA, le musée d’art moderne de New York, où il est exposé et présenté comme le premier produit de design industriel.
Sous les pieds des promeneurs qui flânent sur le Passeig de Gràcia se trouve donc une œuvre à part entière du modernisme catalan, qui a séduit au point de voyager jusqu’en Amérique. Mais qui restera toujours un symbole de Barcelone.
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