Paella Barcelone. Tous les samedis, Equinox et les grands chefs barcelonais du restaurant Disfrutar et Sergi de Meià et éclairent sur la véritable origine des plats phares de la gastronomie espagnole. Ce week-end, direction Valence pour découvrir l’histoire de la paella.
C’est l’un des plats phares de la gastronomie espagnole, que ce soit dans la Péninsule ibérique ou à l’étranger. La paella est célèbre partout, et on peut en manger dans n’importe quel restaurant espagnol. Mais sa véritable origine n’est pas connue de tous.
Pour remonter jusqu’à l’origine de la paella, il faut retourner sur sa terre natale : ce qu’on appelle le « Levant », c’est-à-dire la côte est de l’Espagne, et particulièrement la région de Valence.
Vieux de plusieurs siècles
La paella n’est pas un mets récent : les toutes premières traces écrites de la paella remontent à la fin du Moyen-Âge, aux alentours du XVème siècle. « Les arabes introduisirent le riz dans la zone du Levant au VIIIème siècle, et il y est resté depuis », explique le chef barcelonais Sergi de Meià, du restaurant éponyme (à découvrir ici).
Photo : L’Albufera de Valencia. Guía Repsol
Historiquement, on situe le berceau de la paella à l’Albufera, une lagune et sa zone naturelle à quelques kilomètres de la ville de Valence. « À l’époque, on y produisait beaucoup de riz, c’était donc le principal ingrédient des plats des habitants alentour », explique Eduard Xatruch, chef au restaurant Disfrutar de Barcelone (à découvrir ici).
Un plat de pauvres
Et, comme bon nombre de spécialités culinaires, la paella est à l’origine… un plat de pauvres. « C’était un repas de paysans, il fallait que ça soit copieux », précise Sergi de Meià. « On la mangeait en fin d’après-midi, après une dure journée de travail aux champs. C’était un plat très populaire, car il donnait beaucoup d’énergie et comme tous les ingrédients se cuisinent en même temps, il était facile et rapide à faire. »
Étant donné son origine humble, ses ingrédients étaient donc les produits accessibles facilement aux agriculteurs et paysans de la région de Valence : des oiseaux sauvages comme la perdrix, mais aussi du lapin ou du lièvre, des légumes, du safran… Les ingrédients variaient en fonction de ce que les familles avaient sous la main, mais le plus important reste le riz rond, précise Eduard Xatruch.
Les paysans cuisaient leur riz sur un feu de bois vif, une tradition encore bien ancrée aujourd’hui car elle apporte à la paella son goût si caractéristique.
Des origines… italiennes ?
L’origine du mot « paella » pourrait bien être… italienne. À l’origine, elle ne portait pas ce nom. Les premiers écrits mentionnent un plat à base de « riz cuit », et c’est à partir de la moitié du XVIIIème siècle que l’on retrouve les premières mentions d’un « riz à la valencienne ». « On sait alors qu’il s’agit là de la paella que nous connaissons aujourd’hui, car on décrit les grains de riz comme étant détachés les uns des autres et très savoureux, et ce sont les caractéristiques de notre paella », affirme le chef du Disfrutar.
Photo : artimondo.co
Le mot paella désigne, en réalité, non pas le mets en lui-même mais le plat dans lequel le riz est cuit. Une sorte de poêle en métal, plate et à deux anses. Pourtant, les premières paellas étaient cuisinées dans des sortes de casseroles en terre cuite, explique Sergi de Meià, mais plusieurs théories expliquent leur remplacement par le fameux plat à paella.
« La plus connue raconte que c’est un Italien, qui a émigré à l’Albufera vers le XVème siècle, qui apporta avec lui une casserole à deux anses appelée padella », raconte Eduard Xatruch. « Et les poêles des habitants alentour se seraient adaptées ainsi pour mieux cuisiner le riz. » Après tout, entre ‘padella’ et ‘paella’, il n’y a qu’une lettre.
Le débat paella de viande/fruits de mer
Des débats fusent en Espagne sur les ingrédients de la recette originale, avec le fameux duel « paella de viande v.s. paella de fruits de mer ».
Mais les chefs sont catégoriques : la paella de fruits de mer n’est pas la paella traditionnelle. Bien sûr, comme bon nombre de spécialités culinaires, sa recette a évolué avec le temps et dépendant des ingrédients à disposition ou de qui la cuisinait. « Mais le safran et le haricot de Lima, qui pousse près de Valence, sont deux éléments qui font partie des recettes originales. » Eduard Xatruch mentionne également un ingrédient inattendu, et pourtant fréquent dans les véritables paellas : les escargots.
Photo : lagrandebouffecatering.blogspot.com
Par ailleurs, une fausse croyance affirme qu’on peut reconnaître une vraie paella à la couleur jaune du riz ; mais Sergi de Meià la dément, une bonne paella ne l’est pas forcément.
Plat-star dès le XIXème siècle
La paella n’est pas restée longtemps un plat de pauvres. À partir de la moitié du XIXème siècle, l’Espagne a fait connaître la paella dans toute l’Europe et même en Amérique, lors d’expositions internationales par exemple . « Et elle plaisait beaucoup, on peut même parler d’un hit ! », reconnaît le chef du Disfrutar.
Dans les années 1960, le tourisme de masse s’installe en Espagne et de nombreux étrangers découvrent la paella. Elle est vue comment un plat exotique et devient, à ce moment-là, l’un des plats les plus célèbres de la gastronomie espagnole. « C’est un plat qui a traversé des frontières. La paella est comme la pizza, elle est internationale », confie Sergi de Meià.
Comment reconnaître une vraie paella
Si le riz est bien évidemment le point le plus important, pour les chefs, une vraie paella doit suivre quelques règles.
Elle doit avant tout être cuite dans son plat à paella, à feu vif, et avec une quantité très précise de bouillon et de riz qui le rendra bien cuit mais pas juteux, ni trop collant.
Cette alchimie est si complexe à réaliser qu’à l’époque, les étrangers qui essayaient de faire une paella et n’arrivaient pas à cuire le riz disaient que les Espagnols mangeaient du riz cru, raconte Eduard Xatruch ! « On dit même que la paella idéale ne doit pas dépasser un grain de riz de profondeur. »
Photo : bonviveur.com
Un autre secret pour reconnaître une bonne paella est le « socarrat », une fine pellicule croquante qui peut se former dans le fond de la paella lorsqu’on la cuisine bien et avec des ingrédients spécifiques. Le socarrat est littéralement l’essence de la paella, car il en concentre toute la saveur.
Mais la paella n’est pas qu’un plat, elle est aussi un moment. À l’origine, on ne la servait pas dans des assiettes, on posait le plat au milieu de la table et tout le monde y mangeait, en faisant un véritable moment de partage en famille.
Par ailleurs, la paella a été déclarée Bien d’intérêt culturel immatériel en novembre dernier, par le gouvernement de la région de Valence.
Où manger une bonne paella ?
Aujourd’hui, en Espagne, on peut manger une paella à chaque coin de rue. Mais où déguster une vraie bonne paella ?
Tout d’abord, Eduard Xatruch explique que c’est en général le jeudi à midi que les restaurants espagnols servent une paella.
Sergi de Meià conseille en premier lieu de fuir tous les restaurants qui ne la préparent pas eux-mêmes. Selon lui, on peut manger une bonne paella « dans n’importe quel bon restaurant de cuisine traditionnelle ou contemporaine, en particulier sur les côtes du nord de la Murcie. Mais demander conseil aux locaux est toujours la meilleure option ! »
Et pour les cuisiniers en herbe, vous trouverez ici la recette de la typique paella valencienne, en français, approuvée par le ministère du Tourisme espagnol.
À lire aussi : 6 plats catalans que les touristes ne connaissent pas