Une étude publiée le 9 octobre 2021 dans la revue scientifique The Lancet démontre que les cas de dépression et d’anxiété ont augmenté de plus d’un quart dans le monde en 2020 à cause du Covid-19. Antonio Cano Vindel, psychologue et président de la Société espagnole d’études de l’anxiété et du stress (SEAS) explique ce phénomène de société ainsi que son appréhension quant au Plan de santé mentale du gouvernement espagnol.
Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle fragilisé la santé mentale de millions d’Espagnols ?
La pandémie, le confinement et les restrictions sanitaires qui s’en sont suivi ont suscité beaucoup de stress et de mal-être. Pour mon cas, beaucoup de mes patients ont ressenti des émotions telles que de la peur, de l’irritabilité, de la tristesse mais aussi beaucoup d’anxiété voire de dépression. En d’autres termes, les conséquences de la pandémie sont terribles.
L’enquête menée par le Centre de recherches sociologiques (CIS) indique que les cas de troubles mentaux ont été multipliés par quatre en Espagne. Avant la pandémie, la dépression avait une incidence de 5 % et l’anxiété de 7 %. Désormais, plus de 20 % des patients répondent aux critères de dépression et 22 % aux troubles anxieux.
Ces cas peuvent-ils diminuer d’eux-mêmes ?
Dans certains cas, oui, mais en règle générale, les troubles émotionnels ont tendance à devenir chroniques et à ne pas disparaître. S’ils ne sont pas pris en charge sérieusement, le patient aura, sur le long terme, moins de ressources pour travailler, faire des activités ou entretenir des relations sociales.
Quelles situations sont à l’origine de ces troubles d’anxiété et de dépression ?
En plein confinement, certaines personnes se sont retrouvées isolées du jour au lendemain. La solitude ainsi que le climat très anxiogène de la pandémie ont été un véritable cocktail explosif pour les personnes les plus fragiles.
Dans d’autres cas, le fait d’avoir perdu son travail, d’être confiné dans un espace assez petit et en famille ou encore de télétravailler toute la journée sans pouvoir se défouler, a laissé d’importantes séquelles psychologiques et a été à l’origine de l’impressionnante augmentation de troubles psychologiques.
Comment la détérioration de la santé mentale des Espagnols se ressent-elle dans le secteur médical ?
Nous avons remarqué une nette augmentation de la vente de psychotropes pour combattre l’anxiété et la dépression. Avant la pandémie, les médecins de famille pouvaient se permettre de prendre le temps de parler avec leurs patients souffrant de troubles mentaux. Depuis le Covid-19, le nombre de malades a triplé voire quadruplé, alors très souvent, les médecins se contentent de prescrire plus de médicaments comme des somnifères, antidépresseurs, anxiolytiques, etc, au détriment d’un accompagnement psychologique.
La pandémie a aussi causé de nombreuses pertes parmi le personnel de santé : les décès, les soignants laissés dans un état d’invalidité après une infection au Covid-19, la surcharge de travail et le stress engendré par la pandémie. Les premières victimes de troubles mentaux liés à la pandémie se trouvent parmi le personnel soignant.
Quelles solutions sont envisagées par le système de santé actuel pour suivre les patients atteints de troubles mentaux ?
Dans la Société espagnole pour l’étude de l’anxiété et du stress (SEAS), nous avons testé un programme qui, avec sept séances de groupe, nous apprend à gérer les symptômes de l’anxiété, de stress et des émotions. Ce programme est trois fois plus efficace que les soins dits pharmacologiques (à base de médicaments).
Nous avons réalisé ce projet dans huit communautés autonomes, dont la Catalogne, où il y avait plus de 1 000 patients souffrant d’anxiété, de stress ou de somatisation. Le résultat est très encourageant. Les patients se rendant seulement chez le médecin ont eu très peu d’amélioration et n’ont pas augmenté leur qualité de vie après trois mois. Tandis que ceux présents aux sept séances ont réduit leurs crises d’angoisse et leurs somatisations, améliorant ainsi leur qualité de vie.
Mais, avec le manque de personnel de santé, n’est-il pas difficile de réaliser ce type de thérapie ?
Non, au contraire, vous n’avez pas besoin de beaucoup de professionnels. Par exemple, lorsque nous l’avons lancé dans la Communauté de Madrid, le gouvernement régional a embauché 21 psychologues cliniciens. Ils sont au service de l’ensemble de la population de la Communauté avec ces troubles depuis 2017.
Grâce aux thérapies de groupe, un accompagnement social se développe. Les patients qui osent parler voient que les autres les comprennent. Cette expérience communautaire a très bien fonctionné et est très satisfaisante pour les patients d’après les résultats.
Le gouvernement de Pedro Sanchez a annoncé un plan de la santé mentale entre 2021 et 2024, avec un investissement de 100 millions d’euros. Selon vous, cette stratégie sera-t-elle utile ?
Les partis politiques commencent à prendre conscience des troubles mentaux. Certains rédigent un projet de loi, d’autres en parlent à maintes reprises sur les réseaux sociaux et d’autres élaborent des plans pour ne pas se laisser distancer.
Cependant, cela ne signifie pas qu’ils s’en préoccupent. Comme il y a une forte pression sociale, ils sont contraints d’en parler, mais pour le moment les dernières nouvelles sont que le gouvernement va augmenter le nombre de places en psychologie de six, soit seulement 3%. Donc, d’après moi, la stratégie est encore fragile.
Au final, bien qu’elle soit désormais plus présente dans l’opinion publique, la santé mentale continue d’avoir très peu d’importance en Espagne, pourquoi ?
Dans d’autres pays européens, la moyenne est de 18 psychologues pour 100 000 habitants, en Espagne, nous n’atteignons pas 5. Nous avons quatre fois moins de psychologues que la moyenne européenne. On ne peut pas faire mieux avec moins de moyens.
Non seulement il y a moins de psychologues, mais les questions ne sont pas abordées à l’école. Il y a un vrai manque d’éducation et de sensibilisation à la santé mentale en Espagne. Ce sont des problèmes émotionnels qui arrivent à beaucoup de gens, c’est pourquoi ils sont courants, mais ils ne sont pas enseignés dans les écoles. Sans système d’enseignement, c’est très compliqué.