Les indépendantistes catalans débutent aujourd’hui trois jours de commémorations du référendum d’auto-détermination célébré le 1er octobre 2017 sans l’accord de l’Espagne. Quatre ans après, l’enthousiasme n’est plus au rendez-vous mais la flamme résiste.
« Je ne parle plus de politique publiquement, je me suis beaucoup engagé en 2017, je préfère ne plus en parler maintenant ». Cet entrepreneur bien connu des hautes sphères catalanes et installé dans les beaux quartiers de Barcelone refuse désormais toute interview liée à son engagement indépendantiste. Comme beaucoup, il avait cru l’indépendance possible il y a quatre ans et avait accepté de s’afficher aux côtés de Carles Puigdemont « pour la cause ». Comme beaucoup, il préfère aujourd’hui être plus discret. « Les personnes de cette classe sociale ne veulent pas trop évoquer le sujet » confirme un responsable d’une association indépendantiste.
De l’autre côté de la ville, vers la bruyante avenue Meridiana, plusieurs dizaines de personnes se réunissent chaque soir pour bloquer symboliquement la circulation d’une petite rue et réclamer l’application du résultat du référendum : l’indépendance. En octobre 2019, après la sentence condamnant les ex-leaders indépendantistes à des peines de prison ferme, ils étaient plusieurs centaines à bloquer la grande avenue qui sert de voie d’accès à la capitale catalane. Leur nombre a fondu au fil des mois.
Jordi, la trentaine, est de ceux qui n’ont pas cessé de venir. « C’est une manière de continuer à résister », explique le graphiste. Deux ans et une pandémie plus tard, le mouvement a pourtant bien faibli. « L’indépendantisme actif, revendicatif, est un peu endormi, mais il n’est pas mort, poursuit le trentenaire, la plupart de ceux qui se sont mobilisés en 2017 et 2019 sont découragés, mais ils veulent toujours l’indépendance ». Pour preuve selon lui, les résultats des élections catalanes de février dernier où les indépendantistes ont raflé un peu plus de 50% des voix.
Jordi a voté pour la gauche indépendantiste d’ERC, désormais au pouvoir et incarnant la voie du dialogue avec Madrid : « il faut passer par cette étape de négociations avec le gouvernement espagnol pour prouver qu’on a tout essayé, et peut-être glaner quelques avancées ». Contrairement à ce qu’il pensait en 2017, l’indépendance demandera du temps et des efforts. « Nous pensions tous que ce serait plus rapide, je comprends que certains se soient un peu fatigués » confie le Barcelonais.
Des attentes déçues
La crise sanitaire est aussi passée par là. Selon le sociologue Martin Szulman, elle a généré une « crise des priorités » parmi la population. L’inquiétude pour des sujets financiers ou de santé a dépassé l’engagement pour un idéal devenu lointain. « Le mouvement traverse une certaine crise de ses attentes, qui a été accentuée par le Covid-19, détaille l’expert, l’utopie d’une indépendance rapide s’est évanouie, l’idée ne génère plus autant d’enthousiasme et cela se ressent dans la mobilisation ». Pour autant l’adhésion idéologique ne disparaît pas : les indépendantistes rêvent toujours d’un Etat indépendant.
« Je ne connais aucun indépendantiste qui soit devenu unioniste » rit Sergi, comptable dans un établissement hospitalier de l’Eixample. Avec sa femme Montse, artiste, ils sont allés voter pour le oui le 1er octobre 2017 puis ont participé aux grandes manifestations qui ont suivi. Mais« l’immense effort fourni par le peuple n’a pas été soutenu par un effort de nos responsables politiques, ils auraient dû aller plus loin car nous sommes tous allés plus loin, nous avons tout donné et pas eux » se désole Montse. Le couple de quinquagénaires déplore la division des partis indépendantistes, qui s’étaient unis en 2015 puis se sont déchirés fin 2017. Lui ne suit même plus l’actualité politique et a perdu tout espoir d’une Catalogne indépendante. Elle se déplace encore dans les manifestations, se tient prête en vue d’une nouvelle chance, mais n’y croit qu’en cas de renouvellement total des leaders politiques.
« Sincèrement, je ne pense pas voir l’indépendance de mon vivant mais je continue de lutter pour mes enfants et mes petits-enfants » confie José, 75 ans, et présent tous les jours à la manifestation de la Meridiana. Il assure n’avoir manqué à l’appel que lors du confinement, et lorsqu’il a été malade du Covid-19. A ses côtés, Jordi est moins pessimiste : « il y a 15 ans personne ne s’attendait pas à ce que le mouvement prenne une telle ampleur, il suffit d’une étincelle pour que la flamme se ravive ».
Dimanche, tous iront à la grande manifestation convoquée à Barcelone par les associations indépendantistes. Un devoir de constance selon Montsé : « nous devons montrer au monde que nous sommes toujours là ».
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