Le président catalan exprime un malaise envers les Mossos d’Esquadra et refuse de soutenir la police. Les conséquences de cette démission se traduisent dans les rues de Barcelone avec une dégradation quotidienne de la sécurité.
Les violentes émeutes qui ont secoué la Plaça Espanya vendredi et Bogatell samedi ne sont pas des faits isolés. Depuis 4 ans, Barcelone connait une détérioration de sa sécurité. Commerçants, entreprises du tourisme, syndicats patronaux, associations de riverains : tous s’accordent pour demander au gouvernement catalan de revoir sa copie en matière de sécurité et maintien de l’ordre.
Le président de l’association commerçante Pime Comerç Àlex Goñi a exhorté « les administrations à mettre un terme aux violences et au pillage des magasins et des restaurants de Barcelone, c’est l’image de marque de la ville à l’international qui est en jeu » s’inquiète le syndicaliste. Lluís Sans, président des amis du Passeig de Gràcia, affirme « qu’il n’a jamais connu la police aussi démotivée à Barcelone qu’aujourd’hui ».
Malaise du gouvernement envers la police
Après avoir dû diriger le ministère de l’Intérieur à contre-cœur pendant les émeutes indépendantistes, le parti de Carles Puigdemont a jeté l’éponge lors de la formation du nouveau gouvernement en mai dernier. La gauche indépendantiste, occupant la présidence avec Pere Aragonès, n’a eu d’autre choix que de prendre la direction des Mossos d’Esquadra. Mais Aragonès semble être plus préoccupé par les critiques envers la police venant de la Cup (extrême-gauche) que de résoudre la crise d’insécurité. Le président Aragonés ne peut pas gouverner sans le soutien des anti-systèmes au parlement, faute de majorité.
Depuis 2017, les nuits de violences s’accumulent à Barcelone : célébration des anniversaires du référendum du 1er octobre, sentence du procès judiciaire contre le gouvernement Puigdemont, incarcération du rappeur Pablo Hasel, et plus récemment les troubles lors des fêtes de la Mercè. Par ailleurs, selon le ministère espagnol de l’Intérieur, Barcelone est la ville du pays souffrant le plus d’insécurité. Au premier semestre 2021, il y a eu un délit pour 29 habitants à Barcelone, contre 1 délit pour 35 habitants à Madrid et 1 délit pour 34 habitants à Valence.
Le phénomène des violences urbaines
Face aux voitures incendiées, aux commerces saccagés, aux rues incendiées, les Mossos d’Esquadra, et plus particulièrement la Brigada Mòbil, se voient contraints d’employer la force pour mettre un terme aux violences. Des actions policières qui drainent également leur lot de délinquants traînés devant la justice, poursuivis pour destruction de biens ou violences envers les forces de l’ordre. Ces condamnations sèment la colère au sein de l’extrême-gauche et dans une partie de l’indépendantisme radical.
L’origine des violences urbaines de vendredi soir, qui se sont soldées par la destruction partielle d’un centre de vaccination, de saccages de boutiques, de l’invasion d’un commissariat et des dizaines de blessures à l’arme blanche, est le non-déploiement des Mossos sur place. C’est un fait inédit qui n’a pas d’équivalence récente à Barcelone : un rassemblement nocturne et alcoolisé de 15.000 personnes a été placé sous l’unique responsabilité de la police municipale.
Une singularité rapidement signalée par Ada Colau à la Generalitat. Et qui se solde par une fin de non-recevoir de la part du ministère catalan de l’Intérieur : le gouvernement n’a pas envoyé les Mossos car la mairie n’en a pas fait la demande préalable. Il semblerait que le gouvernement d’ERC ait tenté un coup double : affaiblir politiquement Ada Colau en attribuant à la mairie la responsabilité des émeutes de Mercè et éviter de devoir justifier d’éventuelles charges des Mossos d’Esquadra.
La police veut trouver un accord avec le gouvernement
Car depuis son arrivée au pouvoir, le président catalan Pere Aragonès n’a eu cesse d’envoyer des messages de défiance face à la police. Le chef de la Generalitat a d’abord demandé la création d’une commission parlementaire chargée d’étudier la dissolution de la Brigada Mobil. Ces agents, équivalents des CRS français, sont sous les accusations des collectifs d’extrême-gauche pour leurs méthodes musclées lors des scènes de violences urbaines.
Nacho Alvarez, porte-parole du syndicat des Mossos d’Esquadra, affirme que la police est totalement favorable aux propositions d’amélioration que peut apporter cette commission parlementaire. Le syndicaliste estime que l’on peut améliorer la gestion du maintien de l’ordre en accentuant la formation des agents et en y destinant les budgets nécessaires. En revanche, Alvarez voit comme un non-sens la dissolution de la Brigada Mobil car elle est inscrite dans le cadre constitutionnel du statut d’autonomie de la Catalogne. Si la Catalogne dissolvait sa Brigada Mobil, elle devrait de facto la remplacer par une autre entité équivalente.
La commission parlementaire devra trancher sur l’usage des LBD
La commission parlementaire, sous la dynamique orchestrée par Aragonès, devra également se prononcer sur l’utilisation des lanceurs de balle défensive (LBD). Aragonès veut arriver au risque zéro pour les personnes se trouvant dans des protestations urbaines et souhaite interdire le LBD. La Catalogne rejoindrait ainsi l’Autriche, l’Irlande, la Finlande, la Norvège, la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni, où le LBD n’est pas utilisé par les forces de l’ordre. Il l’est en revanche pour une partie de l’Allemagne, la France, la Pologne, la Grèce et le reste de l’Espagne.
Le parlement, s’il interdit le LBD, devra trouver une arme de défense alternative pour repousser à distance les personnes violentes.
Les Mossos d’Esquadra sans garanties juridiques
Par ailleurs, Aragonès a satisfait à une demande de longue date la très influente association Iridia. Un collectif d’activistes qui apporte un soutien aux personnes ayant subi la « violence institutionnelle de la Generalitat ». Aragonès a décidé de retirer partiellement la protection juridique des Mossos d’Esquadra. Dans les faits, la Generalitat ne se porte plus automatiquement partie civile lorsqu’un policier subit une agression. Le gouvernement catalan défendra en justice un agent de police uniquement dans le cas où celui-ci se retrouve blessé physiquement dans l’exercice de ses fonctions. Pour ce faire, Aragonès, peu après sa prise de fonction, a démantelé le service juridique du ministère de l’Intérieur. La police n’aura désormais plus ses propres avocats. Les Mossos pourront cependant toujours faire appel aux services juridiques destinés aux autres fonctionnaires de la Generalitat.
« La police dérange le gouvernement catalan, mais aucun pays ne peut vivre sans police, il va falloir trouver une solution » sentence le syndicaliste Nacho Alvarez. En attendant, une partie de plus en plus croissante des riverains s’impatiente. Selon le baromètre municipal, l’insécurité reste la première préoccupation des Barcelonais.