Isabelle Pares, 38 ans, s’installe à Barcelone il y a 7 ans, persuadée que sa place se trouve ici. De fil en aiguille, la Perpignanaise d’origine prend ses marques dans la capitale catalane. Musicienne classique et créatrice du webzine culturel Walkzine, elle développe un nouveau projet Slow.Ome, en parallèle de son emploi de Content Lead et de Consultante web freelance. Rencontre.
Photos : Clémentine Laurent/Equinox
Depuis combien de temps vivez-vous à Barcelone ?
Cela fait maintenant 7 ans que j’habite à Barcelone. Je suis originaire du Sud de la France, j’ai grandi à Perpignan puis j’ai passé mon adolescence à Montpellier. J’ai donc toujours vécu au bord de la Méditerranée. À l’âge de 20 ans, j’ai décidé de m’installer à Paris pour mes études, mais aussi par goût et envie de découvertes. D’une part, je finalisais ma maîtrise d’Ethnomusicologie à la Sorbonne. D’autre part, je savais qu’artistiquement et culturellement, beaucoup de choses se passait à Paris. Je voulais être au cœur de l’action !
Pourquoi avoir choisi de vous installer à Barcelone ?
J’ai adoré tout ce qu’a pu m’apporter la capitale française, tant pour sa richesse culturelle que pour les rencontres que j’y ai faites, et les différents métiers que j’y ai exercés… mais au bout de 10 ans à Paris, le besoin de ralentir le rythme et de partir à l’étranger m’a envahie. Après une première carrière dans la musique classique, j’ai travaillé à Radio France où j’ai découvert le monde de l’audiovisuel, des studios d’enregistrements et où j’ai pu côtoyer de nombreux artistes. Ça a été une révélation au point de me reconvertir !
Je travaillais donc à Paris comme chargée de production audiovisuelle à temps plein, et les soirs et week-ends, je développais mon webzine Walkzine, en interviewant des artistes, en assistant à des événements, des concerts et des inaugurations de lieux. C’était fantastique, mais je me suis un peu trop prise au jeu de la vie parisienne !
Est arrivé un moment où je n’avançais plus comme je le souhaitais. Je vivais les voyages par procuration, j’avais la sensation d’étouffer, de stagner… Puis, il y a eu un déclic. “Ma tête était à Paris, mais mon cœur était déjà ailleurs”. J’ai pour une fois pris le temps de m’écouter, de comprendre mes besoins et de suivre mon intuition… Je savais que je voulais quitter Paris, restait à savoir où je souhaitais m’installer. Après moult réflexions et un détour par Londres et Berlin, Barcelone m’est apparue comme une évidence. C’est une ville cosmopolite, où la vie culturelle est riche, qui reste proche de la France, bordée par la Méditerranée, et avec le sentiment d’un retour à mes racines puisque même mon arrière grand-père y a fait, à l’époque, ses études de couturier… C’était pour moi, la parfaite équation.
J’ai donc quitté Paris, mon CDI, mes amis… un défi non sans risques, puisque je ne parlais pas un mot d’espagnol et que j’ignorais ce que cette ville me réservait. Mais avec un peu de patience et beaucoup d’envie, j’ai appris une nouvelle langue, de nouvelles compétences, un nouveau métier et j’ai finalement trouvé le moyen de me réinventer.
Quel métier exercez-vous ?
Depuis 2020, je travaille pour DocMorris, une Marketplace spécialisée dans la santé et le bien-être, d’abord comme Content Specialist et depuis quelques mois, comme Content Lead France.
J’ai en charge de superviser la rédaction, traduction et localisation de contenus pour l’e-commerce et le blog de la marque, de m’assurer de l’optimisation du workflow dans les différentes tâches à réaliser, de la bonne coordination entre les équipes… En parallèle, je poursuis mon activité de freelance en tant que rédactrice de contenus et consultante web (conseil en identité visuelle et stratégie digitale). Avant cela, j’ai été professeure de flûte traversière, concertiste, chargée de production audiovisuelle, co-rédactrice en chef de magazines, account manager, copywriter, créatrice de sites web… J’ai fait des choses très variées, mais qui pour moi, sont très enrichissantes et complémentaires.
Comment s’est passé le lancement de votre webzine Walkzine ?
J’ai créé Walkzine en 2012, à un moment où j’avais besoin de me reconnecter à un environnement créatif et artistique, mais autrement qu’en jouant de mon instrument de musique, la flûte traversière. C’était également le moyen d’allier le milieu digital dans lequel j’évoluais et mon premier amour qu’est la musique. À l’époque, j’écrivais déjà pour des blogs musicaux pop rock indé, mais je me sentais parfois limitée étant moi-même plutôt axée jazz, musiques du monde et musique classique. J’ai donc eu envie de développer ma propre identité, et c’est ainsi que Walkzine est né.
Comment gérez-vous actuellement Walkzine ?
Depuis 2018, Walkzine est en standby faute de temps. Ça a été un projet extrêmement prenant pendant 6 ans, car je bookais les rendez-vous d’artistes avec les maisons de disques, les séances photos, les demandes d’accréditations, j’assistais à de nombreux concerts et festivals pour en rédiger des compte-rendus, je réalisais des interviews que je devais ensuite retranscrire et j’ai même organisé un événement rassemblant 200 invités… Le tout en parallèle de mon emploi.
Ça a été une période fantastique et ce projet est allé bien au-delà de mes espérances puisque j’ai pu interviewer des artistes pour lesquels j’ai une véritable sensibilité et dont j’admire le travail : Ibrahim Maalouf, Omara Portuondo, Keziah Jones, Trombone Shorty, Tété, Nemanja Radulovic, Roberto Fonseca, Mayra Andrade, Emmanuel Pahud, Magic Malik, Oxmo Puccino, Dhafer Youssef, Philippe Baden Powell et bien d’autres… Mais à l’heure actuelle, je n’ai plus les mêmes priorités, la même énergie et assez naturellement, Walkzine a pris de moins en moins de place dans mon quotidien. Je suis d’ailleurs véritablement partagée entre mettre un terme à ce projet qui m’est si cher ou continuer en l’abordant sous un autre angle… mais rien ne presse, je me laisse le temps de la réflexion !
Quelle place l’art occupe-t-elle dans votre vie ?
Je crois que consciemment et inconsciemment, l’art est omniprésent dans ma vie. Je pense que le fait d’évoluer dans la musique depuis l’âge de 7 ans a particulièrement développé ma sensibilité et ma curiosité artistiques. De façon générale, j’aime l’art dans son ensemble : la musique bien sûr, mais également la peinture (mon grand-père était artiste-peintre), le graphisme, la photographie… et j’aime par-dessus tout m’essayer à des activités manuelles comme la céramique, le punch needle, la sérigraphie, la couture, le bricolage… C’est thérapeutique !
Au-delà de ces disciplines, on peut à mon sens, percevoir l’art partout où l’on se trouve, à tout moment. Tout dépend finalement du regard que l’on porte sur les choses, ce que nous évoquent et nous révèlent les détails du quotidien, l’interprétation que l’on en fait…
Continuez-vous à pratiquer la flûte traversière ?
Peu après mon arrivée à Barcelone, j’ai eu l’occasion de jouer pour des réceptions privées du Consul Français, puis lors de vernissages et autres évènements, et plus récemment, lors du premier confinement de façon totalement improvisée. Un jour, une voisine de l’immeuble d’en face a commencé à jouer de la guitare depuis sa fenêtre. Puis un autre voisin artiste lyrique s’est mit à chanter des airs d’opéra sur son balcon. Naturellement, j’ai pris ma flûte et interprété depuis notre terrasse, mes œuvres préférées : Mozart, Gaubert, Poulenc… On faisait donc tour à tour des concerts entre voisins jusqu’alors inconnus, quasiment tous les soirs. C’était vraiment chaleureux et émouvant !
En général, je travaille mon instrument ponctuellement, selon les propositions et les opportunités qui me touchent, les partitions que j’ai envie de rejouer, les artistes avec lesquels j’apprécie collaborer lors de concerts ou d’enregistrements…
Il est bien loin le temps où je pratiquais 6 heures par jour ! Mais je n’ai jamais eu la sensation d’avoir arrêté pour autant. La flûte reste partie intégrante de moi.
Par contre, je privilégie le plaisir avant tout, notion que j’ai parfois pu oublier lorsque la pression et la technique instrumentale prenaient le dessus, lors d’examens et autres compétitions internationales. J’étais devenue une bête à concours et je ne me reconnaissais plus… Mais je ne regrette pas cette époque pour autant, car cette formation d’excellence m’a appris l’exigence, la précision, l’efficacité, le sens du détail, les choix esthétiques, le travail dans l’urgence et toutes ces qualités me servent dans les différents métiers que j’exerce ou que j’ai pu exercer.
Et puis, j’ai eu l’immense bonheur de jouer dans des orchestres symphoniques en France et à l’étranger, de me produire dans des lieux prestigieux comme L’Olympia, la Salle Pleyel, le Musée d’Orsay, le Cirque d’Hiver Bouglione, le Palais des Papes d’Avignon, l’Opéra Berlioz de Montpellier… Je me sens véritablement chanceuse d’avoir vécu toutes ces expériences musicales fortes en émotion, ce sont des souvenirs inoubliables !
Quel(s) nouveau(x) projet(s) envisagez-vous d’entreprendre à Barcelone ?
Plus j’évolue, plus j’essaie d’être au plus près de mes envies et mes besoins, d’être la plus fidèle et la plus alignée possible avec ce que je ressens et ce que je suis, à l’instant T.
Par exemple, bien que mon métier actuel ne soit pas en lien avec l’art, il y a tout un travail de réflexion et de créativité, en termes de contenu, de stratégie, de communication. J’ai un côté très artistique, rêveur et un autre plus organisationnel, terre à terre. Je pense que ces deux pôles cohabitent en moi de manière permanente et je trouve dans mes différentes fonctions, un véritable équilibre.
En parallèle, j’ai un nouveau projet de webzine axé sur le bien-être et la créativité, qui devrait voir le jour sous peu ! Sur Slow.Ome, je souhaite donner la parole à des personnes qui ont fait des choix de vie en privilégiant équilibre, écoute de soi et bien-être. Je pense que nous en avons tous besoin. Je trouve que la quête de soi est un chemin passionnant. Il y a 1000 façons de se réaliser, de se sentir bien et je suis convaincue que l’on peut apprendre sur soi, relativiser, réveiller des envies, voire sauter le pas, en lisant des parcours inspirants, des conseils et des expériences de vie.
Concernant votre rapport à Barcelone, quel est votre lieu favori de la ville ?
Sans hésiter, le Guzzo, Plaça Comercial. Quand je suis arrivée à Barcelone, c’est rapidement devenu mon QG, j’y ai fait beaucoup de rencontres, et c’est le lieu que je recommande encore systématiquement. Je n’ai jusqu’alors pas trouvé plus bel équilibre entre la décoration, les fresques murales, l’accueil, la carte et la programmation artistique.
Quel est votre plus beau souvenir à Barcelone ?
Ma demande en mariage, évidemment ! Je suis arrivée célibataire à Barcelone et si la ville m’a accordé plus que je ne l’espérais en terme d’évolution personnelle et professionnelle, c’est avant tout la ville où j’ai rencontré mon mari. Le côté sentimental prime !
Que vous a apporté la ville de Barcelone ?
Quand je me suis installée à Barcelone, j’avais tout à reconstruire, professionnellement et personnellement. J’estimais qu’ayant choisi de vivre ici sans projet concret, je ne pouvais rien exiger en termes d’attentes, malgré mon expérience professionnelle. Je préférais prendre un risque plutôt que regretter de ne pas avoir essayé, et si j’avais dû refaire de la vente en boutique comme lorsque j’étais étudiante, je l’aurais fait.
J’ai finalement eu la chance de trouver assez rapidement un contrat de chargée de production audiovisuelle et de développer peu à peu ma clientèle. Au fil du temps, Barcelone m’a apporté la conviction que lorsque l’on s’écoute et que l’on met tout en œuvre pour avancer – et ce, malgré les doutes, les découragements et les remises en question – tout est possible.
À l’inverse, dans les moments difficiles, j’ai également pris conscience que si l’on n’est pas en accord avec soi, on ne se sent pas bien, même dans la plus belle ville du monde !
Quels messages et conseils aimeriez-vous transmettre à un Français qui hésite à s’installer à Barcelone ?
Avant toute chose, je pense que tout dépend des raisons pour lesquelles on souhaite s’y installer. Beaucoup considère à tort, Barcelone comme un Eldorado pour sa plage, le soleil et l’aspect festif de la ville… C’est sans doute profitable à court terme, mais pour du long terme, il faut savoir que les loyers y sont chers, les salaires souvent bien plus bas qu’en France, et les prestations espagnoles de Sécurité Sociale ou droits au chômage bien différentes du système français… Par contre, en ayant conscience de tous ces paramètres, et en étant prêt à s’adapter à la réalité barcelonaise, on peut arriver à s’y faire une place et à grandir dans cette merveilleuse ville !
Souhaitez-vous continuer à vivre à Barcelone ?
Je crois que j’ai encore de belles années à passer à Barcelone. Je m’y sens vraiment bien. On ne sait jamais de quoi demain sera fait, mais j’espère y rester encore un moment… et qui sait, pourquoi pas Toda la vida !