Né à Nevers (Nièvre) le Yann Moix est issu d’une famille catalane. Ses cousins Terenci Moix et Ana María Moix sont également écrivains. Ils sont nés et morts à Barcelone, respectivement en 2003 et 2014. Présentateur télé polémiste, écrivain sulfureux, il a sorti en 1996 chez Grasset le roman « Jubilations vers le Ciel », où une partie se déroule à Barcelone.
Photos : Clémentine Laurent
« Jubilations vers le Ciel » est une histoire d’amour à la Yann Moix. C’est-à-dire glauque. Le narrateur, depuis son plus jeune âge, est fou amoureux de sa copine de classe Hélène. Toute sa vie durant, il va poursuivre la fille, puis la femme, qui sur ses 40 ans fera une escale à Barcelone. « Barcelone n’appartient pas à l’Espagne mais aux enfants. Elle n’est pas la capitale de la Catalogne, mais le Royaume de tout ceux qui ont refusé de grandir. Barcelone est à l’Immaturité ce que Rome est à la Sainteté. C’est Jouvence à chaque fontaine » écrit Moix. Après ce prologue, il égraine sa visite de Barcelone.
La Boqueria
« A Barcelone, ce ne sont pas les enfants qui se perdent, mais les parents. Les miens se perdirent, en larmes au marché de la Boqueria, tout en bas des Ramblas où je m’achetais tranquillement des glaces et des porte-clefs à tête de monstre » se souvient Moix dans un passage de toute évidence autobiographique.
La Boqueria, haut-lieu touristique, a perdu de sa superbe avec la diminution des touristes en raison de la pandemie. Délaissé par les Barcelonais à cause de ses prix élevés, on ne se bouscule plus et on ne se perd plus dans le marché.
La Pedrera
« Je les récupérais le soir à la Casa Milà, dans la salle des parents perdus, conçue spécialement par Gaudi à cet effet ». Ici l’auteur semble faire un jeu de mots entre salle des pas perdus (généralement un vestibule communiquant aux autres endroits d’un bâtiment ouvert au public) et la salle des parents perdus. On peut aussi y voir une allusion aux violences parentales dont a été victime Moix dans son enfance et qu’il raconte dans son roman autobiographique sorti en 2019 « Orléans » .
Concernant la Pedrera, l’auteur utilise le vrai nom de la bâtisse : Casa Milà. Du nom de Pere Milà i Camps, entrepreneur prospère qui a commandé un hôtel particulier à Gaudí. La bâtisse a été érigée malgré l’opposition du conseil municipal et sous les quolibets des Barcelonais. Ils lui donnèrent le nom moqueur et ironique de « Pedrera », que l’on pourrait aussi traduire par « bloc de pierre ». Cent ans après sa naissance, l’hôtel particulier est devenu un chef-d’oeuvre mondial.
Miró
« A Barcelone, la nuit ne tombe pas. Il faut attendre que Miró finisse de la peindre, avec ses étoiles jaunes pointues, ses ronds rouges et ses serpentins blancs. Tous les soirs, c’est une lune inédite, un crépuscule neuf, une voie lactée pleine de jouets. Barcelone est le seul endroit au monde où les enfants n’ont pas peur dans le noir. »
Le Moll de la Fusta et la statue Colomb
« Je remonte, ivre de départ et d’enfance le Moll de la Fusta en titubant. Les enfants d’Hélène sauraient un jour baptiser ce miracle. Et, perchés sur les épaules de Christophe Colomb au sommet du monument qui domine le port, ils tremperaient le pinceau de Miró dans la mer pour repeindre le ciel des Grands d’Espagne aux couleurs de Barcelone. »
Le barri Gòtic
« Je me hasardai doucement dans le barri Gòtic, pieuvre immémoriale aux tentacules de dédales qui crache son encre en jets d’ombre au détour des ruelles. La cathédrale y reposait comme un rocher de dentelle gigantesque, guipure où les mains de Dieu sculptèrent à même la pierre, la grimace muette des Martyrs de la Barca. »
Avec ce terme Martyrs de la Barca, Yann Moix commet (volontairement ?) deux erreurs. Le terme Barca n’existe pas. Au pire, il aurait fallu écrire Barça. Mais ce néologisme, même s’il est couramment utilisé par les Français pour évoquer Barcelone, est inexact. Le diminutif correct est « Barna ». Barça est uniquement le nom du club de foot, d’où la confusion.
Quoi qu’il en soit, la sculpture évoquée par l’auteur existe bel et bien devant la Cathédrale. Il s’agit d’un hommage à la mémoire des habitants de Barcelone qui, en 1809, dans le cadre de la guerre d’indépendance espagnole, menèrent l’insurrection contre les troupes napoléoniennes dans la ville, avant d’être arrêté et exécuté. La fusillade a eu lieu à la Ciutadella et les corps reposent dans la Cathédrale, d’où la prèsence du monument.
Tibidabo
« Les enfants aiment les manèges. Téléphériques, grandes roues, montagnes russes : Barcelone est le Lunapark de la mémoire. Je pris le funiculaire qui s’envole pour le Tibidabo. Là-haut, piquant le pongé des nuages, les aiguilles des nefs formaient une couronne d’épines : c’était le Christ qui m’ouvrait les bras. »
Yann Moix, dans sa Barcelone, fait un passage obligé par le Tibidabo, sanctuaire autrefois religieux, aujourd’hui touristique. « Le Diable l’emmena également sur une montagne extraordinairement haute, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire et lui dit : « Toutes ces choses, je te les donnerai si tu tombes à genoux et fais envers moi un acte d’adoration. » Jésus lui répondit : « Va-t’en, Satan, car il est écrit : “C’est Jéhovah ton Dieu que tu dois adorer , et c’est seulement à lui que tu dois offrir un service sacré. » » Ce passage de l’évangile de Mathieu qui narre la tentation de Jésus par Satan a inspiré le nom à la montagne du Tibidabo de Barcelone.
La hauteur de celle-ci, 512 mètres d’altitude, a rappelé aux esprits religieux de l’époque cette scène biblique. Du coup, le mont a attiré tous les satanistes et amateurs d’ésotérisme qui venaient sur la montagne pour organiser messes noires et autres rites rendant gloire à Satan. Pour stopper ce phénomène, l’église catholique a voulu « sanctifier » le lieu en y bâtissant la fameuse église que l’on connaît aujourd’hui : « el Templo Expiatorio del Sagrado Corazón ». En français : le temple expiatoire du Sacré-Coeur, qui est évidemment un hommage à la basilique du même nom qui trône dans le quartier de Montmartre à Paris.
Le récit de Moix reprend ainsi : « Je surplombais la ville et son passé. Les ruines, en fantôme, se dessinaient dans les brumes de l’altitude : esprits lancinants de l’anarchisme et de l’irrédentisme parodiés, spectres échappés des émules de la Révolution, la tête roulante de Franco sera votre boulet pour la durée des ténèbres. Les fourmis rouges payèrent ici de leur vie le bleu de leur ciel sali. Les pinceaux avaient trempé dans le sang. »
L’auteur conclut son chapitre barcelonais par une mention de la guerre civile, qui opposa en 1936 les Républicains de gauche et d’extrême gauche à l’extrême droite du général Franco. « Les fourmis rouges payèrent ici de leur vie le bleu de leur ciel sali. » Populairement, le rouge est la couleur des forces républicaines espagnole et le bleu est associé aux troupes de Franco. « La tête roulante de Franco sera votre boulet pour la durée des ténèbres ». Une révolution manquée où Franco, contrairement au roi de France, ne sera pas décapité. Le dictateur après 40 ans de règne mourra dans son lit.
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La Google Map Equinox de la Barcelone de Yann Moix