Dans les chiffres, les Français se montrent plus réticents à se faire vacciner contre la Covid-19 que les Espagnols. La raison ? L’influence de nombreuses controverses en France, mais aussi notamment. les séquelles du système sanitaire franquiste en Espagne.
Les Français sont plus réticents à la vaccination que les Espagnols. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 6 Espagnols sur 10 ont reçu au moins une dose de vaccin (au 15 juillet), alors qu’ils sont un peu plus de 5 en France (au 14 juillet).
La méfiance va même plus loin : une plus grande part des Français interrogés pour l’Eurobaromètre (paru en avril 2021) dit être globalement d’accord avec le fait que « les vaccins sont développés, testés et autorisés trop rapidement pour être sûrs » et qu’ils pourraient avoir « des effets secondaires à long terme que l’on ne connaît pas encore ». Des chiffres plus élevés par rapport à leurs voisins espagnols. Par ailleurs, les Français préféraient attendre plus longtemps pour se faire vacciner.
Cette réticence hexagonale ne date pas d’hier : en 2018, une étude démontrait que 33 % des Français interrogés contestaient la sécurité des vaccins, contre seulement 7 % pour la moyenne mondiale.
Des controverses sur les vaccins qui ont marqué les Français
La méfiance française peut s’expliquer par les nombreuses controverses liées aux vaccins dans les dernières décennies, selon Benjamin Debrez. « Il existe des débats publics très médiatisés sur les vaccins en France depuis les années 1990 », avance le sociologue et maître de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (CRESPPA).
Lien entre hépatite B et sclérose en plaques, échec de la campagne de vaccination de la grippe A H1N1, risques du vaccin contre le papillomavirus, de l’adjuvant contenant de l’aluminium… « Depuis une dizaine d’années, on pourrait établir un lien entre ces controverses et l’hésitation vaccinale très présente en France », avance le chercheur.
En revanche, le sociologue insiste : l’hésitation vaccinale n’est pas un refus catégorique du vaccin. « C’est plutôt le fait d’attendre avant de se faire vacciner ou d’avoir des doutes sur certains vaccins par exemple. C’est très différent et beaucoup plus répandu en France que les mouvements antivaccin. Même s’ils sont souvent mis en avant dans les médias, ils sont très minoritaires en réalité.
De plus, il estime que l’hésitation vaccinale n’est pas forcément un signe d’une mauvaise compréhension de la situation, mais plutôt d’une réflexion après les précédents scandales liés aux vaccins en France. « Les Français semblent avoir pris une grande maturité vis-à-vis de la science et la médecine et de leurs enjeux politiques, grâce aux controverses. »
L’hésitation vaccinale en France se mêle aussi à la défiance vis-à-vis du monde politique. Benjamin Debrez explique qu’une partie importante des « hésitants vaccinaux » font partie de milieux populaires, au capital économique et au niveau de diplômes moins élevés ; il fait le lien avec la méfiance vis-à-vis des dirigeants.
« Et dans la campagne de vaccination, il y a une question de confiance en la politique autant qu’en la médecine. Beaucoup de Français semblent ne pas vouloir prendre la responsabilité de se faire vacciner et attendent que les politiques les y forcent, on le voit avec la montée des prises de rendez-vous pour se faire vacciner après l’annonce de Macron. C’est une façon de mettre la responsabilité sur le dos du pouvoir politique », résume-t-il.
De plus, les doutes émis par le corps médical lui-même mènent encore plus à la méfiance, selon Jeremy Ward, sociologue et chercheur au CNRS, ce qui pourrait s’expliquer selon lui par « une dégradation du rapport entre les médecins et les autorités sanitaires, jugées déconnectées du terrain » (France Info).
En Espagne, une confiance en la médecine plus qu’en la politique
En Espagne, même si la défiance vis-à-vis des politiques est bien présente, la confiance entre médecin et patient semble prendre le dessus. « Les Espagnols ne remettent pas en question l’avis des médecins. Leur opinion a toujours plus de poids que celle des politiques », affirme le docteur Jordi Fernández-Castro, professeur de psychologie à l’Universitat Autònoma de Barcelone. « Et comme les personnes âgées ont vu le système sanitaire s’améliorer avec le temps depuis la dictature, les médecins ont un vrai prestige et les gens ont beaucoup confiance en eux. »
Dans la Péninsule ibérique, c’est justement pour éviter de porter une responsabilité dans la pandémie que les Espagnols ont plus tendance à se faire vacciner, observe-t-il. « Les gens ici sont très habitués à prendre un médicament lorsque quelque chose ne va pas, c’est toujours la solution ; ainsi, on se libère de la responsabilité individuelle, il n’y a rien d’autre à faire. »
Cette tendance à la médicalisation du système sanitaire en Espagne, Joan Benach de Rovira l’explique comme une séquelle du franquisme. « Durant la dictature, le pouvoir pharmaceutique était très fort dans le système sanitaire, et l’utilisation de médicaments était très élevée », avance le professeur au département de Sciences politiques et sociales à l’Universitat Pompeu Fabra de Barcelone, et docteur en santé publique.
« De plus, à cause de la pression des pharmaciens, beaucoup de médecins qui devaient écourter leurs visites prescrivaient des médicaments. La population s’est habituée à en prendre souvent, et cela persiste encore. » En conséquence, aujourd’hui, l’Espagne serait le pays qui consomme le plus de médicaments en Europe, selon le professeur.
Le choc de la Covid-19 en Espagne
La tendance à la vaccination des Espagnols peut aussi s’expliquer par le choc d’avoir été l’un des premiers pays durement touchés par la pandémie en Europe. Les images des hôpitaux de campagne débordés, du Palais de Glace de Madrid transformé en morgue et des maisons de retraite où les morts s’entassaient ont profondément choqué les Espagnols, alors que la France, même si elle a dépassé son voisin en termes de décès, semble avoir vécu un traumatisme moins transcendant.
« Au niveau psychologique, le fait de voir le virus très présent partout autour de nous rend le risque plus perceptible, et joue un rôle important dans la décision de se faire vacciner », explique Jordi Fernández-Castro à propos de la population espagnole.
Joan Benach de Rovira conclut en avançant qu’« en France, on voit plutôt le vaccin comme une menace, alors qu’en Espagne, il est plutôt présenté comme un espoir » face à la Covid-19.