Angela Lorente, Barcelonaise d’origine et productrice de Loft Story, première télé-réalité française, se confie sur son rapport à sa ville natale et revient aussi sur son parcours qui l’a emmené à devenir une figure de la production d’émissions de divertissement en France.
Vous êtes originaire de Barcelone, quels souvenirs gardez-vous de votre enfance passée dans la capitale catalane ?
Je suis née à l’Hospitalet. J’ai été scolarisée à Barcelone, dans un établissement privé franquiste où les petites filles priaient à la fois la Vierge et Franco. À l’époque, les écoles publiques n’étaient pas très bonnes. Après la mort de Franco en 1975, je me souviens d’une Barcelone libre, très créative et cosmopolite. Une fois à l’Université, j’ai étudié la littérature espagnole et française. J’adorais la langue de Molière et surtout Paris. La première fois que j’ai visité la capitale française, j’avais 16 ans et je me suis dit : « Je vivrai ici ! ». J’ai eu un coup de cœur et pour moi, c’était une évidence de vivre dans cette ville. Quand je me suis installée à Paris, j’avais 23 ans.
Pourquoi avoir quitté Barcelone ?
Je suis partie de Barcelone, car la ville était devenue petite pour moi. Barcelone, c’est ma ville de cœur. J’habitais en plein centre, sur la Rambla. J’ai été une activiste féministe, je faisais du théâtre, je côtoyais des artistes, etc. Mais, au bout d’un moment, je connaissais tout le monde et j’avais l’impression de ne pas pouvoir y évoluer. Quand j’ai emménagé à Paris, en 1983, j’ai rencontré des groupes de rock, je suis devenue manageuse. J’ai ensuite travaillé à Radio Nova et j’ai enchaîné à la TV. Cela fait 37 ans que j’y vis maintenant. Paris a changé ma vie, mon destin.
Selon vous, quelles sont les plus grandes différences entre la Barcelone des années 70 et la Barcelone actuelle ?
Dans les années 70, après le franquisme, Barcelone était très libre. Tout était permis. Il y avait des artistes formidables à la Rambla comme Ocaña, Nazario, etc. Ils avaient beaucoup de talents et ces artistes ont fait bouger les choses. C’était assez Rock’n’roll, Barcelone vivait au rythme de ses concerts, de ses artistes et musiciens. Mais après la Movida espagnole, au début des années 80, Barcelone a changé. Madrid a beaucoup œuvré pour la culture. La capitale espagnole est devenue plus ouverte grâce à son maire de gauche Enrique Tierno Galván et a devancé Barcelone en matière de culture.
À l’époque, Barcelone était aussi plus cosmopolite, tout le monde cohabitait très bien. Je trouve qu’actuellement la capitale catalane traverse une période compliquée. Pour les étrangers, c’est toujours bien, mais je pense que pour les Catalans c’est plus fermé. Je les trouve plus divisés depuis le séparatisme et l’histoire des procès liés à l’indépendantisme. J’espère que cela va se résorber avec la nouvelle génération.
Est-ce que Barcelone vous manque ?
Avant le Covid, j’y retournais souvent. Donc, c’est comme si je ne l’avais pas vraiment quitté. J’ai été adopté par Paris, mais j’ai besoin de ces deux villes. Je les trouve très complémentaires. La ville de Paris est très enthousiasmante d’un point de vue professionnel. J’ai bâti ma carrière ici et j’y ai beaucoup de collaborateurs. Je suis entourée par beaucoup de gens stimulants. Il y a aussi un côté romantique à Paris.
À Barcelone, c’est chaleureux, il y a la mer et les gens sont spontanés. Cet art de vivre qui définit Barcelone et l’Espagne en général me plaît et me manque parfois en France. Mais, j’ai autant besoin de l’enthousiasme de Paris que de la chaleur barcelonaise.
Quelles sont les différences entre la vie de Barcelonais et la vie de Parisien ?
Il y a beaucoup de différences. Premièrement, la façon de vivre en Espagne est beaucoup plus spontanée. À Barcelone, on ne prend pas de rendez-vous pour se voir. On appelle le même soir et on se pointe chez les amis. À Paris, ce n’est pas le cas. C’est très protocolaire. Ensuite, en France, on juge beaucoup, c’est le pays des étiquettes. En Espagne, c’est un peu plus ouvert. On mélange les gens et les genres.
Votre souvenir le plus marquant à Paris et à Barcelone ?
À Barcelone, dans les années 70, il y avait un artiste qui s’appelait Ocaña. Il habitait à la Plaça Reial et désormais, on retrouve un bar à son nom sur cette place. Cet artiste s’est fait connaître grâce à ses très beaux tableaux et ses performances atypiques. Ce qui m’a le plus marqué, c’était lors d’un réveillon du Nouvel An que l’on célébrait au Pueblo espanyol. Cette soirée était retransmise en direct à la télévision catalane. Au moment des 12 coups de minuit, Ocaña est monté dans une grue et a fait une performance en live durant laquelle il s’était complètement déshabillé. C’était dingue ! Il a fait ça, car c’était un artiste. Il l’a fait pour la liberté d’expression. Pour la liberté tout court. Je pense souvent à lui car c’est un grand artiste. Et malheureusement, on n’en a pas fait assez pour lui. Il faisait des tableaux merveilleux, des petits films qui étaient un peu une forme de télé-réalité. Et c’était aussi une icône de résistance contre la dictature franquiste. Je pense souvent à lui.
À Paris, mon souvenir le plus marquant reste celui des attentats du 13 novembre 2015. Quelques jours après le drame, je suis allée avec une amie sur la Place de la République pour y déposer des fleurs. Il y avait une foule incroyable. Des familles, des couples, des jeunes déposaient des gerbes de fleurs et les enfants déposaient des dessins. Tout le monde pleurait. C’était quelque chose de fort. Quand j’ai vu tous ces jeunes, retourner en terrasse et dire que Paris est une fête en reprenant la formule d’Hemingway, j’ai été très émue. Cette espèce de vie et de force après les attentats de Paris, c’est l’une des plus belles choses que j’ai vécue. Il y a eu une effervescence indescriptible, une vitalité folle. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que moi aussi, je suis Française !
Vous êtes une figure de la production d’émissions TV en France, qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans la télé-réalité, notamment à produire le Loft ?
J’ai fait un reportage sur le phénomène Gran Hermano de Madrid (le Loft espagnol) car la télé-réalité est arrivée en Espagne avant la France. Ce documentaire m’a fait connaître à Paris et Endemol (société de production du Loft) m’a contacté. Ils m’ont demandé d’être productrice de Loft Story et j’ai accepté. Je produisais la quotidienne et j’ai supervisé le casting.
Ce qui m’a emmené à ça ? Je suis passée par la case traditionnelle des documentaires avant de produire ce genre de programmes. Cela a été un coup de cœur pour moi cette nouvelle façon de filmer. C’était une écriture télévisuelle très novatrice. Dans les premières années de la télé-réalité, la production ne disait pas aux candidats quoi faire. Ils vivaient leur vie, étaient libres et nous on filmait ça.
Pensez-vous que la télé-réalité est terminée en France au vu de la chute de leurs audiences ?
Je ne pense pas. Par exemple, Koh Lanta, The Voice sont des émissions de télé-réalité et elles marchent très bien. Quand on voit leur mécanique, les candidats se font éliminer chaque semaine, c’est purement de la télé-réalité. Le problème de ce genre d’émissions repose sur la mentalité très critique des Français. Elles ont fini par être mal vu. En Espagne, ces programmes sont beaucoup plus cash, il n’y a pas de complexe. Et pourtant, cela ne pose pas de problème. En France, on a fini par avoir honte de ces émissions. Au début, cela marchait tellement bien que cela paraissait génial. Par exemple, l’Île de la tentation attirait 6 millions de personnes à chaque épisode, et Mon Incroyable fiancé, 10 millions de personnes. C’était énorme ! Aujourd’hui, les Princes de l’Amour et les Marseillais sont bien fichus, mais sont devenus des niches. Ils attirent surtout les jeunes. Faire 800 000 d’audience, c’est désormais un gros succès pour ce genre d’émission.
Quel est le programme que vous avez le plus aimé produire ?
Le Loft, car en France, il y a eu un avant et un après Loft Story. C’était une émission folle. Les gens ne parlaient que de ça. Cela a révolutionné le petit écran français. Il y a eu aussi un aspect sociologique. À travers cette émission, on examinait la jeunesse des années 2 000.
J’ai également été très fière de produire Queer, 5 garçons dans le vent. Malheureusement, c’était très cher à produire donc cela n’a pas duré. Le concept était simple. Cinq homosexuels aidaient un hétérosexuel qui était à la ramasse. J’étais contente de ce programme, car cela a ouvert les mentalités. J’ai toujours essayé de faire des bouger les lignes. Ouvrir les esprits était mon devoir.
Et, l’émission que vous avez regretté ?
Je n’ai absolument rien regretté. La seule chose qui me vient à l’esprit, c’est le fait d’avoir refusé la production d’un programme diffusé sur Netflix : The Circle. Quand on me l’a proposé, j’avais déjà repéré des gens pour le casting, mais finalement je ne l’ai pas fait. Je regrette car le casting n’est pas très bien. Comme je suis une passionnée, tout était déjà clair dans ma tête !
Envisageriez-vous de produire des programmes à la télévision espagnole ?
J’adorerais travailler en Espagne ! J’ai d’ailleurs des formats que j’aimerais exporter là-bas. Je lancerai peut-être un appel pour deux formats de télé-réalité et deux autres formats qui seraient des séries documentaires. Ce serait un bel accomplissement d’exporter quelques-uns de mes succès en Espagne !