La Rambla de Barcelone, l’avenue la plus fréquentée de la ville il y a encore un an, est devenue l’une des plus délaissées. Chaque jour, des Barcelonais continuent de la rejoindre pour travailler, malgré l’absence de clients. Reportage.
“Il est 13h je n’ai rien vendu, hier aucune vente non plus. Ça me fait de la peine de voir la Rambla de Barcelone comme ça, on dirait un village de Far West” se désole Flor. La quinquagénaire travaille depuis quatorze ans au stand Fresh Juice by Molina, à mi-chemin entre la Rambla et le théâtre del Liceu. Habituellement, elle vend des aliments périssables “mais nous avons trop de pertes, nous ne pouvons plus nous le permettre”. Le lieu présente donc des alcools, huiles d’olive, pots de miels “on a même trop de stock de bouteilles d’eau”. Quelques produits affichent le logo du Barça uniquement pour remplir la vitrine.
En 2019, près de douze millions de visiteurs avaient foulé le sol de la capitale catalane. Pour de nombreux touristes, la Rambla correspond à un passage obligé. “Avant le boom touristique des Jeux Olympiques de 1992, la Rambla était déjà un incontournable pour les habitants, c’était le lieu pour se montrer, accéder à la Barcelone Canaille” raconte Alberto Castro. Le Catalan de 45 ans a passé sa vie derrière son kiosque, où les journaux et magazines parfaitement alignés côtoient les guides touristiques et souvenirs de Barcelone. “Ma mère m’amenait voir mon père quand il travaillait, j’étais encore dans la poussette” raconte-t-il.
Il a connu la Rambla à toutes les époques, mais il n’avait jamais vu un tel paysage. Aujourd’hui, il règne une tranquillité presque déconcertante. Peu d’habitants fréquentent la célèbre promenade. En ce mercredi de février, seuls quelques clients fidèles viennent acheter le journal. “C’est le désert, j’ouvre tous les jours car je deviendrais fou enfermé chez moi”. Avant la pandémie, il avait entre huit et neuf employés. Désormais Alberto Castro travaille seul, avec parfois l’aide de son frère. “Ce n’est pas que je souhaitais viser les touristes, mais je m’adaptais à la demande. Mon commerce dépend de l’affluence de la Rambla” ajoute-t-il en gardant le sourire.
Quelques mètres plus bas, au niveau de la station de métro Liceu, prennent place les fleuristes. Ils étaient seize stands avant la pandémie, quatre ont déjà fermé définitivement leurs portes. Les autres tentent de survivre, comme Raquel Martin. “Nous devrons fermer si ça continue comme ça, nous n’avons pas assez d’argent”. Son chiffre d’affaires a baissé de 80%. “La vente de fleurs était déjà compliquée. Les gens qui se promenaient sur la Rambla achetaient des fleurs de façon impulsive, ce n’est pas dans la culture de penser à ce type de cadeau” confie-t-elle.
La restauration de la Rambla de Barcelone en berne
Actuellement en Catalogne, les bars et restaurants sont autorisés à ouvrir pour le petit-déjeuner et le déjeuner. Pourtant, sur la Rambla, la plupart sont fermés. Ces derniers ciblaient les touristes, avec des prix plus élevés que la moyenne. Au milieu des rideaux baissés, se niche le Café de l’Opéra.
Situé au 74 de la Rambla, cet endroit était fréquenté par les bourgeois, écrivains et bohèmes au XIXe siècle. Ces dernières années, 70% de la clientèle se composait de touristes. Presque un an après le début de la pandémie, sur les 22 employés, 17 sont encore au chômage partiel. “Je sens que 2021 va être une année similaire à 2020 voire pire” confie José, le responsable depuis cinq ans. “Tant que nous aurons des restrictions, nous pourrons à peine payer nos charges”.
La Rambla de Barcelone doit aussi sa réputation à ses lieux historiques, tels qu’Escribà. Cette pâtisserie s’est installée en 1986 dans une maison moderniste, à la façade datant de 1902. Après sept mois de fermeture, le local a rouvert en octobre dernier afin de mesurer le réel impact de la pandémie sur son activité. « C’était catastrophique, nous avons plutôt une clientèle de touristes que de locaux » confie Terry derrière le comptoir.
En ce début d’année, la Catalane sent une légère amélioration de ses ventes. “C’est une boutique sentimentale, on essaie de fidéliser les clients”. Ces derniers viennent le week-end, s’arrêtent prendre une douceur à emporter lors d’une balade. Terry a été au chômage partiel durant neuf mois, “j’étais en dépression, je pleurais tous les jours. Je revis de revenir au travail”.
Malgré la faible fréquentation, les commerçants et travailleurs trouvent un peu de bonheur à retrouver leur Rambla, comme le raconte Alberto Castro. « Chaque jour où j’ouvre je perds de l’argent, c’est difficile de s’en sortir en vendant seulement quelques journaux par jour. Mais je resterai là tant que je peux. Tout le monde m’a dit de chercher un autre travail, mais je me lève tous les jours pour mes clients de toujours, c’est toute ma vie ».