Déclaration de l’état d’urgence, fermeture de commerces, restrictions de mobilité, les onze mois écoulés furent mouvementés. Les Barcelonais vivent différemment leur quotidien. Témoignages.
« Mon chiffre d’affaire s’est réduit de moitié, le mois dernier je n’avais pas assez pour payer toutes mes charges » confie Ylenia Farrula. La Catalane tient un salon de coiffure dans le quartier de Sant Andreu. Sa situation devient de plus en plus compliquée, mais « je ne peux pas me plaindre, j’ai vraiment de la chance de pouvoir ouvrir du lundi au samedi » ajoute-t-elle.
Mais les mesures sanitaires impactent tout de même son activité, la professionnelle ne peut plus gérer deux personnes en même temps. « En raison des distances sociales, les rendez-vous s’espacent, le client doit attendre son tour à l’extérieur ce n’est pas très confortable ». Avant la pandémie, la coiffeuse pouvait recevoir jusqu’à quatre clients par heure. À la nouvelle normalité s’ajoute la baisse de la fréquentation. Même ses clients fidèles depuis quinze ans viennent moins « car ils ont moins de revenus ».
Pour soutenir les travailleurs indépendants, le gouvernement catalan a mis en place quelques aides. « Ça me permet juste de ne pas être trop endettée. J’ai eu droit à une première de 2.000 euros et une seconde de 300 euros. Et encore j’ai dû me battre pour obtenir cette dernière qui me paye à peine l’électricité » raconte la coiffeuse.
Si elle se définit habituellement comme une personne positive, elle vit actuellement dans une grande anxiété. « Je n’ai plus envie de sortir me promener ni d’aller prendre un vermouth. Le pire c’est que je ne vois pas comment cela peut s’arranger, je n’ai aucun espoir de vivre un été comme avant, ni même des fêtes de Noël classiques, je vis au jour le jour » s’attriste Ylenia Farrula.
Un nouveau monde du travail
Un autre secteur a dû s’adapter à la pandémie : l’éducation. Professeure d’histoire géographie au lycée américain de Barcelone, Judith Codina est passée de l’enseignement virtuel aux classes masquées. « Bien sûr que c’est plus facile d’enseigner de chez moi de manière virtuelle que de revenir au lycée. Mais je suis contente de le faire pour mes élèves, car avec le présentiel le risque de décrochage scolaire est plus mince » confie la pétillante Catalane. Mais le port du masque reste un vrai défi pour Judith. « On perd tout le langage non verbal des enfants, donc c’est plus compliqué d’échanger avec eux. Parfois tu ne sais pas quel élève te parle, c’est très dérangeant » raconte-t-elle en riant.
Concernant le débat sur l’ouverture ou non des écoles durant la pandémie, Judith est catégorique : « les enfants ont moins de chance de se contaminer à l’école que s’ils rôdent dans les rues explique-t-elle dans un français parfait, nous devons rester ouvert, l’école est un besoin essentiel pour la société. »
L’enseignante n’est donc pas stressée de se rendre sur son lieu de travail. « Les écoles sont des lieux sûrs. Nous n’avons eu aucune contagion en six mois. Ce qui me fait le plus peur, ce sont les comportements des parents d’élèves devant l’établissement quand ils viennent chercher leur enfants. Il y a des interactions sociales ».
Les rencontres peuvent être synonyme d’angoisse, comme pour Pierre, community manager dans une entreprise située dans le quartier de Gràcia. Depuis octobre, il n’a droit qu’à une seule journée de télétravail par semaine. « Nous venons d’endroits différents, certains prennent le train d’autres le métro, il serait préférable d’augmenter le télétravail pour des raisons sanitaires » s’agace le Français qui a obtenu un refus catégorique de la direction. « Les chefs disent que c’est pour des questions d’organisation, mais on m’a glissé que c’est en raison d’un manque de confiance en certains employés » ajoute-t-il.
Pierre ressent une vraie frustration ne pas pouvoir travailler depuis son domicile : « mes colocataires et toutes mes connaissances peuvent en profiter. Déjà que la pandémie nous a tout enlevé, je ne peux même pas bénéficier du seul avantage qu’elle procure. En étant community manager, je pourrais parfaitement travailler de chez moi ».
Faire preuve de patience
D’autres Barcelonais vivent la situation actuelle avec philosophie. Lucie Godefroy est arrivée en septembre à Barcelone pour ses études, elle a toujours connu la ville sous restrictions. « Réussir mon année reste ma priorité, la fermeture des boîtes de nuit ne m’affecte pas comme d’autres étudiants. Je suis juste déçue de ne pas avoir pu fêter mes 20 ans dans un bar pour passer une soirée différente » confie-t-elle. Dans une ville aussi cosmopolite que Barcelone, elle souhaiterait pouvoir faire plus de rencontres. “Mes seuls amis sont mes camarades d’école, nous parlons beaucoup de nos études de chiropratique. J’aimerais pouvoir créer des liens avec des personnes que je n’aurai pas l’occasion de rencontrer dans mon quotidien”.
L’étudiante se dit heureuse de pouvoir aller courir sans masque, sans se plaindre de ne pas pouvoir se déplacer aussi facilement qu’avant. « Je ne rentrerai pas voir ma famille en France avant un long moment. Entre réfléchir aux vols disponibles, aux tests PCR à effectuer, calculer de les faire dans les 72h pour avoir le résultat à temps, c’est très contraignant. C’est plus simple de patienter. Finalement mon seul changement, c’est de devoir mettre un masque pour aller dehors. »
La tranquillité se vit pour toutes les générations. Jacqueline Campbell a 77 ans et réside depuis quatre ans à Barcelone, après trente ans aux États-Unis. « Je me sens privilégiée de vivre ici, le climat est agréable, je ne peux pas me plaindre. J’habite vers le parc del Turó, j’ai tout autour de moi, je peux me promener quand je le souhaite » explique-t-elle avec le sourire. La Française a eu la Covid-19 avec une pneumonie, mais s’estime heureuse « car j’ai été bien soignée et je n’ai pas eu d’effet secondaire ».
Pour le futur elle se montre très optimiste, « on va s’en sortir ! » s’enthousiasme-t-elle.