Enric Arquès est le président du Fórum Salut Mental, l’entité regroupant les professionnels du système de santé mentale public en Catalogne. Rencontre avec ce psychologue clinicien réputé pour faire un point sur la pandémie et ses conséquences sur la santé mentale.
Sur le plan de la santé mentale, dans quel état est la société catalane après neuf mois de pandémie ?
L’Organisation mondiale de la santé a déclaré que la troisième vague du Covid sera celle des problèmes psychologiques. Les restrictions, le confinement et la crise économique font des ravages. Aussi bien chez les personnes qui avaient des antécédents, que chez les patients en convalescence ou tout simplement tout citoyen qui auparavant n’avait pas de symptômes.
Par ailleurs, les personnes touchées, par peur d’être systématisées ou jugées à tort comme fragile, n’en parlent pas à leur entourage familier ou leur cercle intime.
Dans les faits, comment se traduit cette vague de problèmes psychologiques ?
Dépressions et crises d’angoisse. Incapacité de faire le deuil pour des personnes ayant perdu un proche durant le confinement et qui n’ont pas pu assister aux obsèques. On pense aussi à ces personnes qui sont mortes seules dans les hôpitaux pendant les nécessaires restrictions de visite.
La vie individuelle continue même si l’on arrête la vie sociale ou la vie commune. On peut stopper le virus mais pas la vie. L’existence n’est pas une chose abstraite. Il faut penser à comment on vit mais aussi comment on meurt. Par exemple, pour quelqu’un qui a perdu sa mère dans de telles conditions, c’est extrêmement douloureux. On peut mourir du Covid, mais on peut aussi mourir de tristesse.
Cette semaine, le Fòrum Salut Mental a critiqué le gouvernement de Catalogne pour son absence de mesure en faveur de la santé psychologique. Qu’attendez-vous de la Generalitat ?
Il faut un plan budgétaire et donner la priorité à la santé psychologique. Le système public de santé mentale était doté d’un budget de 70 millions d’euros avant la crise du Covid. Ce qui était déjà largement insuffisant. Maintenant avec les ravages du Covid, le budget apparaît encore plus mince. S’il n’est pas augmenté maintenant, à quel moment le fera-t-on ?
Que pensez-vous des restrictions qui ne favorisent pas la bonne gestion du stress comme la fermeture des gymnases ou l’impossibilité de quitter sa ville durant le week-end ?
Il est facile de critiquer donc je ne le ferais pas. Nous sommes dans une situation extrêmement compliquée. Cependant, il est bon de noter que durant la seconde vague, le gouvernement catalan n’a pas fermé les écoles comme au mois de mars. Et c’est une bonne chose, tant les dégâts psychologiques de la fermeture des lieux scolaires furent important durant le confinement. Ce que l’on a réussi avec les écoles, je le tenterais avec le sport et la culture.
Mais j’insiste que nous sommes dans une situation d’une grande complexité. Concernant le confinement périmétrique du week-end, il génère forcément un stress. A Barcelone, on peut voir ses amis qui habitent souvent la même ville. Mais dans les villages, les proches sont souvent dans une commune voisine. Même séparés de quelques centaines de mètres, il n’est plus possible de les voir le week-end.
Les mesures de restrictions prises ne sont pas des mesures sanitaires au sens propre, ce sont avant tout des mesures sociopsychologiques. Les restrictions frappent le vivre ensemble, les liens sociaux, le contact. Le comité du Procicat qui décide in-fine des mesures est composé d’experts sanitaires. Je pense qu’il serait bon que des médecins psychologues puissent être dans la boucle pour prendre des décisions lors des réunions du Procicat.
Enfermés les habitants dans une grande ville comme Barcelone le week-end, sans aucune restriction de circulation des voitures et motos entraînant du bruit et du stress, c’est une erreur ?
Officiellement, il n’y a aucun lien direct entre la détérioration de la santé mentale à un niveau clinique et les problèmes de bruit de circulation en ville. Ceci étant dit, Barcelone doit être une ville où l’on peut marcher, se balader et avoir moins de voitures. On doit penser à créer une ville où l’on vit, et non une ville où l’on circule.
Où est-ce le plus difficile de vivre avec les problèmes liés à la pandémie : à Barcelone ou dans un village catalan ?
Dans les zones rurales la cohésion entre les personnes est plus forte. Grâce à la plus faible densité, les restrictions sont souvent plus légères. Concernant Barcelone, tout dépend du quartier de résidence. Être confiné dans 90 mètres carrés en couple est différent d’un confinement dans 30 mètres carrés avec des enfants. A Barcelone, comme dans beaucoup de villes, les déterminants sociaux sont très différents d’un quartier à l’autre. Malheureusement, le code postal est plus transcendant que le code génétique.
Les fêtes de Noël sous restrictions laisseront des traces psychologiques importantes ?
Noël est toujours un moment délicat. Ce n’est pas toujours joyeux, quand on a perdu un être cher c’est une date très douloureuse. A l’inverse, se sociabiliser avec des gens que l’on apprécie pas est toujours aussi compliqué.
Globalement le Noël 2020 est une date anormale. Il y a une tristesse globale, un épuisement général et un manque d’espoir total.
Quand la pandémie sera terminée, combien de temps la société catalane mettra pour effacer ses séquelles psychologiques ?
Nous sommes inquiets pour les jeunes, le marché du travail était déjà compliqué avant la crise, maintenant c’est terrible. Les deux ou trois prochaines années qui sont devant nous seront extrêmement dures. Pour faire une métaphore marine, quand la tornade sera partie, nous pourrons alors voir l’étendue des dégâts.