Cette nuit, les bars et restaurants de Catalogne ont dû baisser le rideau, pour une durée minimum de quinze jours. Reportage auprès d’établissements français à Barcelone, durant leur dernière journée.
« C’est une surprise, c’est très radical » se désolent Aline et Gérald, fondateurs du Belleville à Poblenou. « Nous espérions un modèle à la française, avec juste une fermeture le soir ». Pour le couple, c’est l’incompréhension. Après le confinement du printemps dernier, ils commençaient à sortir la tête de l’eau. Créé en 2019, le restaurant grandit grâce à sa clientèle fidèle et locale, mais la pandémie a tout bouleversé.
En ce dernier jour d’ouverture, les habitués sont au rendez-vous, en salle comme en terrasse. « Nous avons adapté le menu, au moins par rapport au confinement de mars, nous avons eu deux jours pour nous préparer et annuler les commandes. Nous sommes réalistes, la fermeture durera plus de quinze jours » raconte Gérald. « C’est rageant que nous soyons la cible. Depuis le début, les restaurants respectent bien les consignes : distances entre les tables, port du masque, gel. Ce sont les fêtes qu’il faut contrôler, car notre fermeture n’empêchera pas les gens d’acheter de l’alcool et de se réunir » explique-t-il.
Les clients profitent d’une ultime formule du midi, d’autres d’un café en terrasse, le tout dans une ambiance paisible, comme si chacun savourait ces derniers instants. La mesure actuelle autorise les établissements à réaliser de la vente à emporter ou des livraisons à domicile, mais la réalité est plus compliquée pour le Belleville. « Ce n’est pas un service que nous proposons habituellement donc ce n’est pas assez rentable. Il faudrait investir sur du matériel, compter les frais des applications de livraison, ajuster les prix et les plats » relate le propriétaire des lieux.
En attendant, les gérants du Belleville se concentrent sur leur objectif : réussir à payer les charges fixes et espérer obtenir un minimum d’aides. « Ce qui est démoralisant, c’est de ne pas savoir quand cette période s’arrêtera, pour vivre sereinement de notre activité. Car nous sommes un jeune restaurant, mais il faut garder le moral » confie Gérald, avant de retourner en cuisine.
Impact sur la vie de quartier
Dans le quartier de la Sagrada Familia, Pascal Soalhat et Gabriel Bollet s’attellent pour ouvrir à 18h30, « nous sommes complets ce soir ». Ils ont fondé Copitas il y a trois ans maintenant. « Nous avions un événement prévu ce week-end, mais nous proposerons de la choucroute à emporter » raconte Pascal Soalhat. « Les premières victimes sont nos employés, qui seront au chômage partiel, puis ce sont les patrons et clients. En Espagne, se rendre dans un bar ou au restaurant c’est culturel, bien plus qu’en France. Du petit-déjeuner au dîner on est dehors ».
Pour le Français, cette fermeture est comme une prise d’otage. Il regrette qu’il n’y ait pas de différenciation entre les bars et restaurants, « le défi pour la Catalogne va être de prouver que ces établissements correspondaient bien à des foyers de contagion ». Si le propriétaire du restaurant n’est pas inquiet pour son avenir, celui de la zone le préoccupe davantage. « C’est un quartier qui a déjà beaucoup souffert, des lieux ne vont peut-être pas rouvrir, l’ambiance sera encore plus tranquille ». Il ne voit pas le bout du tunnel, « tant qu’il n’y aura pas de vaccin, ces mesures ne régleront pas le problème ».
Des pertes irréversibles
Pour Claude fondateur de l’Atelier de Blai, situé dans l’emblématique carrer de Blai, il n’y aura pas de dernier service. Le professionnel a décidé de ne pas rouvrir. Depuis cet été, le lieu accueille ses clients du jeudi au dimanche. « Nous n’avons pas assez de monde pour ouvrir plus, nous avons perdu 70% d’activité, le manque de touristes se fait sentir et des habitants qui ont peur de sortir de chez eux » explique-t-il. À l’annonce des restrictions catalanes, le Franco-Argentin n’a pas souhaité préparer le stock et tout organiser pour seulement une journée de travail.
Pour lui aussi, les mesures actuelles n’empêcheront pas les soirées dans les appartements, « je me demande si le remède ne sera pas pire que la maladie. En tout cas c‘est la douche froide, la situation était déjà insoutenable, avec une capacité d’accueil réduite et mes deux tables en terrasse. C’est une année perdue, pour l’instant je fais face, nous verrons bien le futur ».
Il indique que plusieurs lieux de Poble Sec ont déjà fermé leurs portes définitivement. Ils seraient 15% dans tout Barcelone selon les données d’Hostelería de España et 40% avec la corde au cou actuellement. Face à cette fermeture de quinze jours, l’association FECASARM estime que les pertes s’élèveront à 900 millions d’euros pour tous les bars et restaurants de Catalogne.