Indépendance Catalogne – Passage en revue des troupes indépendantistes et des divisions qui règnent dans le monde complexe du souverainisme catalan.
La Catalogne se prépare à voter. Le président catalan est condamné à une peine d’inéligibilité de 18 mois pour avoir refusé de retirer un ruban jaune -symbole indépendantiste- de la façade du siège du gouvernement lors d’une période électorale.
Le président catalan Quim Torra devrait perdre son siège au mois d’octobre quand le Cour Suprême espagnole confirmera la sentence du tribunal catalan.
Une fois le président destitué, le parlement à majorité indépendantiste n’investira pas un remplaçant. Comme le souhaite Carles Puigdemont -et au grand dam de la gauche indépendantiste qui voulait des élections immédiates- il faudra attendre la convocation automatique d’un scrutin en vertu de la loi électorale.
Puigdemont repousse la date des élections
Le président Torra pourrait dissoudre le parlement et convoquer des élections avant d’être destitué. Il ne le fera pas. Par stratégie de la terre brûlée, Puigdemont veut imposer l’idée que le Tribunal espagnol force des élections. Pour ainsi jouer sur la fibre la plus identitaire de l’électorat.
Par ailleurs, en activant le mécanisme constitutionnel de la vacance présidentielle, le délai pour que les élections soient convoquées est relativement long. Le scrutin n’aura pas lieu avant décembre, voire janvier ou février.
Si Torra avait dissous le parlement, les élections se seraient tenues en octobre. Le camp Puigdemont espère que le temps aidera à détruire le capital électoral de la gauche indépendantiste (ERC). Aujourd’hui ce parti gère les ministères catalans de la Santé, de l’Éducation et du Travail. Autrement dit l’ensemble des secteurs frappés de plein fouet par les crises sanitaire et économique. Dans le gouvernement de coalition, le parti de Carles Puigdemont détient la présidence et les autres ministères moins touchés par la crise du Covid. Par ailleurs, au plan national ERC a tenté une négociation avec le gouvernement, sans résultat.
Carles Puigdemont veut mettre ERC face à ses échecs et ainsi engranger le vote indépendantiste. Cette élection devrait départager les acteurs indépendantistes. Un mouvement politique qui se présente aux élections comme un puzzle éclaté en 1001 pièces.
Les pièces de la droite indépendantiste
La toute puissante Convergència i Unió (CIU) fédération catalaniste fondée par Jordi Pujol qui gouverna la Catalogne de 1981 à 2004 cessa d’exister en 2015.
Les deux derniers présidents de la Catalogne issus de CIU furent Artur Mas et Carles Puigdemont. La fédération mourut en raison d’affaires de corruption tentaculaires et des divisions internes liées au processus indépendantiste.
Partage de l’héritage
Au moins 8 mouvements politiques se partagent aujourd’hui l’héritage de Convergència i Unió .
Démocrates de Catalunya marqué à droite propose une confrontation radicale avec l’État espagnol pour imposer par tous les moyens possibles l’indépendance de la Catalogne. Dirigé par le député Antoni Castella, ce petit parti a ouvertement soutenu les émeutes de Barcelone après la condamnation des leaders indépendantistes d’octobre dernier.
Lliures et Convergents sont deux partis libéraux tenus respectivement par Antoni Teixido ancien ministre de l’Économie de Jordi Pujol, et Germa Gordo, ancien ministre de la Justice d’Artur Mas. Les deux micros-partis plaident pour une négociation avec l’Espagne afin de trouver une sortie au conflit politique.
Lliga Democrática est dirigée par Eva Parera, ancienne sénatrice de CIU et a reçu le soutien de Manuel Valls. Le parti représente l’héritage non indépendantiste de CIU et défend uniquement l’identité catalane.
Un positionnement identique à Units Per Avançar dirigé par Ramon Espadaler, ancien ministre de l’Intérieur d’Artur Mas. Ce parti dirige la mairie de Barcelone en coalition avec Ada Colau et les socialistes.
Au-delà de ces petits partis, l’immense majorité des troupes de CIU est passé au Partit Democrata (Pdecat) qui revendique 13.000 adhérents et possède un important réseau d’élus sur tout le territoire catalan.
Fondé en 2016, le Parti a connu une première scission courant 2019. Carles Puigdemont trouve la direction du parti trop mou dans sa démarche indépendantiste. Les cadres dirigeants dont la secrétaire générale Marta Pascual quittent le mouvement et fondent le nouveau Partit Nacionalista de Catalunya (PNC) . Basé sur le modèle du parti nationaliste basque, le PNC veut négocier un accord fiscal avec le gouvernement espagnol. Marta Pascal a entraîné avec elle 1000 militants.
La scission de Carles Puidemont
Le tremblement de terre a secoué le Pdecat à la fin du mois d’août avec la rupture définitive du parti et de Carles Puigdemont. Figure spirituelle du peuple indépendantiste, Carles Puigdemont pêche par son manque de contrôle du tissu territorial politique de la Catalogne. L’ancien président ambitionne d’avoir un parti à sa botte. Le Pdecat représente un certain nombre de sensibilités, pas toutes en adéquation avec l’unilatéralisme de Puigdemont. Pour s’assurer de son avenir, l’exilé de Bruxelles a monté son propre parti : Junts Per Catalunya.
Sauf que cette marque électorale appartient juridiquement au PDeCAT, qui a décidé de poursuivre en justice Puigdemont pour utilisation illégale. Piqué au vif, l’ancien président a déchiré sa carte de membre du PDeCAT entraînant avec lui quatre ministres du gouvernement catalan, la quasi totalité des députés du parlement de Catalogne, la moitié des parlementaires du Congrès espagnol et la totalité des sénateurs. L’hémorragie semble condamner à mort le PDeCAT. Mais un soutien inattendu pourrait changer la destinée du parti : Artur Mas. Celui-ci choisit de rester dans le mouvement qu’il a cofondé et refuse de suivre Carles Puigdemont dans son aventure.
Cette pléiade de partis pourraient déboucher lors des prochaines élections sur 5 candidatures concurrentes issues du socle de Convergencia i Unio.
Puigdemont candidat ?
Carles Puigdemont va confectionner une candidature avec son parti Junts Per Catalunya. Il travaille sur plusieurs options. La première : se présenter personnellement. Un scénario étrange quand on sait que l’ancien président ne peut pas fouler le sol catalan sans se faire arrêter par la police en raison d’un mandat d’arrêt dicté après la déclaration d’indépendance de 2017.
Puigdemont pourrait faire le choix de « parrainer » la candidature de l’un de ses proches qui deviendrait -en cas de victoire- le président ou la présidente de la Catalogne. Sur la liste des happy fews figurent Damia Calvet et Jordi Puignero, respectivement ministre catalan de l’Aménagement du territoire et de la Fonction publique, ainsi que l’ancienne porte-parole gouvernementale Elsa Artadi.
Après sa rupture avec Puigdemont, le PDeCAT pourrait être en mesure de présenter la candidature d’Angels Chacón. L’ancienne ministre des Entreprises a été débarquée du gouvernement catalan pour ne pas avoir suivi Carles Puigdemont dans son nouveau parti. Chacón recevrait le parrainage d’Artur Mas, ouvrant un match politique entre les deux anciens présidents catalans.
Le secteur ultra-radical autour de Démocrates de Catalunya ambitionne de présenter une candidature garantissant une nouvelle déclaration d’indépendance.
A l’inverse, le Partit Nacionalista de Catalunya et Units Per Avançar pourraient proposer chacun un candidat plaidant pour le dialogue avec l’État espagnol.
Les pièces de Carles Puigdemont
Depuis son départ en Belgique, Carles Puigdemont a été prolixe dans la création de différentes entités. Simultanément à la création de Junts Per Catalunya, il a voulu « dépasser le clivage droite-gauche » en créant « La crida Nacional Per la República » (l’appel national pour la République). Fiasco total, seuls les proches de Puigdemont ont rejoint l’initiative sans aucun transfuge d’un parti plus à gauche. Finalement la Crida devient aujourd’hui une fondation think tank pour alimenter idéologiquement Junts Per Catalunya.
Le Conseil pour la République Catalane (Consell per la Republica Catalana) est une association privée présidée par Carles Puigdemont. Au départ, le conseil devait diriger la Catalogne depuis Bruxelles après la déclaration d’indépendance. Finalement l’association se contentera de promouvoir le mouvement indépendantiste catalan à l’étranger. C’est le conseil qui organisa par exemple le meeting de Puigdemont en France en février 2020.
Enfin, l’association ANC qui pilote notamment les manifestations de la Diada est partiellement proche de Carles Puigdemont. L’ancien président de l’ANC Jordi Sanchez (incarcéré dans le cadre de de la déclaration) est le secrétaire général de Junts Per Catalunya.
Cependant, l’ANC gravite également dans l’orbite de Démocrates de Catalunya et son projet de nouvelle déclaration d’indépendance. La très fervente Elisenda Paluzie reproche à Carles Puigdemont de ne pas avoir rendu concrète la déclaration d’indépendance de 2017. Cependant, dans le duel contre la gauche indépendantiste, l’ANC penche clairement en faveur de Puigdemont.
Les pièces de gauche
A gauche c’est beaucoup plus clair. L’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) d’Oriol Junqueras est en monopole sur le spectre de centre-gauche indépendantiste.
Le parti possède près de 10.000 militants et pour le moment est en tête dans les enquêtes. Selon le dernier sondage Gad3, ERC obtiendrait 43 députés contre 31 pour Carles Puigdemont. Il faut cependant rester prudent. La campagne, comme nous l’avons vu, sera complexe en raison des crises économique et sanitaire. Cependant ERC semble être une machine électorale beaucoup mieux rodée que celle de la droite.
ERC dans son nouveau discours se veut pragmatique et souhaite dialoguer avec l’État espagnol pour organiser un référendum d’indépendance. Une option rejetée en bloc par Madrid.
Par ailleurs, ERC peut compter sur le soutien sans faille de l’association culturelle Omnium qui dispose de 182.891 militants.
Les pièces de l’extrême-gauche
La Cup est le principal parti l’extrême gauche indépendantiste. Avec ses 10 députés, le parti a pressurisé le gouvernement Puigdemont pour aller plus loin, plus vite et plus fort dans le conflit avec Madrid. En 2017, la Cup a subi un revers dans les urnes perdant plus de la moitié de ses parlementaires.
Le mouvement qui ne possède que 2408 militants encartés est suractif dans les rues de Barcelone et a soutenu sans complexe les émeutes de 2019. La branche jeune de la Cup, Arran, est d’ailleurs spécialisée dans les actions musclées dans les rues de la Catalogne.
Enfin, les CDR d’abord comité de défense du Référendum jusqu’au 1er octobre, se sont peu à peu radicalisés pour devenir les comités de défense de la République. Les CDR ont largement participé aux émeutes de 2019. La justice espagnole a poursuivi certains de ses membres pour terrorisme. Une charge retenue par la justice et critiquée par l’ensemble du souverainisme catalan et par la gauche radicale espagnole.