Coronavirus Catalogne. Le président catalan Quim Torra a indiqué lundi que la situation de la région était « très critique » et l’évolution de l’épidémie « inquiétante ». Avec médecins et experts, Equinox décrypte la situation actuelle.
La situation est-elle la même dans toute la Catalogne?
Non. Si le taux d’incidence de l’épidémie (nombre de personnes infectées sur une semaine dans une population de 100.000 habitants) a atteint la barre des 80 en Catalogne la semaine dernière, il révèle aussi de très grandes disparités entre les provinces. Il dépasse ainsi les 200 à Lleida et se situe autour des 15 dans les zones les plus touristiques de Tarragone et Gérone. La ville de Barcelone affiche un taux de 100.
Quand le Premier ministre Jean Castex désigne la Catalogne comme une destination à éviter, il oublie donc de nuancer que la situation n’est évidemment pas homogène dans les 32.000 kilomètres carrés de la région. D’ailleurs seules les zones de Lleida et Barcelone sont soumises aux nouvelles restrictions du gouvernement catalan (fermeture des cinémas, gymnases, etc…) et aux recommandations de confinement volontaire. La Costa Brava et la Costa Dorada ont très peu de foyers de contamination, et tous restent très contrôlés.
La situation est-elle hors de contrôle à Barcelone?
Si les taux d’incidence sont élevés et la transmission est devenue communautaire à Barcelone depuis environ deux semaines, la situation est loin d’être hors de contrôle selon Clara Prats, chercheuse en biophysique à l’Université Polytechnique de Catalogne (UPC).
Les chiffres de contagions sont équivalents à ceux de février dernier, mais à cette époque « nous vivions comme si de rien n’était, alors que maintenant nous portons les masques et appliquons de nombreux protocoles d’hygiène » rappelle-t-elle.
La situation est-elle aussi grave qu’en mars?
Pour la chercheuse, il est vain de tenter de comparer le nombre de cas actuels avec ceux de mars, puisqu’au début de l’épidémie seuls 3% des cas étaient diagnostiqués, alors que l’Espagne est désormais capable d’en détecter 30%. Difficile aussi de comparer avec les taux et chiffres français, l’Hexagone diagnostiquant moins de 20% des cas réels.
Comment le virus se propage-t-il en Catalogne?
Selon les statistiques de ces dernières semaines, ce sont les plus jeunes qui propagent le virus, dont beaucoup sont asymptomatiques. Les contaminations se réalisent principalement dans le cadre de rassemblements familiaux et de sorties nocturnes. En Catalogne, l’âge moyen du contaminé diagnostiqué est actuellement de 37,5 ans, alors qu’en mars il était de 60 ans. Les populations plus jeunes étant moins propices aux complications, le nombre d’hospitalisations reste assez faible avec une moyenne de 10 par jour à Barcelone.
« Il faut encore attendre 7 à 10 jours pour faire une analyse des hospitalisations suite à la hausse des contaminations, prévient toutefois le virologue Julià Blanco, les complications apparaissent dans un second temps ». Depuis deux semaines, les hôpitaux barcelonais voient revenir des patients atteints de Covid19 mais avec moins de complications. « Ça n’a rien à voir avec les mois de mars et avril où 80% de l’hôpital accueillait des patients covid mais mon service est à nouveau rempli, alors que depuis plusieurs mois la tendance avait été à la baisse » explique Juan Ambrosioni, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hospital Clinic.
Peu de morts et d’hospitalisations: pourquoi tant de restrictions?
« On ne peut pas se fier aux chiffres, mais aux tendances, et il y a une claire tendance d’augmentation des cas » poursuit Clara Prats. Peut-on donc déjà parler d’une seconde vague à Barcelone? « Très loin de là » répond la chercheuse. « Mais si nous ne faisons rien maintenant, dans un, deux ou trois mois, nous nous retrouverons dans la même situation qu’en mars » poursuit-elle.
Le gouvernement catalan a donc décidé d’agir vite. Il a annoncé le 17 juillet pour les habitants de Barcelone et sa banlieue la restriction de 10 personnes maximum lors de rassemblements, la recommandation de se confiner volontairement et de limiter les déplacements ainsi que la fermeture immédiate des gymnases, cinémas, festivals, puis, le 24 juillet, des discothèques.
Dix jours plus tard, il semblerait que les mesures fonctionnent puisque le taux de reproduction du virus qui avait atteint 2,5 mi-juillet est redescendu à 2. Selon le corps médical, c’est en prenant régulièrement des mesures restrictives pour contrôler l’épidémie en fonction de son évolution que l’on pourra éviter une seconde vague à l’automne. A Barcelone, il faudra donc probablement s’habituer à vivre avec de plus grandes restrictions que celles annoncées lors de l’entrée dans la nouvelle normalité.
Les décisions politiques sont-elles trop alarmistes ?
Si les mesures de fermeture des discothèques et la restriction de rassemblements à 10 personnes font l’unanimité auprès des experts médicaux, l’annonce en grande pompe d’un confinement volontaire à Barcelone pose question. Car c’est bien ce point qui a paniqué les pays européens et donné un brutal coup de frein au tourisme international, alors que sur place cet auto-confinement n’a été que très peu respecté.
« Quim Torra ne veut pas prendre de risques, explique Joan Botella, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone, il préfère pêcher par excès de zèle que parce qu’il n’aurait pas fait assez ».
La Catalogne a-t-elle aussi sciemment voulu décourager les touristes et limiter les flux de voyageurs? Le directeur du centre de coordination des urgences Fernando Simón indiquait lundi soir qu’il remerciait les pays recommandant à leurs ressortissants de ne pas venir en Espagne: « c’est un problème de moins ». Le secteur touristique, qui pèse plus de 12% de l’économie espagnole et catalane, sera sans doute d’un autre avis.