Quand la pandémie inspire le street art

Le monde de l’art et de la culture s’est réinventé pendant la crise sanitaire, en proposant l’accès à de nombreuses ressources numériques. Pourtant, nous sommes nombreux à trouver qu’il manque une dimension dynamique et « authentique » aux événements culturels et à l’art en ligne.

Les artistes de rue et les graffeurs, eux, ont pu intégrer le coronavirus à leur travail. La plus notable de ces œuvres, intitulée Game Changer, est l’hommage de Banksy aux infirmières et au personnel soignant. Accrochée à l’hôpital de Southampton, elle sera vendue aux enchères au profit du service de santé britannique.

Partout dans le monde, les street-artists ont laissé derrière eux, au hasard des artères désertées, des commentaires amusants et provocateurs sur la crise. Nombre d’entre eux font écho au message délivré par Banksy : les véritables héros de cette crise, ce sont les infirmières et le personnel soignant. Comme en atteste la dernière création de Fake, artiste de rue résidant à Amsterdam, dont la fresque Super Nurse ! représente une infirmière portant un masque barré du logo de Superman.

D’autres sont plus critiques à l’égard des responsables politiques ou font preuve d’un cynisme grinçant vis-à-vis des achats impulsifs inspirés par la panique ambiante, de l’isolement social et de la pandémie elle-même. Voyez ci-dessous ce que pense John D’oh, établi à Bristol, de la déclaration aussi stupide que dangereuse de Donald Trump, qui suggérait récemment aux Américains de s’injecter du désinfectant pour lutter contre le coronavirus.

streetart barceloneDans la même veine, le Brésilien Aira Ocrespo s’est intéressé au président de son pays, Jair Bolsonaro. Celui-ci ne cesse d’ironiser sur la distanciation physique et le confinement et, interrogé sur la progression rapide des cas de coronavirus au Brésil, aurait répondu : « Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? » Le texte indique : Le masque de Bolsonaro contre le coronavirus.

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Autre exemple : l’Australien LUSHSUX montre le président chinois, Xi Jinping, vêtu d’une combinaison de protection, en train de dire : « Circulez, il n’y a rien à voir. » L’artiste fait allusion au fait que la Chine a prétendu que le taux d’infection au coronavirus était très faible, alors que des rapports laissent entendre qu’il serait quatre fois plus élevé que ce qui a été dit. De son côté, le Dominicain Jesus Cruz Artiles, alias EME Freethinker, tourne en dérision les achats inspirés par la panique auxquels se sont livrées de nombreuses personnes aux premiers jours du confinement, notamment la ruée sur le papier toilette. On voit Gollum, du Seigneur des anneaux, en extase devant un rouleau, prononcer sa célèbre réplique, « Mon précieux ! »

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John D’oh livre également sa vision du raid sur le papier toilette :

streetart barceloneCes artistes proposent indéniablement un point de vue éclairé sur les problèmes sociaux dont ils sont les témoins. Et ce ne sont pas, comme certains voudraient le faire croire, des vandales qui cherchent à se glorifier.

Limites collectives

En général, les artistes de rue s’emparent des actualités, rumeurs et informations publiques puis les restituent en les amplifiant. Le street art peut ainsi être vu comme un catalyseur d’informations et un reflet des grands médias. C’est un commentaire parmi d’autres dans le spectre d’opinions relatives à la pandémie. Mais ces opinions ne font l’objet d’aucun contrôle éditorial, pas plus qu’elles n’attendent une quelconque autorisation officielle pour s’exprimer. Ceci permet aux artistes de rue de dire des choses qui risqueraient d’être exclues du commentaire public.

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Ce genre de commentaire est très important dans la mesure où il aide la société à savoir où se situent les limites collectives de l’opinion acceptable. Le street art qui dépasse les bornes est vilipendé et effacé. Celui qui exprime avec force et de façon créative des sujets controversés fait l’objet de discussions et de partages sur les réseaux sociaux, permettant ainsi à l’art et aux opinions sous-jacentes d’être plus largement acceptés.

Le carnaval contre le pouvoir

Le street art qui s’est manifesté pendant le confinement mondial a également ceci d’important qu’il crée un sens du carnavalesque. Selon ce concept, avancé par le philosophe Mikhail Bathkin, les règles sociales et les hiérarchies sont écartées en faveur d’une critique enjouée mais essentielle des structures de la société. Il se concrétise quand les règles habituelles sont mises entre parenthèses, ce qui incite les gens à s’investir activement dans leurs expériences et à identifier les barrières artificielles et les statuts qui les séparent les uns des autres. L’objectif est qu’en voyant cette hiérarchie factice, ils la rejettent et s’orientent vers une forme d’existence sociale plus libre et unifiée. Le fait que, dans certains cas, ces artistes ont violé le confinement et sans doute la loi pour peindre montre qu’il est possible de contester ponctuellement les règles et que les murs d’une ville peuvent être reconvertis en espaces d’expression. En se moquant des responsables politiques et des aspects les moins glorieux de notre humanité, et en élevant le personnel soignant au rang de super-héros, ces fresques nous permettent de nous libérer momentanément du déluge constant d’informations et du poids psychologique de la pandémie mondiale.

En favorisant l’expression de notre rage, de nos peurs et de nos frustrations collectives, ces artistes nous aident à mettre un peu ces sentiments en veilleuse. Ils disent aussi notre espoir et notre respect collectifs et contribuent, peut-être, à renforcer notre unité à tous.

 

 


The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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