Temps critique au ministère de l’Intérieur espagnol. Alors que les forces de l’ordre veillent sur le plan de déconfinement de la population, le ministre Fernando Grande-Marlaska fait un coup d’autorité en destituant le chef de la Guardia Civil, le colonel Diego Pérez de los Cobos.
Officiellement le chef de la gendarmerie espagnole a « perdu la confiance du ministère » selon Grande-Marlaska qui comparaissait hier en conférence de presse. Officieusement, la raison du limogeage du numéro un de la Guardia Civil est plus politique. Le colonel Diego Pérez de los Cobos a dirigé, à la demande de la juge d’instruction Carmen Rodríguez-Medel, un rapport accablant contre le gouvernement socialiste.
La justice enquête pour savoir s’il existe une responsabilité gouvernementale dans la propagation de l’épidémie du Covid19 notamment pour l’autorisation d’une manifestation nationale le 8 mars dernier à l’occasion de la Journée des droits des femmes. Dans son rapport d’instruction (que s’est procuré illégalement le ministère de l’Intérieur et qui a fuité dans la presse), la Guardia Civil pointe la responsabilité du préfet de Madrid qui pourrait conduire à une condamnation pour négligence. « Le gouvernement était au courant de la situation réelle de la pandémie et, malgré cela, a autorisé une série de manifestations entre le 5 et le 14 mars, date à laquelle l’état d’urgence a été déclaré » accuse la gendarmerie dans le dossier d’instruction.
Le ministère de la Santé a reçu des membres de l’église évangéliste espagnole les 5 et 6 mars pour annuler de grands rassemblements religieux en raison de l’épidémie. Cette réunion constitue l’argument de la Guardia Civil pour défendre la thèse selon laquelle le gouvernement a autorisé les centaines de manifestations féministes du 8 mars en toute connaissance de cause. Le rapport a suscité une levée de boucliers au sein du gouvernement socialiste qui accuse la Guardia Civil d’agir à charge pour abîmer l’image de l’exécutif.
Crise
En expulsant le chef de la Guardia Civil, le ministère de l’Intérieur a intensifié la crise. Le colonel Diego Pérez de los Cobos est puissant et populaire au sein des réseaux conservateurs. Dans une lettre publique, la présidente (de droite) de la région de Madrid Isabel Diaz Ayuso a salué « la chute d’un héros de la démocratie espagnole ». Le colonel était à la tête des opérations pour démanteler le référendum indépendantiste catalan du 1er octobre. L’homme a également livré de durs témoignages contre les chefs indépendantistes lors de leur procès.
De fait, les partis politiques de droite, Partido Popular, Ciudadanos et Vox, accompagnés de la presse conservatrice réclament la démission du ministre de l’Intérieur en personne. La situation devient critique pour ce dernier : le numéro deux de la Guardia Civil vient de présenter sa démission en soutien à son ancien chef. Face à un corps armé en révolte, le ministre de l’Intérieur a proposé, un peu grossièrement, d’augmenter le salaire de tous les membres de la Guardia Civil.
Un pilier conservateur
Fondée en 1844, la Guardia Civil espagnole est avec la justice l’un des grands pouvoirs conservateurs en Espagne. Toute puissante sous la dictature de Franco la gendarmerie a obtenu ses lettres de noblesses lors de la démocratie en luttant contre le terrorisme basque d’ETA. Au cours de la dernière décennie la Guardia Civil a été particulièrement employée pour enquêter sur les plans indépendantistes du gouvernement de Catalogne.
A Madrid, les chefs de la gendarmerie sont des notables avec des réseaux d’influence dotés d’une certaine puissance. A titre d’exemple le frère de Diego Pérez de los Cobos est le président conservateur du Tribunal Constitutionnel. Une toile d’araignée dans laquelle est maintenant embourbé le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez. L’hypothèse d’élections anticipées à l’automne ou l’hiver prochain se renforce.