Barcelone entame sa 9e semaine de confinement. Pour autant, pour beaucoup de Français vivant dans la capitale catalane, la fête continue. Les écrans d’ordinateur remplacent les comptoirs de bars et les murs des appartements les halls de discothèques. Rencontre avec les fêtards de la quarantaine.
Fin de matinée, quartier de la Barceloneta. A l’heure où ses voisins commencent à s’installer à table, Hervé se met derrière ses platines. Le deejay français, après avoir passé une dizaine d’années à mixer dans les clubs d’Ibiza, a emménagé il y a une dizaine de mois à Barcelone pour poursuivre sa carrière artistique.
« Dans mon appart, on fait comme en club, on a des bières, des spots de lumières »
Un projet stoppé net par la quarantaine. Mais aucune raison pour Hervé de se priver de musique. « Je prends mes disques, je joue de l’électro, je fais danser ma colloc, et je m’amuse bien » confie ce Parisien d’origine. Il avoue parfois monter le son jusqu’à 90 décibels, autant qu’un bar de nuit. Un marathon musical qui commence vers midi pour se terminer à 5 heures du matin. « Dans mon appart, on fait comme en club, on a des bières, des spots de lumières, même si on n’est que deux on s’éclate » se réjouit Hervé. Ce deejay de la quarantaine a même trouvé un nouveau public. « Mon voisin aime bien mes sons, j’attends avec impatience la fin du confinement pour le rencontrer et faire un apéro avec lui. Et les gens du quartier sont cools, je n’ai jamais eu aucun problème, ni aucune plainte à la police » assure-t-il.
Quelques rues plus loin, dans le quartier de Poblenou, ça ne chôme pas non plus. Avant la tombée de la nuit, Gusto a pris pour habitude de monter des apéros virtuels.
« Ça permet de tenir le coup, de ne pas déprimer »
Ce franco-chilien a déjà organisé cinq anniversaires par vidéo-conférence depuis le début du confinement. « On boit trois bières et on finit par faire un jeu via la plateforme Zoom, c’est super interactif, on partage les écrans, on dessine, on passe nos soirées comme ça » s’enthousiasme-t-il. Dans la vie d’avant, Gusto prenait un verre à la sortie du travail à 18h avec ses amis, aujourd’hui il le fait devant un ordinateur pour rythmer son confinement. « Ça permet de tenir le coup, de ne pas déprimer, de pouvoir normaliser le quotidien » affirme ce trentenaire qui souffre quand même de ne pas pouvoir « serrer ses amis dans ses bras ».
Sur les hauteurs de la ville, dans le quartier de Sarrià-Sant Gervasi, Andreu, lui, voit les choses en grand. Cet étudiant en économie de l’université Pompeu Fabra se réunit avec 600 autres jeunes sur la plateforme Switch. Avant le confinement, les associations universitaires catalanes se rencontraient lors de matchs de rugby au sein d’un tournoi local. Pas question de se séparer malgré les restrictions. « On organise des fêtes avec des questions de culture générale et les perdants doivent boire » explique le jeune de 20 ans, issu d’une famille catalano-française. « Le week-end dernier, on a même fait une mi-temps avec un show musical où l’on jouait de la guitare » déclare fièrement l’étudiant qui prépare déjà l’événement virtuel de la semaine prochaine.
Beaucoup plus sage, lové dans son appartement du Raval, Florian a passé un confinement tranquille. Soirées télés, lectures, stocks de courses, ce Parisien sort peu et s’accommode de la quarantaine.
Je suis tout seul, sans contact humain
Jusqu’au moment où le gouvernement a relâché la pression pour permettre aux parents de se balader dans la rue avec leurs enfants et aux sportifs de se défouler. Cette étape, Florian la vit mal: « j’ai commencé à voir beaucoup de gens en groupe dans les rues quand j’allais faire mes courses. J’ai aussi constaté qu’il y avait pas mal de personnes dans mon immeuble qui à la base ne sont pas mes voisins ». Un relâchement sur les règles du confinement qui sème le doute dans la tête du Français qui vit à Barcelone depuis 2 ans. « J’entends des bruits de fêtes, je vois des gens qui se retrouvent sur leur balcon avec des bières et moi je suis tout seul, sans contact humain, je me demande à quoi tout cela peut servir ».
Ce questionnement fait finalement craquer Florian, qui décide d’enfreindre le confinement samedi dernier pour fêter ses 30 ans autour d’un repas avec son cousin. « J’ai eu très peur quand je suis rentré chez moi, il n’y avait pas grand-monde sur le chemin, sauf la police qui contrôlait deux filles pour savoir ce qu’elles faisaient dehors. On ne peut pas être serein quand on fait quelques chose d’illégal » conclut le jeune homme qui a dû faire un kilomètre du Raval à l’Eixample pour rejoindre son cousin.
La fête virtuelle a des côtés de crise de la quarantaine. Elle ne remplace pas les fiestas authentiques. « On se rend compte quand même de la liberté que l’on avait avant le confinement et aujourd’hui on est un peu en prison. Ça me manque de prendre des chupitos avec des inconnus dans des clubs » se désole Hervé le deejay. Un mal qu’il faudra prendre en patience, les discothèques et bars musicaux de Barcelone pourraient encore rester fermés une bonne partie de l’été.