Déconfinement Espagne : les médecins ont pris le contrôle des opérations, quitte à occulter le pouvoir politique.
Barcelone ne déconfinera probablement pas avant le 25 mai au plus tôt. La situation est également très complexe à Madrid et dans sa région. Dans le même temps, l’Espagne a mis un nouveau tour de vis à sa frontière, en imposant dès aujourd’hui une quarantaine de 14 jours à toute personne entrant sur le territoire. Toutes ces décisions, même si elles ont été validées par les responsables politiques, sont inspirées par les médecins, chercheurs et scientifiques. Ils argumentent, influencent et finalement dirigent les opérations. Que ce soit à Madrid ou à Barcelone, chaque exécutif a son docteur phare. Inconnus du grand public il y a encore deux mois, ce sont devenus les nouveaux visages médiatiques de la lutte contre le Covid-19.
Coronavirus en Espagne
A Madrid, chaque jour c’est le docteur Fernando Simon qui apparaît sur les écrans un peu avant midi pour annoncer les derniers chiffres de l’épidémie. Voix fluette, chevelure abondante, Simon, rarement positif et peu optimiste, livre ses conseils en même temps que les bilans quotidiens. Ce médecin épidémiologiste est depuis 2012 directeur du Centre de coordination des alertes et des urgences sanitaires du ministère espagnol de la Santé.
A la tête d’un groupe d’experts anonymes, pour éviter les pressions explique le gouvernement, Simon est celui qui a dessiné la stratégie du confinement espagnol, l’un des plus rigoureux d’Europe. Pourtant, les voix critiques envers le docteur Simon, majoritairement catalanes, le trouvent encore trop laxiste et demandent un déconfinement plus strict et plus lent. En Catalogne, les médecins aussi influencent grandement les dirigeants de la Generalitat.
Coronavirus en Catalogne
Oriol Mitja, médecin spécialiste des maladies infectieuses, inconnu du grand public avant mars, est devenu un personnage public en Catalogne. Proche des milieux souverainistes, Mitja passe son temps médiatique à critiquer le gouvernement espagnol qui était selon lui « très frivole dans la mise en quarantaine et trop pressé dans le déconfinement ». La percée médiatique d’Oriol Mitja a forcement attiré le gouvernement catalan qui a embauché le médecin comme consultant pour gérer le déconfinement. La levée de la quarantaine s’annonce extrêmement lente à Barcelone, qui devrait entrer en phase une du plan de déconfinement le 25 mai au plus tôt. La ministre de la santé catalane, Alba Vergés, elle aussi s’appuie sur un groupe d’experts anonyme avec à sa tête Oriol Mitja.
Influences
Si Mitja est le contrepoids catalan de Fernando Simon, les deux hommes ont en commun d’avoir minimisé la pandémie. « Il n’y aura que quelques cas isolés de coronavirus en Espagne, déclarait Simon le 11 mars. « Le coronavirus sera une épidémie légère comme une petite grippe saisonnière » expliquait Mijta en février. Pour autant, aucun des deux médecins ne perdent leur influence au sein de leur gouvernement respectif. Peut-être pour pallier un manque de compétences des responsables politiques.
La trajectoire du ministre de la Santé est édifiante. Avant la proclamation de l’état d’urgence, le gouvernement central ne gérait pas la politique sanitaire du pays. Ce sont aux gouvernements régionaux qu’incombait cette tâche. Le ministère de la Santé espagnol était un lieu de seconde zone. Pedro Sanchez y a placé Salvador Illa, notable socialiste de Catalogne. Le job d’Illa était avant tout politique : veiller depuis son ministère à ce que l’accord de gouvernement avec les indépendantistes catalans se passent sans encombre. Le jour de la prise de possession du gouvernement espagnol, le 13 février, la Thaïlande annonçait le premier cas de Covid-19 hors du territoire chinois. Un mois et deux jours plus tard, l’Espagne déclarait en catastrophe l’état d’urgence, récupérait les compétences en matière de santé et propulsait sur le devant de la scène Salvador Illa. Manque de tests, de masques, de matériel, les polémiques s’enchaîneront comme les perles d’un collier. Pour éviter l’étranglement, le gouvernement trouvera une bouffée d’air dans les recommandations des médecins.
Déconfinement Espagne : les secteurs économiques inquiets
Si majoritairement, les Espagnols sont favorables à une quarantaine stricte et un déconfinement prudent, certains secteurs de la société auraient voulu qu’au côté des médecins, on écoute aussi les acteurs économiques. Quitte à prendre des risques. La région de Madrid, gouvernée par la droite, a demandé ouvertement d’accélérer le déconfinement pour des questions financières et éviter une faillite massive des petits commerçants. Le gouvernement central a refusé et les accusations de manque de courage politique ont été timidement lancées.
En Europe en général et en Espagne en particulier, il n’y a pas de place pour une politique à la Donald Trump. Il est impossible, dans un pays de tradition famille comme l’Espagne, d’envisager le sacrifice des personnes âgées et la destruction du système de santé publique. Les médecins continueront donc de diriger le processus de transition vers la nouvelle normalité.