Le 13 mars 2020, dans une adresse solennelle aux Espagnols,le Premier ministre Pedro Sanchez annonçait l’activation de l’état d’urgence. La mise en place de mesures exceptionnelles destinées à freiner le développement de la pandémie du Covid-19. Ce confinement généralisé dure depuis maintenant plus de 40 jours et l’impossibilité d’accéder à la nature et l’a rendu pénible pour les populations confinées.
Ce vendredi 1er mai, journée traditionnelle du muguet et de sortie dans la nature et les espaces verts de proximité, risque d’être particulièrement difficile à vivre pour certains. Malgrè la réouverture aujourd’hui de la moitié des parcs de Barcelone, le confinement, la restriction des contacts et de la circulation entraînent une réduction très nette de la présence humaine dans l’espace public. Cela permet aux espèces sauvages de sortir de leur propre confinement – habituel, lui – et d’avoir une présence plus importante, et surtout plus visible, dans les espaces habituellement monopolisés par l’espèce humaine. Les oiseaux, en pleine période de reproduction, peuvent par exemple exploiter de nouveaux sites, plus proches de leurs nids, pour nourrir leurs jeunes.
La faune et la flore, bien présentes et visibles
Cette sortie des territoires habituels est parfois motivée par la recherche effrénée de nourriture (les déchets pouvant faire l’affaire) qui n’est plus distribuée ou disponible dans les espaces désertés par les populations humaines. C’est ce que l’on a pu observer avec les cerfs sikas à Nara (Japon), des singes à Lopburi (Thaïlande) ou encore des coyotes à San Francisco (États-Unis).
L’entretien moindre des espaces favorise également le déploiement de la végétation. Dans les parcs et squares, des herbes hautes se frayent un chemin à travers les grilles, des bosquets de plantes généralement arrachées (orties, chardon, etc.) se forment. Parallèlement, la nature s’immisce dans les espaces publics : pieds d’arbres enherbés, jardins d’agréments foisonnants, plantes sauvages dans les failles de bitume et aux abords des immeubles…
Un confinement intensifié par le manque de nature
Si ce temps inédit du confinement est donc propice au déconfinement d’espèces animales et à une végétation plus généreuse, il a en revanche des effets sociétaux et psychologiques non négligeables sur nous, en privant les individus d’une relation restauratrice aux espaces naturels. Suite de la décision de confiner la population, la ville de Barcelone a décidé, dès le 15 mars, la fermeture au public des parcs et squares. 40 jours plus tard, à peine la moitié d’entre eux ont rouverts, et pas les principaux. En outre, la plage est également inaccessible.
Or les parcs et jardins sont autant d’espaces publics vitaux au cœur des villes. Ils constituent le patrimoine collectif de nature de nombreux citadins qui n’en possèdent pas personnellement. Pour ces derniers, c’est la double peine : enfermés dans de petits espaces domestiques et privés d’accès au peu de nature collective disponible en ville. La fermeture des parcs et des squares renforce ainsi les inégalités. Les classes les plus aisées sont nombreuses à être parties se « confiner » à la campagne, dans leurs résidences secondaires, tandis que les classes populaires restent captives de la « ville dense ».
La fermeture des parcs, jardins et squares restreint d’autant plus les espaces disponibles pour la promenade, le jeu, l’aération et la contemplation, qui sont alors limitées aux rues et à leur végétalisation souvent bien restreinte.
L’accès à la nature, essentiel au bien-être individuel et social
Les implications d’une déconnexion grandissante avec la nature, ses conséquences sur le bien-être individuel et les liens sociaux ont été clairement établies, notamment en psychologie environnementale et de la conservation. Le confinement, alors même que le printemps fait renaître les élans vitaux, aggrave une telle déconnexion : l’impossibilité d’accès aux espaces de nature accentue le ressenti de la minéralité de nos environnements urbains. On le sait, les bénéfices de la nature sont multiples, que ce soit pour la biodiversité ou l’adaptation au changement climatique des villes. La nature offre aussi une filiation avec le monde sensible, par les sensations et les sentiments qu’elle favorise, les imaginaires qu’elle suscite. La littérature scientifique est également bien documentée pour souligner tous les bénéfices psychologiques de la nature sur notre bien-être ; elle nous offre de précieuses ressources pour réduire les stress urbains en favorisant les ressources adaptatives des individus et en concourant au recouvrement de leurs réserves cognitives et émotionnelles.
Dans ce champ, les travaux de Rachel et Stephen Kaplan, professeurs de psychologie environnementale à l’université du Michigan (États-Unis), explorent depuis les années 1980 les effets restaurateurs du contact avec les environnements et éléments naturels – parcs, forêts, jardins, lacs, mais aussi des arbres ou plantes d’intérieurs. Plus particulièrement, ils étudient la « restauration attentionnelle » – une fonction cognitive essentielle. Les stress du quotidien, la fatigue cognitive, etc., atténuent notre capacité attentionnelle et les conséquences sont importantes puisqu’elles s’accompagnent de la baisse des performances et d’une difficulté à résoudre des problèmes, à inhiber les pulsions, etc.
Les travaux des Kaplan montrent ainsi que la contemplation de la nature offre un moyen de rendre temporairement inutile le déploiement de l’attention soutenue, dirigée ou sélective, et donc de lui permettre de prendre du repos. Cette restauration est permise par le processus de fascination douce qui favorise la réflexion et permet de soutenir l’attention sans effort. La psychologue sociale Barbara Bonnefoy décrit ce phénomène comme une fonction contemplative, non captivante : regarder la neige tomber, les arbres, écouter le chant des oiseaux, sentir des plantes, se sentir connecté au vivant qui nous entoure. Si la connexion avec des éléments naturels agit sur nos affects et nos comportements et apporte un temps de repos et une mise à distance des sources de stress, sa privation liée au confinement s’accompagne de difficultés, voire d’impossibilités, de se ressourcer, de ressentir et contrôler des émotions, d’apaiser notre stress. Souffrances et désordres psychiques sont des menaces qui pourraient être évités pendant le confinement grâce à des expériences, voire des micro-expériences, restauratives de nature.
Pour une réouverture au public des espaces naturels
En France, une pétition a ainsi été lancée il y a quelques jours pour solliciter l’autorisation d’accès aux espaces naturels pendant le confinement. De même, la fermeture des jardins potagers collectifs et familiaux a soulevé une forte opposition.
A Barcelone, la mairie a ouvert la moitié de ses parcs à partir d’aujourd’hui, et l’accès aux potagers non professionnels sera possible dès demain.
La fermeture des parcs et jardins en ville suscite des questionnements de la part des promeneurs et amoureux des espaces verts. Ne révèle-t-elle pas, en creux, leur nombre trop faible et leur superficie insuffisante pour répondre aux besoins des citadins ? Des mesures de distanciation et de restriction des usages ont été rapidement mises en place dans les commerces. Ne serait-il pas envisageable, de la même manière, d’expérimenter des systèmes de contrôle d’entrée dans les parcs des grandes villes (en général fermés de grilles) afin d’en autoriser l’accès et l’usage moyennant des comportements barrières et un partage de l’espace disponible ? Il y a aussi sans doute une vraie réflexion à mener sur la conception et l’organisation des parcs et de leurs cheminements pour offrir des espaces d’aération, de promenade et de récréation indispensables au bien-être des populations citadines voisines, quel que soit le contexte.
De manière plus générale, ce confinement devrait nous inciter à développer un urbanisme plus écologique, se traduisant par une nouvelle alliance entre la ville et la biodiversité. Pour le bien-être de tous.
Article écrit en collaboration par Serge Muller, Professeur, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 ISYEB, CNRS, MNHN, SU, EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN); Dorothée Marchand, Chercheure en psychologie environnementale, Centre scientifique et technique du bâtiment, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Emeline Bailly, Chercheure en urbanisme, Centre scientifique et technique du bâtiment, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Jean-Noël Consales, Maître de conférences en aménagement du territoire, urbanisme et géographie, Aix-Marseille Université (AMU); Philippe Clergeau, Professeur en écologie urbaine, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Xavier Bonnaud, Architecte, docteur en urbanisme, École d’architecture de Paris la Villette, École polytechnique
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.