L’année 1918 est une année particulièrement perturbée, entre la Première Guerre mondiale, la famine et la grippe espagnole, la ville de Barcelone se retrouve paralysée à cause des nombreuses grèves organisées par des femmes mécontentes de leurs conditions de vie et de la hausse des prix. Des commerces et des théâtres baissent alors leurs rideaux lorsque les protestations débutent avec en tête de cortèges Amalia Alegre, une mère de famille originaire du Raval, devenue emblème de cette lutte féministe.
Nous sommes en 1918 et l’historienne Maria-Cruz Santos nous rappelle que la Première Guerre mondiale est toujours présente et, bien que l’Espagne n’y participe pas directement, elle en subit grandement les conséquences: « d’une part la chaine de production ne cesse de fonctionner proposant de plus en plus d’emplois et convertissant la Catalogne en la région la plus riche d’Espagne mais d’un autre côté Barcelone en tant que capitale industrielle est encliné à d’importants problèmes de violence, de prostitution ou encore d’attentats ». Dans les deux cas, la classe ouvrière se voit lésée car bien qu’il y ait plus de travail, les prix augmentent et les salaires ne suivent pas. C’est donc dans cette atmosphère de faim et de désespoir qu’apparaissent les révoltes féminines et Amalia Alegre, porte-parole de ces femmes qui ont faim et qui ne supportent plus leurs conditions.
À cette époque, beaucoup de femmes travaillent entre neuf et dix heures par jour dans des usines de textiles, les plus jeunes d’entre elles sont seulement âgées de dix ans. Quand les femmes du Raval rentrent de leur dur labeur le soir, elles croisent souvent des gens des quartiers riches en voiture se dirigeant vers les cabarets du Raval. Soledad Bengoechea, collègue historienne de Marie-Cruz avec qui elle a écrit une étude sur les luttes sociales féminines de l’époque, souligne qu’« il s’agissait d’une époque d’exploitation de la femme, pour qui les jours étaient réellement difficiles car elles ne pouvaient pas s’occuper de leurs enfants au détriment de leur travail, et quand elles étaient chez elle il n’y avait pas d’électro-ménager pour les aider avec les tâches ménagères, elles voyaient les bourgeois profiter de la vie alors qu’elles pouvaient à peine survivre et cela renforçait, à juste titre, leur envie de se mobiliser pour améliorer leur condition ».
Une femme de cœur
Carmen Jimenénez est l’arrière-petite-fille d’Amalia Alegre. Elle écrit actuellement un livre avec sa cousine sur les chroniques des luttes féministes de janvier 1918 auxquels à participer son arrière-grand-mère. Elle nous raconte qu’elle a appris beaucoup par sa grand-mère qui avait seulement quinze ans à cette époque et qui parlait de sa mère comme « une de ces femmes au grand cœur, toujours prête à aider son prochain, une personnalité du Raval connue pour sa gentillesse et son soutien envers les plus démunis, elle ne pouvait pas les aider économiquement mais elle parvenait toujours à leur donner un repas ».Ce quartier populaire de Barcelone a toujours été prédominé par la culture de l’entraide et du soutien aux plus démunis que ce soit via des associations, des syndicats ou tout simplement avec le voisinage et Amalia Alegre était une de ces figures solidaires incontournables.Au vu de la situation économique de l’époque, alors que le prix du charbon commence à augmenter en plein hiver (ce qui empêche de se chauffer correctement et de cuisiner) les boutiques affichent aussi des prix très excessifs sur des aliments de base tels que le sucre, l’huile ou encore la farine. Souvent accompagnée de sa fille au moment des grèves, Amalia Alegre décida de faire valoir ses revendications en faveur du bien-être des femmes et des familles.
Le 13 janvier 1918, elle organisa un entretien avec son amie et journaliste María Marin, dans lequel elle déclara qu’il est nécessaire de se révolter contre la misère qui la touche elle et ses voisins. Elle affichera ses revendications dans le journal « La Pulibicidad » qu’elle collera sur les murs de la rue et appellera les autres femmes à rejoindre sa cause, ce qui s’avéra efficace puisque quatre cent femmes lui apporteront leur soutien.
Une victoire et un pas en avant pour le féminisme
L’historienne María-Cruz Santos nous précise qu’« à cette époque, il était mal vu que les femmes aient un rôle dans les luttes, même si elles sont en accord avec la politique”. María Marin, amie d’Amalia Alegre, est une femme militante au Parti radical, mère célibataire, professeur à domicile (il y en avait très peu à cette époque), elle profita de son statut de journaliste au “El Gladiador del Librepensamiento” de Gracia pour clamer son athéisme dans les colonnes du journal, un acte rebelle pour l’époque. Ayant un fort caractère, elle était souvent considérée comme le cerveau des actions féministes car elle voulait à tout prix l’égalité dans les suffrages.
Amalia Alegre restera ferme et déterminée lors des manifestations même lorsque son mari, employé à la mairie de Barcelone, lui demanda de renoncer car il risquait de perdre son travail. Mais c’est avec courage qu’elle continuera le combat et tiendra tête aux gouverneurs et maires jusqu’à obtenir un décret en faveur de l’arrêt de la hausse des prix du pain.
Les luttes continuèrent jusqu’à l’arrivée de la grippe espagnole la même année et bien qu’elle ne participera plus aux mouvements de luttes postérieurs, elle restera toujours un personnage altruiste du Raval. Amalia Alegre restera un emblème de la cause féminine ayant permis aux femmes de s’auto-affirmer sans l’aide des hommes, ce qui marquera un changement historique important.