Depuis la fermeture des bars et discothèques, la Barcelone nocturne telle que nous la connaissons s’est éteinte, obligeant les DJs à se mettre en veille. Pour pallier à la précarité, ils n’ont pas le choix: il faut résister, avec ou sans table de mixage. Rencontre avec trois d’entre eux.
« On avait l’habitude d’être sous les feux des projecteurs, de voir des centaines de personnes, de serrer des mains… on passe de ça à être enfermés chez soi, c’est frustrant ». Samuel, alias Sam’Zer derrière les platines, mixait toutes les semaines au Shôko. Située à la Barceloneta, la boîte de nuit dont il est résident accueillait encore des milliers de personnes avant la crise. « La dernière fois que j’ai mixé, je me souviens, c’était le 11 mars pour la première partie d’Afro B, il y avait 1700 personnes ce soir là. Le public me manque. » Petit à petit, le DJ de vingt ans a vu toutes ses prestations se déprogrammer. « On avait une super bonne saison qui s’annonçait avec de belles têtes d’affiches » constate-t-il avec regrets, alors qu’il devait se produire au Summer Crush Festival en juin.
Gérer les pertes financières
Face à toutes ces annulations, les DJs qui vivaient de leurs prestations doivent trouver des solutions. « On est obligés d’orienter notre activité vers d’autres segments de notre secteur ». Valentin*, DJ français à Barcelone, travaille à côté sur des projets de production musicale. « Le problème c’est qu’en Espagne, rien n’a été mis en place pour compenser les revenus quand tu n’est pas salarié ». En effet, alors qu’en France un fond d’urgence de 10 millions d’euros a été créé en aide à la filière, la Fédération de la Musique d’Espagne dénonce l’inaction du ministère de la Culture face à la crise sanitaire, qui met en péril les DJs et les 300.000 professionnels du secteur.
« J’ai la chance d’avoir des clients depuis longtemps, les événements avec eux seront reportés, poursuit Valentin, mais il faut pouvoir assurer ses arrières si on veut continuer l’activité ». Il estime ses pertes jusqu’à 2000 euros par mois.
Ne pas perdre la main, donc, c’est ce que fait le DJ Sam’Zer depuis son appartement du Raval. Il continue d’être actif sur les réseaux sociaux, fait des live et travaille pour des radios françaises comme le Mouv’. « Grace à la prod’, j’ai d’autres rentrées d’argent même si le booking DJ était mon principal revenu. Ça fait une grosse perte et on espère que ça ne va pas durer longtemps » confie-t-il, alors qu’il a du annuler 23 dates depuis le début du confinement.
Se réinventer
Franck , 44 ans, consultant et professeur de roller, avait aussi l’habitude de mixer dans des soirées privées. Confiné dans l’Eixample, il a très vite installé ses platines au balcon pour faire danser ses voisins le soir, après les applaudissements en hommage aux soignants. Funk, disco, vieilles musiques espagnoles: « les gens en redemandent et on passe un vrai moment de partage ». Le DJ s’est même coordonné avec une voisine chanteuse d’opéra pour créer un duo. « C’est l’unique moment où on peut faire du bruit sur le balcon sans que le voisinage se plaigne ». Ainsi, Franck ne perd pas le plaisir de mixer: « le DJ ne s’arrête jamais, il a ça dans le sang ».
En attendant que la quarantaine soit levée, Samuel, lui, se montre optimiste: « je vois que les gens, confinés depuis des semaines, ont envie de danser, de chanter (..) donc à la reprise, ils seront super nombreux et contents à l’idée de retourner en club. On va cartonner ».
Si certains ont mis leur table de mixage en sourdine, le jeune DJ du Shôko, pour qui « le clubbing est une drogue » n’attend qu’une chose: la réouverture des discothèques barcelonaises, qui, hélas, n’est pas pour tout de suite.
(*) le dj a souhaité garder l’anonymat, son prénom a donc été changé.
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