Rosa est caissière dans un petit supermarché du quartier de l’Eixample à Barcelone. Il y a deux semaines, sa vie a basculé et elle s’est retrouvée en première ligne d’une situation sanitaire inédite. Interview.
D’abord pris d’assaut quelques jours avant l’annonce de l’état d’alarme, les supermarchés ont dû s’adapter pour faire face à une demande inhabituelle. Depuis le 16 mars, ils sont parmi les seuls commerces ouverts et doivent respecter de strictes consignes de sécurité sanitaire. Leurs personnels, eux, sont constamment au contact de la population. Rencontre avec Rosa.
Comment votre rythme de travail a-t-il changé depuis le début de la crise ?
Nous faisons moins d’heures, 36 heures par semaine au lieu de 40, et nous faisons des horaires continus. C’est-à-dire que l’on travaille soit le matin soit l’après-midi. L’entreprise nous a aussi indiqué qu’elle nous donnerait des primes correspondant à 20% de notre salaire. Elle s’est d’ailleurs très bien comportée avec nous, tous les chefs se sont très bien comportés depuis le début. Ils nous ont installé une machine à café gratuite et nous ont fourni tout ce dont nous avions besoin: masques, gants, désinfectant, etc.
Quelles sont les autres mesures prises pour protéger le personnel et les clients ?
Des marques ont été faites au sol pour que les gens respectent les distances de sécurité. Et il y a une personne à la porte qui veille à ce que les gens entrent au compte-goutte pour qu’il n’y en ait pas trop à l’intérieur en même temps.
Tous doivent porter des gants, mais tout notre personnel aussi, ainsi que les livreurs. En somme toutes les personnes qui manipulent les produits portent des gants et des masques.
Comment vous sentez-vous chaque fois que vous arrivez au travail ?
D’un côté je suis fière, mais de l’autre j’ai peur aussi, car on ne sait pas ce qu’il va se passer. Ils nous disent: « c’est pour 15 jours ». Et puis 15 jours plus tard, « finalement ce sera un mois ». Et on a peur d’attraper le virus. Mais je ressens de la fierté aussi, car je suis là pour les gens, pour qu’ils puissent avoir à manger et tout ce dont ils ont besoin.
Comment la situation a-t-elle affecté votre quotidien ?
Comme tout le monde, une fois que j’ai fini ma journée de travail, je rentre et je reste à la maison. Mais comme je suis très exposée, mon jeune fils vit désormais avec mes parents. Donc je ne peux plus le voir, je le vois juste en appel vidéo. C’est le meilleur moment de ma journée. Il y a des jours où ça va, des jours où pas du tout. Rendez-vous compte, ne pas pouvoir être avec mon enfant, le voir uniquement en appel vidéo, et sans savoir quand tout cela va se terminer. C’est dur. C’est dur de ne pas avoir ta famille à tes côtés. Imaginez, si je reste deux mois sans le voir par exemple… Mon compagnon vit avec moi car il travaille aussi au supermarché, il est donc exposé également, et il a laissé sa fille chez ses grands-parents.
On applaudit chaque soir le personnel soignant, qui risque sa vie chaque jour face aux malades, vous sentez-vous également valorisée pour votre travail ?
C’est vrai qu’on ne parle pas beaucoup des employés de supermarchés, mais on ne parle pas non plus des livreurs, des agents de nettoyage, etc. Parmi les clients, certains nous remercient et prennent des nouvelles, mais ce n’est pas la majorité. Très peu de gens valorisent notre travail.
Chaque jour, je me fâche avec quelqu’un. Il y en a qui s’énervent parce qu’il manque un produit, mais il faut comprendre que des fois le camion a du retard. Ou moi je m’énerve car ils ne veulent pas mettre de gants. Les gens doivent comprendre la situation dans laquelle nous sommes, et comprendre que nous sommes ici pour eux, que nous faisons l’effort d’être là pour eux et que nous nous exposons pour eux. Le pire, ce sont les personnes âgées, il y a quelques têtes de mules qui ne veulent pas mettre les gants. L’autre jour, j’ai dit à un client, « s’il vous plait monsieur, pouvez-vous mettre des gants? ». Il me répond: « je les mettrai si j’en ai envie ». Evidemment il a dû les mettre pour rentrer. Mais moi j’aimerais bien leur dire aussi: « je vous encaisse si j’en ai envie! ».
Doit-on craindre une pénurie si la situation devait se prolonger ?
Non, il n’y aura pas rupture de stocks de nourriture. Les livraisons continueront… Car si ça devait arriver, mais ça n’arrivera pas, les gens finiraient par s’entretuer! (rires)