Le lundi 2 mars, le bilan mondial de l’épidémie de Covid-19 a dépassé la barre des 3 000 morts. Les efforts déployés pour enrayer sa propagation ont conduit à la mise en quarantaine totale ou partielle de plusieurs villes et provinces de Chine, mais aussi d’autres pays touchés par la maladie, dont la France et l’Espagne.
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Si le bilan humain continue de s’alourdir en Chine comme dans d’autres pays, le virus n’est pas non plus sans conséquence sur de nombreux secteurs industriels, et la chute de la demande conjuguée aux problèmes d’approvisionnement rencontrés accentue le climat d’incertitude qui plane sur l’économie mondiale.
Le Covid-19 comparé au SRAS
C’est la deuxième fois en 20 ans que la Chine est confrontée à une épidémie liée au coronavirus. En 2002, le SRAS (pour syndrome respiratoire aigu sévère) avait fait 800 morts et infecté 8 000 personnes. Bien qu’il soit difficile de mesurer les incidences de cet épisode infectieux sur l’économie mondiale à l’époque, une étude de 2004 a toutefois permis d’établir que le marché mondial avait enregistré une perte d’au moins 40 milliards de dollars, accompagnée d’un ralentissement de la croissance de l’ordre de 1 %.
Les choses ont énormément changé depuis 2003, notamment le poids de son économie et le rang qu’il occupe dans le monde. Au lendemain de l’épidémie de SRAS, la Chine représentait à peine 4 % du PIB mondial et se classait à la sixième place en matière économique. Aujourd’hui, elle génère plus de 16 % du PIB mondial, ce qui fait d’elle la deuxième économie du monde, juste derrière les États-Unis.
Le pays représente par ailleurs depuis des décennies la principale source de croissance mondiale, avec une contribution supérieure à 39 % pour la seule année 2019.
Une production au ralenti
La mondialisation a propulsé la Chine au cœur de chaînes logistiques extrêmement complexes, sachant que les entreprises du monde entier restent aujourd’hui tributaires des approvisionnements chinois pour mener leurs activités, ce qui explique pourquoi les fermetures d’usines dans les provinces touchées par le virus ont affecté un si grand nombre d’industries.
Le constructeur automobile sud-coréen Hyundai a été la première entreprise non chinoise à annoncer l’arrêt de la production dans les usines situées sur son propre territoire, en raison d’une pénurie de pièces. En Europe et aux États-Unis, des constructeurs automobiles ont eux aussi signalé qu’ils n’allaient pas tarder à manquer de composants.
La Chine étant le premier exportateur de composants électroniques, avec près de 30 % du total mondial, les répercussions sont tout aussi importantes dans ce secteur. L’interruption des livraisons a des conséquences particulièrement préjudiciables pour les pays dont la production dépend largement des composants électroniques importés de Chine. Rien que sur l’année 2019, par exemple, le Japon a importé pour plus de 45 milliards de dollars de composants électriques et électroniques chinois.
Forte instabilité sur les matières premières
La Chine est également le premier importateur de matières premières ; les marchés du secteur sont donc, eux aussi, impactés. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la croissance de la demande mondiale de pétrole cette année sera 30 % inférieure aux prévisions initiales et n’augmentera donc que de 825 000 de barils par jour au lieu de 1,2 million.
Le ralentissement de l’activité industrielle chinoise a aussi durement touché le marché du cuivre, car le pays compte pour la moitié de la demande mondiale en la matière. Ce métal est utilisé dans un grand nombre d’industries, notamment celles de l’automobile, des téléphones portables et des appareils électroménagers.
La diminution des transactions dans ces différents secteurs a entraîné le report ou l’annulation pure et simple de nombreux marchés prévus auprès de fournisseurs d’Amérique latine et d’Afrique pour cause d’événements de « force majeure », à savoir indépendants de la volonté des entreprises chinoises.
Une demande en chute libre
Sur le plan de la demande, l’impact se fait déjà sentir dans le domaine des voyages et du tourisme. On s’attend en effet à ce que le transport aérien subisse une perte qui pourrait atteindre 29 milliards de dollars cette année, du fait d’une baisse record du trafic depuis 11 ans.
Les touristes chinois sont les plus nombreux à voyager dans le monde. Ils privilégient les pays d’Asie-Pacifique et se rendent principalement à Hongkong, à Macao, et en Thaïlande. Ce dernier pays a accueilli en 2019 près de 10 millions de touristes chinois, soit 30 % de l’ensemble de ses visiteurs. Depuis le début de l’épidémie, les autorités thaïlandaises estiment qu’environ 1,3 million de séjours ont été annulés pour les seuls mois de février et mars.
Pour l’instant, l’impact sur le tourisme européen reste assez faible. Si Paris accueille chaque année environ 800 000 touristes chinois, ces derniers ne représentent que 3 % des personnes qui visitent la capitale. Cependant, les hôtels que choisissent d’ordinaire les touristes chinois, qui voyagent souvent en groupes, sont aujourd’hui confrontés à une forte baisse de fréquentation. Des phénomènes similaires sont signalés dans d’autres pays européens tels que l’Allemagne, l’Espagne et l’Autriche.
Les touristes chinois sont tout particulièrement attirés par le secteur du luxe. Depuis le début des années 2000, les ressortissants du pays se sont massivement tournés vers les produits haut de gamme, avec pas moins de 33 % de part de marché en 2018 et des prévisions atteignant 46 % en 2025. Le secteur est aujourd’hui confronté à son plus grand défi depuis 2008, puisque les principaux groupes de luxe tels que Kerring, LVMH et Tiffany sont de plus en plus tributaires de la croissance de la demande des clients chinois.
Comment la situation va-t-elle évoluer ?
La suite des événements dépendra en grande partie de la manière dont l’épidémie de Covid-19 va évoluer. Dans le meilleur des cas, le virus sera maîtrisé rapidement ou commencera à régresser dès le début du printemps. Le travail reprendra alors en Chine, et l’activité industrielle sera relancée, dans le pays comme dans les entreprises du monde entier qui en dépendent. Le retard enregistré en matière de production devrait dès lors se résorber assez vite, grâce aux mesures adoptées par les autorités.
En revanche, si le virus continue de se propager en Chine, en Asie orientale et dans d’autres régions du monde, le climat d’incertitude et les perturbations iront croissant. Les déplacements continueront alors d’être entravés et les chaînes logistiques qui sont actuellement temporairement perturbées seront tout bonnement interrompues, ce qui entraînera des fermetures d’usines, en Chine et dans d’autres pays.
Certaines multinationales pourraient de fait envisager de revoir leurs stratégies d’approvisionnement et se mettre en quête de substituts au marché chinois, même si l’on sait d’expérience que cela n’a rien d’évident.
Jovana Stanisljevic, Professor in International Business, Department People, Organization, Society, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.