[REPORTAGE] Ces futurs kinés français qui étudient en Catalogne

Dans la commune catalane de Manresa, à 60 kilomètres de Barcelone, 70% des étudiants de l’école de kinésithérapie sont français. Tous sont venus y suivre leur cursus complet pour exercer ensuite en France. Rencontre. 

Rien d’anormal à première vue dans cette école de kinésithérapie. Un grand bâtiment principal, une bibliothèque ainsi qu’une clinique pour les travaux pratiques. Il faut tendre l’oreille pour saisir l’originalité du lieu: l’immense majorité des élèves sont français.

“Le premier étudiant français est arrivé en 2006. Depuis 2010, ils sont de plus en plus nombreux. Cependant, il y a de moins en moins d’étudiants catalans, ce qui n’est pas le cas dans les autres filières” explique Gonzalo Lorza, le directeur de l’école de Manresa.

Si autant d’élèves décident de partir étudier la kinésithérapie en Espagne, c’est pour contourner les conditions d’accès difficiles à la formation française. Depuis septembre 2017, il faut valider la PACES (première année commune aux études de santé) ou une licence de staps ou sciences pour intégrer l’un des 47 établissements français qui forment à la kinésithérapie chaque année et sont soumis à un numerus clausus. Selon l’Ordre des kinésithérapeutes, 80% des admis viennent d’une PACES. Pour éviter cette année, réputée difficile et redoutée par les étudiants, beaucoup choisissent de partir. Depuis 2018, l’Espagne est devenu le pays étranger préféré des étudiants français en kinésithérapie, devant la Belgique.

« Chaque année nous aidons environ 600 étudiants à partir en Espagne et 80% d’entre eux s’orientent vers des études de santé » explique Nathalie Sanchez, fondatrice de FrancEspagne Education, une entreprise spécialisée dans le départ d’étudiants français vers l’Espagne.

Dans la cafétéria de l’école, Axelle, 20 ans, raconte comment elle a décidé de quitter Toulouse il y a deux ans pour suivre un cursus de kinésithérapie à Manresa: “après avoir obtenu un bac scientifique, j’avais le choix entre des écoles d’ingénieur ou le domaine de la santé. Ce que je voulais surtout c’était quitter le cocon familial. J’ai fait les portes ouvertes de cette école et cela m’a convaincu”. 

étudiante française barcelone

Axelle, étudiante française à Manresa

Si la kinésithérapie n’était pas à l’origine une vocation pour la jeune Toulousaine, elle s’y plaît désormais et entame sa troisième année en double cursus de podologie et de kinésithérapie.

A ses côtés, Clément, 23 ans, originaire de Montpellier, a également fait le choix de quitter la France : « lorsque je me suis orienté vers la kinésithérapie, je ne voulais pas faire une année de PACES. Des amis de mon village sont venus étudier ici et j’ai eu envie de partir. Mon premier choix, c’était l’université de Gérone mais je n’ai pas été pris, je suis venu à Manresa qui était mon second choix” . Tout comme en France, les universités sont sélectives en Espagne. Les étudiants établissent une liste de vœux et selon leurs notes ils sont acceptés ou non par les écoles.

Une intégration facilitée

Axelle et Clément se sont habitués à la vie étudiante à Manresa et parlent tout deux couramment espagnol. “Je me sens vraiment intégrée dans ma classe, parce que je fais l’effort d’aller vers les Espagnols. Ici si on veut passer quatre ans sans parler espagnol, c’est possible vu qu’il y a beaucoup de Français, mais c’est dommage” explique la jeune femme, le sourire aux lèvres tout en saluant une camarade catalane de sa classe.

Les cours sont dispensés en catalan, sauf en première année où ils sont en espagnol pour laisser un temps d’adaptation aux élèves français. « La langue n’a pas vraiment été un problème. En première année, il y a la possibilité de suivre des cours de catalan et d’espagnol si on le souhaite. Alors certes ce sont quatre heures de cours en plus par semaine, mais ça aide vraiment » affirme Clément.

étudiant français barcelone

Clément, étudiant francais, est depuis deux ans à Manresa

Outre la langue, le programme d’enseignement est semblable à la formation française. Une fois leurs diplôme en poche, les dossiers des étudiants passent en commission de Jeunesse et Sport pour être reconnu en France. Ils peuvent ensuite exercer comme tout autre praticien en France.

Nathalie Sanchez, de FrancEspagne Education, explique: “ les formations en Espagne sont souvent de très bonne qualité. Mais il faut choisir avec précaution sa future école. Pour certaines, c’est devenu un véritable business. Il y en a par exemple qui trichent sur le nombre d’heures de stage faites par leurs étudiants en gonflant le volume horaire. Nous avons dû remonter le problème aux autorités compétentes”.

6000 euros l’année, sans bourse ni aide au logement

L’école de kinésithérapie de Manresa est une université privée. Comme en France, les universités publiques délivrant le diplôme de kinésithérapie sont très peu nombreuses et sélectives. Pour une année d’étude, Axelle et Clément doivent débourser 6000 euros. En France, le coût varie selon l’école mais se situe en général en-dessous des 1000 euros. De plus, les jeunes ne bénéficient pas des aides françaises comme l’aide au logement et ne peuvent prétendre aux bourses universitaire de l’Espagne.

Axelle paie un loyer de 300 euros par mois pour un spacieux appartement à deux pas de son école, qu’elle partage avec une colocataire : “la vie ici n’est pas excessivement chère mais vu que nous n’avons pas d’aide financière de l’Etat, cela peut faire beaucoup. On doit tout sortir de notre poche”.

kinésithérapie espagne

Axelle profite de son temps libre pour réviser les bases vues en cours

Pour financer ses études, l’étudiante peut compter sur le soutien de ses parents mais a également pris l’habitude de travailler durant les vacances scolaires pour participer à ses frais universitaire. Clément, comme beaucoup de ses camarades, a fait le choix de recourir à un prêt étudiant pour financer ses études.

Pour les deux jeunes Français, l’argent consacré à leurs études est un investissement pour leur avenir professionnel. « Une fois notre diplôme en poche, je pense qu’on ne va pas avoir de mal à trouver un travail en France. C’est un métier qui évolue, il y aura toujours besoin de kinés en France » affirme Axelle.

Un phénomène inquiétant pour les professionnels

Une analyse pas vraiment partagée par Pascale Mathieu. La présidente de l’Ordre des kinésithérapeutes est inquiète quant à l’avenir de la profession: “les quotas en France correspondent à la réalité des besoins. On manque de médecins mais pas de kinés. Le fait que les étudiant arrivent en masse de l’étranger favorise la dégradation des conditions de travail et une baisse des salaires ». 

A l’instar de la Belgique qui a mis en place un tirage au sort pour limiter le nombre de places, Pascale Mathieu est favorable à une régulation plus stricte de la part de l’Espagne: “ il faudrait que l’Etat limite le nombre d’universités qui délivrent des diplômes. Mais ça ne se fera probablement pas, ce n’est pas intéressant pour l’Espagne. Les étudiant qui viennent, ça leur rapporte de l’argent”.

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Les étudiants de Manresa en travaux pratiques.

Gonzalo Lorza, le directeur de l’école de kinésithérapie de Manresa, croit lui à l’avenir de ses élèves : « beaucoup de centres de kinésithérapies français sollicitent nos étudiants pour des stages. La quasi-intégralité d’entre eux rentrent en France car ils savent qu’ils auront des meilleures conditions de travail et un salaire plus élevé qu’en Espagne, et dans la plupart des cas, ils n’ont aucune difficulté à trouver du travail”.

En 2018, 20% des 65.700 praticiens inscrits à l’ordre des kinésithérapeutes en France avaient obtenu leurs diplômes à l’étranger. Une proportion qui ne devrait cesser d’augmenter puisque près de 40% des nouveaux inscrits l’année auparavant avaient suivi leur cursus hors de France.

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