L’Espagne célèbre sa Constitution en pleine crise politique

Comme tous les 6 décembre depuis 1978, ce vendredi est férié. L’Espagne célèbre sa Constitution. Mais une partie du pays remet désormais en cause « le régime de 1978 » et demande une réforme constitutionnelle et/ou territoriale. 

Deux jours après le décès de Franco, suite à la volonté exprimée préalablement par le dictateur, Juan Carlos I fut nommé roi d’Espagne et de fait chef de l’Etat. A la grande fureur des milieux franquistes, le roi conduit le pays vers la démocratie. Le Premier ministre, proche de Franco, Carlos Arias Navarro est destitué en juillet 1978 et remplacé par le centriste Adolfo Suárez González. C’est le début de la période constituante du nouvel ordre espagnol.

Le décret royal 20/1977 établit la création d’un parlement et d’un sénat élus au suffrage universel. Dans la foulée le parti communiste est légalisé. Le 15 juin 1977, pour la première fois depuis 1936, les citoyens espagnols appelés aux urnes élisent 350 députés et 207 sénateurs. La priorité de la chambre législative est de rédiger une Constitution, texte principal de la structuration politique et juridique de l’Etat. A cet effet est formée une commission parlementaire « affaire constitutionnelle et libertés publiques ».

A ce moment de l’histoire, l’Espagne va créer un système hybride avec un ordre constitutionnel singulier.politique espagne A proprement parler, l’Espagne ne sera pas centraliste comme la France, pays où les décisions importantes se prennent depuis la capitale. Mais le nouvel État espagnol de 1978 n’est pas non plus un régime fédéral comparable à l’Allemagne.  La transition de la dictature franquiste à la démocratie espagnole a été le fruit d’un grand consensus.  La Constitution a été écrite pour satisfaire tous les secteurs de la société. Les régions historiques les plus castrées sous  le franquisme, la Catalogne et le Pays basque, devaient trouver un espace institutionnel dans cette nouvelle Espagne.

Les pères de la Constitution ont donc imaginé le système des autonomies avec la création de gouvernements régionaux. Le post-franquisme très présent dans les milieux militaires, policiers, juridiques ont influencé la rédaction constitutionnelle. Pour éviter un coup d’État militaire, les auteurs de la Constitution ont fortement encadré et limité les compétences des gouvernements autonomiques. Un sentiment d’inachevé planera sur la Constitution.

Le 6 décembre 1978, la Constitution est ratifiée par 67,11% des Espagnols qui ont voté oui à 88,54 %. Dans la circonscription de Catalogne, le oui est monté à 90 % avec une participation de 67.6%. Les actuels opposants au texte fondamental de l’Espagne font toutefois remarquer que les votants de l’époque reçurent un choix limité : voter pour la démocratie via cette Constitution ou retomber dans la dictature.

Conflits de compétences

Dans la Catalogne contemporaine, la Constitution a perdu son rôle conciliateur tel qu’il avait été prévu en 1978. L’Espagne et la Catalogne  se partagent des attributions en matière de santé, éducation, politiques sociales. Quand un conflit éclate entre les deux gouvernements pour déterminer le champ de compétences de chaque institution, c’est le Tribunal constitutionnel qui tranche. Et souvent en faveur de l’État central. Les saisines auprès du Tribunal constitutionnel pour des « invasions de compétences » sont légions entre le gouvernement central et la Generalitat depuis une dizaine d’années.

Le 10 novembre dernier lors des législatives, 25,86 % des Espagnols ont voté pour un parti qui s’oppose à la Constitution de 1978 et au régime qui en découle.

politique en espagneUn Espagnol sur quatre montre son détachement à la Constitution, mais cet amalgame hétéroclite de votants n’est pas en mesure de proposer un projet alternatif. En effet, les votants contraires à la Constitution ont des aspirations différentes. Les partis indépendantistes ou nationalistes basques et catalans remettent en question la gestion du territoire. La gauche alternative de Podemos – comme la France Insoumise – veut une refonte totale du système capitaliste.  Seul le rejet du régime monarchique garanti par la Constitution est partagé par tous.

Futur

Les grands partis espagnols, la gauche socialiste (PSOE) et la droite conservatrice (Partido Popular – PP) qui dirigent alternativement le pays depuis 1981 sont constitutionnalistes et monarchistes. Suite aux élections de novembre, sans majorité, le premier ministre socialiste par interim Pedro Sanchez a signé un accord gouvernemental avec Podemos. Mais cette coalition n’a pas le nombre de députés suffisant pour obtenir un vote de confiance du parlement. Mathématiquement le soutien des 13 parlementaires indépendantistes catalans est la condition sine qua non pour investir Pedro Sanchez Premier ministre.  D’âpres négociations sont en cours entre toutes ces forces politiques. Une alliance des socialistes avec deux partis qui se situent en marge de la Constitution donne des sueurs froides à de nombreux secteurs espagnols. De la Maison Royale aux milieux d’affaires en passant part les cartels militaires et l’intelligentsia madrilène.

Le régime de 1978 a t-il encore de belles années devant lui ou devra-t-il faire sa mutation en 2020? L »avenir le dira. La bataille sera féroce.

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