Analyses et décryptages des élections législatives anticipées qui auront lieu dans des conditions extraordinaires ce dimanche 10 novembre dans toute l’Espagne. 

Les progressistes ont gagné les élections législatives d’avril dernier. Les socialistes sont arrivés en tête et avec l’aide de la gauche radicale de Podemos, il aurait été possible de former un gouvernement. Mais monter une coalition gouvernementale pour la première fois dans l’histoire moderne de l’Espagne n’était pas chose aisée. Centriste par nature, monarchiste dans son ADN, le parti ouvrier socialiste espagnol (PSOE) a refusé de lâcher des pans de pouvoir à la gauche radicale et républicaine de Podemos. De fait, les formations ne se sont pas mises d’accord pour dégager une majorité au parlement espagnol et investir Pedro Sánchez Premier ministre. Comme le prévoit dans ce cas de figure la Constitution espagnole, de nouvelles législatives sont organisées, et elles ont lieu ce dimanche.

Comme c’etait prévisible, le verdict du procès indépendantiste rendu public le 14 octobre dernier a mis le feu dans les rues de Barcelone. Littéralement. Barricades, scooters, voitures, poubelles, mobilier urbain ont flambé dans les beaux quartiers de la capitale catalane. Les institutions de Catalogne sont en ébullition et les rues de Barcelone une poudrière qu’une étincelle peut enflammer. L’ambiance d’insurrection est telle que les services de renseignement de la police annoncent que des groupuscules indépendantistes radicalisés pourraient perturber le bon déroulement du vote dimanche. Pour faire face à cette menace, inédite dans une démocratie européenne, Madrid envoie 4.500 policiers nationaux qui agiront aux côtés des 1.200 agents anti-émeutes des Mossos d’Esquadra pour protéger les élections.

Pedro Sánchez, le Premier ministre par intérim se promenait en septembre avec sous le bras, d’excellents sondages pour le PSOE qui améliorerait nettement son résultat électoral. Avec la crise catalane, les socialistes sont beaucoup plus prudents, les thématiques régaliennes du maintien de l’ordre et de l’unité de la nation espagnole font automatiquement monter les droites. Et l’extrême droite. Le parti frère du Rassemblement national, Vox pourrait arriver troisième de ce scrutin avec une percée inouïe. Un désordre de grande ampleur en Catalogne le jour du vote, accentuerait encore cette tendance.

Le Premier ministre socialiste sortant Pedro Sánchez reste le fragile favori des sondages

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En avril dernier, pour la première fois depuis la crise économique de 2011, le parti socialiste  arrivait en tête d’une élection nationale. Galvanisé par l’accès au pouvoir d’une manière indirecte, suite à la motion de censure qui a fait chuter le conservateur Mariano Rajoy en 2018, Pedro Sánchez savait qu’il était un Premier ministre en période d’essai. Le socialiste profite de son passage à la Moncloa pour offrir un visage aimable et moderne: gouvernement avec plus de ministres féminins que masculins, hausse historique du SMIC, exhumation du dictateur Franco pour le retirer de l’espace public il y a une quinzaine de jours.

Le thème de la Catalogne met le socialisme dans l’embarras. Sánchez doit en permanence funambuler entre la défense de l’unité de l’Espagne sans tomber dans une action excessivement répressive, marque de fabrique des courants placés sur le côté droit de l’échiquier politique. Pour le moment, dans un climat de haute tension, la Moncloa garde un contrôle relatif de la situation: les Mossos d’Esquadra, dirigés par les indépendantistes, obéissent aux directives de Madrid aux côtés de la police nationale espagnole. Le Premier ministre n’a pas eu, pour le moment, besoin d’activer la loi de sécurité nationale pour prendre le contrôle des Mossos ou appliquer l’article 155 de la Constitution espagnole pour suspendre l’autonomie politique. D’ici dimanche, un geste trop brusque de Sánchez peut lui faire perdre l’électorat progressiste. A l’inverse, une attitude trop laxiste du Premier ministre face à une nouvelle journée de crise cette semaine en Catalogne peut lui retirer toute crédibilité pour diriger un gouvernement.

Dans le reste du programme, les socialistes proposent de taxer plus fortement les fortunes et les grandes entreprises afin d’égaliser la fiscalité sur les classes moyennes et les plus pauvres.  Cependant, fiscalement, Sánchez veut se rapprocher de la France en montant les impôts de manière globale pour créer un RSA. Le total remboursement des médicaments, une loi de protection animalière et la légalisation de l’euthanasie sont également au programme.

Sur la circonscription de Barcelone, la candidate socialiste est la présidente du Parlement espagnol Meritxell Batet.

L’outsider: le conservateur Pablo Casado

 Pablo Casado droite espagnole

Comme les Républicains en France qui se sont droitisés pour ne pas se faire dévorer par le Rassemblement national, le Partido Popular (PP) en avril a couru uniquement dans le couloir de droite pour ne pas se faire dépasser par les ultras de Vox. Mélange de Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy et François Fillon, Pablo Casado 38 ans, se prépare depuis avril pour devenir le futur Premier ministre en cas de victoire des droites dimanche soir. Car ici, contrairement à la France, les conservateurs du PP et les libéraux de Ciudadanos ne mettent pas de cordon sanitaire autour de l’extrême droite de Vox. Si les trois partis obtiennent une majorité, ils formeront un gouvernement sans autre forme de procès.

Cependant, la campagne d’avril de Pablo Casado a viré au fiasco absolu. Le PP a connu le pire score de son histoire avec 60 députés. Cette fois-ci, Casado apparaît plus modéré. Le candidat souhaite ramasser les fruits qui tombent de l’arbre catalan sans avoir à secouer les branches. Il continue de réclamer la loi de sécurité nationale et l’article 155 pour suspendre le président indépendantiste Quim Torra, car c’est un fondamental du programme en faveur de l’unité de l’Espagne. Les émeutes attirent naturellement l’électeur vers la droite. Casado appelle au vote utile pour ne pas disperser les suffrages entre Vox et Ciutadans. Pour retrouver leur ample champ électoral, les conservateurs mettent l’accent sur leurs mesures économiques. Ainsi, Casado prend des accents reaganiens pour préparer une grande révolution fiscale se traduisant par une baisse massive de tous les impôts existants. Le PP en profite à travers ses clips de campagne pour envoyer un message d’optimisme et de positivisme dans cette campagne marquée par le chaos.

Sur la circonscription de Barcelone, la candidate est Cayetana Álvarez de Toledo. Née à Madrid d’une mère argentine et d’un père français dont elle a hérité le titre de marquise, “CAT” a vécu une jeunesse dorée entre Londres et Buenos Aires, avant de revenir en Espagne. Élue deux fois députée du PP en 2008 et 2011, elle a renoncé à se représenter en 2015, jugeant le PP et Mariano Rajoy trop inactifs en matière de réformes économiques et de lutte contre l’indépendantisme. Elle a été choisie par Pablo Casado pour partir en campagne dans la circonscription la plus difficile pour le parti: Barcelone. “Elle a un sens presque religieux du travail politique” indique son ami le journaliste Arcadi Espada. Elle a été élue de justesse en avril et n’a plus le droit à l’erreur.

Le crépuscule d’Albert Rivera de Ciudadanos

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Perpétuel candidat aux législatives depuis 2014, sans jamais avoir dépassé la troisième place, Albert Rivera ne peut pas perdre ce scrutin. Avec un score décevant, Inès Arrimadas serait en embuscade pour prendre la direction de Ciudadanos qui serait en danger de mort. Le parti de droite libérale est doublement concurrencé par les conservateurs du PP et les radicaux de Vox. En chute libre dans tous les sondages, il y a un risque que Ciudadanos finisse derrière Podemos, Vox et même ERC, qui ne se présente qu’en Catalogne, pourraient obtenir un plus grand nombre de suffrages que Rivera dans toute l’Espagne. Les changements de positionnement perpétuels de Ciutadans ont fait perdre toute logique au parti. L’alliance avec Vox pour gouverner les régions de Madrid et l’Andalousie ont donné une image droitière à un parti qui se voulait plutôt centriste. En même temps, Manuel Valls soutenu par Ciudadanos permettait l’élection de la radicale de gauche Ada Colau à la mairie de Barcelone, avant que l’ancien Premier ministre ne claque la porte au nez de Rivera.

Les grandes entreprises et multinationales voyaient en Ciudadanos leur parti. Elles ont tout naturellement demandé à Rivera de faciliter l’investiture de Pedro Sánchez qui était prêt à se convertir en social démocrate modéré au sein d’une coalition centriste. Le président français Emmanuel Macron, parrain politique de Ciudadanos, a formulé la même demande. Albert Rivera a opposé une fin de non-recevoir pensant pouvoir devenir le nouveau chef de la droite dure en prenant le relais d’un Partido Popular à bout de souffle. Une opération qui a fini par affaiblir le parti, frappé par de nombreux départs de cadres et en chute vertigineuse sondagière.

Pour sauver les meubles, Albert Rivera continue de prendre un ton martial pour ne parler quasiment exclusivement que de l’indépendance de la Catalogne. Globalement, il prend les même positions que Pablo Casado, avec un argument de poids: quand le PP est au pouvoir, il est laxiste avec les indépendantistes tandis que, selon son leader, Ciudadanos n’aura pas la main qui tremble pour mettre fin au nationalisme catalan. La bataille au sein des trois familles de droite se joue sur la crédibilité. Ciudadanos, né en Catalogne en 2006 pour lutter contre le sentiment nationaliste catalan, pense gagner une prime au mérite en la matière.

Si Ciudadanos est taxé d’extrême droite pour ses positions sévères contre le séparatisme catalan, le reste de ses propositions flirte avec la sociale-démocratie aux accents libéraux. Remboursement intégral des médicaments, soins bucco-dentaires gratuits pour les moins de 16 ans, baisse des impôts pour les classes moyennes, permis à points pour les immigrés, défense de l’euthanasie: Ciudadanos s’inscrit dans le cercle libéral européen.

Sur la circonscription de Barcelone, la candidate est Inès Arrimadas. Fatiguée de n’être que la cheffe de l’opposition ad vitam æternam au Parlement catalan, Arrimadas a fait son envol dans la cour politique nationale en avril. Médiatiquement reconnue, Inès Arrimadas est célèbre au-delà des frontières catalanes.

Le vieux jeune: Pablo Iglesias de Podemos

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Fatigué, usé, vieilli à seulement 40 ans, Pablo Iglesias est déjà un éléphant de la politique espagnole. Le jeune indigné qui incarnait en 2011 la nouvelle politique espagnole a finalement pactisé en juillet 2018 avec le centenaire parti socialiste pour convertir Pedro Sánchez en Premier ministre.

Pablo Iglesias se voyait ministre, mais Pedro Sánchez a refusé. Une situation qui s’est reproduite quand les socialistes et Podemos obtiennent une majorité en avril dernier. Sánchez n’a rien lâché à Podemos: pas de poste de ministre pour son chef, et aucun espace de pouvoir au sein du gouvernement pour la gauche radicale. Les socialistes savent que Podemos est un parti en voie d’extinction. En mai dernier, le mouvement a perdu toutes ses mairies sortantes, dont le joyau de la couronne: Madrid. Seule Barcelone a été sauvée par une Ada Colau investie pour un second mandat avec les voix de Manuel Valls. Le mouvement s’est coupé en deux suite à un schisme provoqué par Íñigo Errejón et une partie des fondateurs en désaccord avec Pablo Iglesias, jugé comme un dirigeant autoritaire. Errejón se présente à ces élections pour la première fois avec son mouvement dissident: Más País.

Les propositions de Podemos restent dans les valeurs de la gauche alternative: hausse du SMIC à 1200 euros, impôts sur les grandes fortunes et la banque, fermeture des centrales nucléaires. Pour la Catalogne, Podemos est le seul parti national proposant un référendum.

Sur la circonscription de Barcelone, le candidat est l’ancien adjoint à la mairie d’Ada Colau: Jaume Asens.

Santiago Abascal: Le Pen en Espagne

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Vox aime le Rassemblement national et la réciproque est vraie. Marine Le Pen a publiquement félicité Santiago Abascal pour reprendre et répandre les valeurs du RN en Espagne. Pour Vox, les frontistes et leurs relatifs succès électoraux sont un exemple.

Partie civile dans le procès judiciaire des leaders indépendantistes catalans, Vox a obtenu une jolie vitrine qui s’est traduite par l’entrée d’une dizaine de députés régionaux en Andalousie. Grâce à une rapide alliance avec le PP et Ciutadans, une majorité bleu marine soutient le gouvernement andalou. Vox a ensuite réalisé un bon score en avril et envoyé une vingtaine de députés pour la première fois au parlement de la nation.

Pour confirmer sa percée, Vox a deux axes: la Catalogne et les valeurs. Sur le territoire catalan, boosté par les émeutes et l’esprit d’insurrection, Vox voit s’ouvrir un boulevard et pourrait devenir le troisième groupe au Congrès des députés avec 50 élus, devant Podemos et Ciutadans. Pour mettre le point final à la crise catalane, Vox propose la suppression de toutes les institutions catalanes et la fin du statut d’autonomie politique. D’ailleurs le parti propose la même chose dans toutes les régions historiques du pays: Pays Basque, Andalousie, Galice, pour globalement suivre le même schéma jacobin de la France et concentrer les pouvoirs dans la capitale du pays. Santiago Abascal ambitionne l’illégalisation des partis indépendantistes et l’incarcération immédiate du président catalan Quim Torra pour désobéir constamment à la Constitution espagnole. Concernant la croisade pour les « valeurs », Vox souhaite l’interdiction de l’avortement, la lutte contre l’islam et l’immigration illégale, l’euroscepticisme et la défense de l’armée. Beaucoup d’anciens généraux à la retraite sont d’ailleurs candidats de Vox.

Sur la circonscription de Barcelone, le candidat est l’odontologue Ignacio Garriga.

ERC: Gabriel Rufian, l’indépendantisme en pause

Gabriel Rufian

ERC: la gauche républicaine indépendantiste est représentée par Gabriel Rufian en remplacement de son président en prison et inéligible Oriol Junqueras. Pour cette législative, ERC ne réclame plus l’indépendance de la Catalogne, mais uniquement un référendum qui n’a aucune chance de voir le jour et une toute autant hypothétique loi d’amnistie pour les indépendantistes incarcérés. Paradoxalement, si la rue catalane est ultra-nerveuse, dans les urnes, l’indépendantisme décaféiné d’ERC a le vent en poupe. Pour la première fois de son histoire, ERC est arrivé en tête du scrutin d’avril. Une performance que le parti veut répéter, voire améliorer dimanche soir. Conscient qu’il est difficile d’imposer l’indépendance avec seulement 48% des voix, la doctrine Junqueras consiste à élargir la base sociale et sociétale du souverainisme catalan. Traduction: séduire les urbains, les Latinos-Américains et les Européens peu enclins au séparatisme en proposant des mesures visant à améliorer le quotidien des citoyens.

Pour cette législative, ERC propose une batterie de mesures : encadrer le prix des loyers, légaliser l’euthanasie, reconnaître les médecines naturelles, interdire la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, mieux accueillir les réfugiés. Concernant le dossier catalan, on lit dans le programme une timide « défense du droit des citoyens de Catalogne à exercer leur droit à l’autodétermination par référendum ».

Junts Per Catalunya: Laura Borras, la bourgeoisie enflammée

 

Le parti jumeau, mais concurrent, d’ERC a trouvé aussi une remplaçante pour prendre la relève de son candidat incarcéré et devenu inéligible une fois le verdict prononcé en la personne de Laura Borras. L’ancienne ministre de la Culture, dont certain opinent que c’est l’une des personnes les plus cultivées de Catalogne, assure le relais de l’activiste Jordi Sànchez. Junts Per Catalunya (ensemble pour la Catalogne JxC) est le descendant radicalisé de Convergencia, le parti de centre droit catalan dirigé fut un temps par Artur Mas. Pris d’assaut par Carles Puigdemont, JxC a purgé tous les membres modérés du mouvement pour mettre en avant, les profils indépendantistes les plus déterminés. Héritier de Convergencia parti de l’ordre et de la bourgeoisie, Junts Per Catalunya est devenu le parti de la rue, reprenant pour slogan de campagne les cantiques hurlés pendant les manifestations. Junts Per Catalunya a le plus grand mal à condamner les violences qui éclatent à Barcelone, préférant comme le président Quim Torra accabler la police aussi bien catalane qu’espagnole.

Dans son programme électoral, JxC propose une décentralisation d’un certain nombre de compétences vers le gouvernement de Catalogne en matière d’impôts, de santé ou d’aides sociales. Pour solutionner le conflit catalan, le parti de Carles Puigdemont propose une relation bilatérale entre l’Espagne et la Catalogne qui doit aboutir sur un référendum et l’indépendance immédiate en cas de victoire du oui.

 

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