44 ans après la mort du dictateur, le gouvernement socialiste sort Franco de sa tombe officielle du domaine public, pour réenterrer sa dépouille dans un cimetière privé.
C’était une exception en Europe, un dictateur possédait une tombe et une sépulture officielle sur l’espace public. La « Valle de los Caídos », située en pleine sierra et dont la croix et la colline sont aussi hautes que la Tour Eiffel, était depuis novembre 1975 la dernière demeure de Francisco Franco.
Après une longue bataille juridique de treize mois entre la famille Franco et le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez, le Tribunal suprême a tranché en la faveur de l’exécutif espagnol, avec la bénédiction du Vatican. Depuis ce matin, la momie de Franco est exhumée pour être sortie du domaine public. Contrairement aux centaines de milliers de personnes qui ont assisté à l’enterrement de Franco en 1975, en présence du roi Juan Carlos, l’exhumation d’aujourd’hui se fait en comité ultra-réduit. Seuls 22 membres de la famille Franco sont autorisés à accéder au mausolée, aux côtés de la ministre de la Justice espagnole Dolores Delgado qui assiste à l’exhumation en qualité de grand notaire du royaume. En 1975, José María Sánchez-Ventura, ministre de la Justice de l’époque, avait exercé le même rôle et attesté que c’était bien le corps sans vie de Francisco Franco Bahamonde que l’on enterrait alors.
Depuis 10h30, les pompes funèbres de l’entreprise Mármoles y Granitos Hermanos Verdugo Jiménez, SL travaillent pour mener à son terme cette opération historique. ll a fallu quelques heures pour soulever la pierre tombale de 1.500 kilos et accéder ensuite au cercueil. L’opération a eu lieu sous un chapiteau en toile, de manière à ce que les images restent strictement confidentielles. C’est ensuite les 22 membres de la famille Franco qui se relaient à tour de rôle pour porter sur leurs épaules le cercueil de leur aïeul hors de la crypte. Le gouvernement espagnol a refusé de rendre les hommages militaires au général et de placer un drapeau espagnol sur le cercueil comme le souhaitait la famille, une profanation de tombe en bonne et due forme selon cette dernière. Le cercueil pour des raisons de sécurité est évacué ne hélicoptère pour éviter les manifestations sur la route.
Le cortège funéraire très discret se dirige vers le palais du Pardo, ancienne demeure officielle de Franco, pour être enterré aux côtés de son épouse dans le cimetière de Mingorrubio. Une cérémonie à huis-clos qui sera placée sous la direction religieuse du prêtre Ramón Tejero, fils de l’auteur du coup d’État en 1981.
Le rôle du Vatican
Francisco Franco avait érigé l’Église catholique en religion officielle de la dictature espagnole entre 1939 et 1975. Le cardinal Enrique Vicente Tarancón pilota l’église espagnole de la dictature vers la transition. Un cardinal plutôt libéral, fustigé par le noyau dur du franquisme. ¡Tarancón al paredón! (Taracón au peloton d’exécution) était devenu un slogan à la mode chez les ultras après la mort du général. Mais le cardinal n’était pas non plus en odeur de sainteté au Vatican. Avec la décision d’obliger l’Église catholique à se montrer désormais politiquement neutre, Tarancón a permis plus facilement la Constitution espagnole de 1978 et s’est attiré les foudres du pape Jean-Paul II en personne. Le chef du Vatican expliqua nerveusement à Taracòn que cette position permettrait au communisme de se renforcer en Espagne tandis que le catholicisme risquait de disparaître.
En représailles, le pape mis à la retraite Tarancón à l’âge de 75 ans pour le remplacer par Ángel Suquía, plus conservateur. Jean-Paul II n’était pas un nostalgique du franquisme mais voulait que l’Espagne conserve son identité catholique. Avec Suquiá, qui fut ensuite remplacé par un autre conservateur Antonio María Rouco Varela, sous la protection du très traditionaliste Benoît 16, la tombe de Franco était intouchable sous peine d’incident diplomatique avec le Vatican. L’arrivée du plus modéré pape François, la nomination d’un cardinal espagnol (Carlos Osoro) dans la même veine, et les socialistes de Pedro Sánchez au pouvoir, tout était réuni pour obtenir le feu vert du Vatican pour l’exhumation de Franco.
La Valle de los Caídos
Le projet de la Valle de los Caídos est une oeuvre architecturale imaginée par Franco et pour Franco. Le décret gouvernemental d’érection de ce complexe mémoriel date du 1er avril, soit quelques mois après l’accession au pouvoir du général au terme de sa victoire contre les Républicains. Le décret, signé de la main de Franco, stipule: « La dimension de notre croisade, les sacrifices héroïques contenus dans la victoire et la transcendance que cette épopée a eu pour l’avenir de l’Espagne, ne peuvent être perpétués par les simples monuments avec lesquels les événements marquants de notre histoire sont habituellement commémorés dans les villes et les villages. (…) Il est nécessaire que les pierres qui s’élèvent aient la grandeur des monuments anciens, défient le temps et l’oubli et constituent un lieu de méditation et de repos dans lequel les générations futures rendront hommage à ceux qui leur ont légué une meilleure Espagne. »
Alors que les autorités franquistes pensaient ouvrir la Valle de los Caídos seulement un an après la signature du décret, il aura fallu 18 ans finalement pour finir l’ouvrage. En utilisant 20.000 prisonniers républicains qui travaillèrent comme ouvriers en étant sous-payés. Les pénuries frappant la dictature et les changements de plans de Franco expliquent ce retard. Par exemple, l’immense croix de 150 mètres, aussi haute que la Tour Eiffel, a été choisie personnellement par le dictateur. L’ensemble des projets présentés (reproduits ci-dessous) déplurent fortement à Francisco Franco.
Finalement, c’est le projet de Juan de Ávalos qui fut retenu. La croix est prévue pour durer au moins 1000 ans, comme le 3e Reich d’Hitler.
L’enterrement de Franco
Franco est officiellement mort le 20 novembre 1975 à 10 heures du matin. Cependant, le corps était maintenu en vie artificiellement pour des raisons politiques, notamment pour le conflit militaire avec le Maroc.
Une chapelle ardente fut établie à Madrid, avec des centaines de milliers de madrilène larmoyants venus rendre hommage au chef de l’Etat. Deux jours plus tard, les funérailles officielles avaient lieu, en présence du nouveau chef de l’état le Roi Juan Carlos, établi successeur officiel par Franco lui-même.
Que reste-t-il de Franco aujourd’hui ?
Avec la loi de mémoire historique approuvée par le gouvernement socialiste en 2007, la symbologie franquiste (statues, noms de rues, etc) a disparu de l’espace public. La seconde partie de la loi s’applique aujourd’hui avec le retrait de la tombe de Franco. La famille Franco dispose encore d’une fondation officielle pour commémorer l’oeuvre du chef de l’Etat et d’un titre de noblesse.