Décryptage de la guerre politique entre la Catalogne et l’Espagne qui a conduit au référendum du 1er octobre et ses conséquences légales.
La relation entre la Catalogne et l’Espagne est en lambeaux. Les divisions entre les Catalans sont aussi très fortes. A la veille du verdict dans le procès judiciaire qui pourrait envoyer les auteurs de la déclaration d’indépendance derrière les barreaux pendant des années, les deux camps retiennent leur souffle. La sanction de la justice va se compter probablement en dizaine d’années pour les ministres catalans qui ont organisé un référendum sans l’autorisation de l’Espagne il y a deux ans jour pour jour le 1er octobre 2017. Nombreux sont les spectateurs de l’extérieur à se demander comment le gouvernement indépendantiste s’est retrouvé dans cette situation.
La Catalogne est officiellement une autonomie de l’Espagne. Elle est régie par un statut autonomique depuis 1979. Une sorte d’avenant à la Constitution espagnole qui offre certaines compétences en matière d’éducation, de sécurité, de transport et de santé. Ça ne veut pas dire que l’exécutif catalan (le gouvernement appelé la Generalitat) ou le législatif (le parlement de Catalogne) puissent agir indépendamment de l’Espagne. L’Etat Espagnol garde toujours un œil sur les actions politiques de la Catalogne et n’hésite pas à recourir au tribunal constitutionnel pour annuler des lois votées par le parlement catalan.
Face aux demandes permanentes de la Catalogne de voir ses compétences élargies, le gouvernement socialiste de Jose Luis Zapatero en 2005 a réussi à nouer un grand pacte avec les socialistes catalans (PSC), la gauche républicaine (ERC) et la droite nationaliste de l’époque (CiU) pour donner plus de prérogatives à l’autonomie catalane.
La Catalogne gardait une partie des impôts afin d’avoir une large autonomie financière. Officiellement était reconnu par la réforme du statut d’autonomie le fait que la Catalogne est une nation, faisant partie de la nation espagnole. La réforme a été votée par le parlement catalan avec une majorité fixée à 70% par le Congrès des députés espagnols et par le Sénat. Le texte fut enfin ratifié par un référendum en Catalogne avec une victoire du oui à 73,90%. Le 18 juin 2006 prenait historiquement fin le problème catalan.
Pas pour longtemps. Stimulé par certains secteurs de la société espagnole (l’Eglise, le patronat, les syndicats ouvriers), le Partido Popular (PP) avec Mariano Rajoy à sa tête entra en campagne contre le nouveau statut catalan. Après une campagne de signatures de citoyens, le parti conservateur déposa finalement un recours devant le tribunal constitutionnel qui finit par suspendre la réforme du statut.
L’agonie de la réforme du statut d’autonomie
Après quatre longues années d’attente, le tribunal livra finalement son verdict en 2010 : le statut est largement retoqué et vidé de sa substance. La réforme fiscale est annulée, et la Catalogne n’est plus une nation mais une simple région d’Espagne. Fureur. Toute la Catalogne est commotionnée : de la presse qui sort conjointement des éditos, au secteur des affaires en passant par toute la société qui descend massivement dans la rue avec le chiffre record de plus d’un million et demi de manifestants. La Catalogne se sent vexée et trahie. Comment, après le vote des parlements espagnols et catalans ainsi qu’une ratification référendaire, le statut d’autonomie peut-il être annulé par un tribunal jugé partisan et ultra-conservateur?
En 2011 arrivent simultanément la crise économique et l’élection de Mariano Rajoy, celui qui avait initié la campagne contre le statut d’autonomie. Le gouvernement nationaliste d’Artur Mas estime que la Catalogne est victime de la crise économique au-delà de ce qu’elle devrait supporter, en raison des carences des régions espagnoles plus fragiles que la Catalogne. Les nationalistes insistent sur le dynamisme local et rappellent inlassablement qu’un quart des richesses espagnoles proviennent de la Catalogne. Les contribuables catalans, frappés de plein fouet par la crise espagnole, enragent contre l’injustice de la répartition fiscale qui ne fait aucune différence pour les régions prospères. Les autorités catalanes se plaignent également que Madrid ne donne pas assez de moyens aux infrastructures locales comme l’aéroport ou le réseau ferré. Le chef de l’exécutif catalan se rend donc à Madrid pour tenter une négociation autour du pacte fiscal pour que la Catalogne récupère une partie des impôts comme le prévoyait le nouveau statut d’autonomie. Réponse de Mariano Rajoy : non et ce n’est pas négociable.
A partir de ce rendez-vous manqué, la tension ne cessera de croître entre les exécutifs catalans et espagnols. Boosté par les gigantesques manifestations de rue, notamment à chaque 11 septembre, fête nationale de Catalogne, le président Mas mène une politique de plus en plus indépendantiste. Vieux routard de la politique, au profil technocratique, Artur Mas se convertit en messie de la cause séparatiste.
L’accélération vers le précipice
Les indépendantistes chercheront à convertir les élections catalanes de 2015 en scrutin plébiscitaire pour la sécession. L’indépendantiste perdra son pari avec 48% de suffrages en faveur de la déconnexion d’avec l’Espagne, mais obtiendra tout de même une majorité parlementaire grâce au soutien des extrémistes de la Cup. Le parti anticapitaliste éjectera Artur Mas, et obtiendra un remplaçant à la tête de la Catalogne avec un profil plus musclé: Carles Puigdemont. De janvier 2016 à octobre 2017, la situation ne cessera de se dégrader et la pression de monter. L’indépendantisme caféiné et l’espagnolisme excité feront monter la tension politique jusqu’à un niveau de vertige saisissants. Deux nationalismes catalan et espagnol s’affrontent. La Catalogne ne parle plus que de quitter l’Espagne via un rėvėrendum autorisé par Madrid. L’inteligtensia madriléne demande d’appliquer les mesures les plus radicales pour stopper l’independantisme une fois pour toutes. A la fin de ce dialogue de sourds, la Generalitat prend la dėcision de convoquer sans l’accord légal de Madrid un réfėrendum d’auto-determination. En réponse le gouvernement espagnol envoie 6.000 policiers nationaux à la recherche d’urnes, de bulletin de votes, de cartes électorales, d’affiches de propagande. L’Espagne portera un énorme coup à l’organisation du référendum en perquisitionnant la vice-présidence du gouvernement Rambla Catalunya. Grace à un réseau de bénévoles sur-motivés et sur-organisés, la Catalogne a réussi à organiser le vote en cachant les urnes en France, à Elne près de Perpignan. En plein cœur de l’Europe du XXIe siècle, une journée électorale s’est déroulée avec du sang dans les urnes. Les 6.000 policiers espagnols ont frappé, bousculé, chargé et gazé une foule de votants majoritairement composée de personnes âgées et de familles. Bien sûr, le oui a gagné avec le score soviétique de 90.18 %, une valeur légale nulle et sans reconnaissance d’aucune instance internationale sérieuse.
Dans une schizophrénie politique assez singulière, Madrid, tout en reconnaissant que le référendum était bidon, expliquait nationalement et internationalement que l’indépendance de la Catalogne était un risque pendant ces jours d’octobre. Rien de mieux que la puissance de l’appareil d’État espagnol n’aurait pu convaincre la masse indépendantiste que la sécession était au bout de la rue. Réticent pendant un mois, le président catalan Puigdemont et son gouvernement, coincé entre l’application de la constitution suspendant les institutions catalanes et la pression de la rue, déclarera l’indépendance le 27 octobre 2017.